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N° 160 (17/12/2009). A la une: Assurance chômage: attaques brutales et antisociales
p. 9
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National
La laïcité, une réponse à un vote islamophobe ?
Retour sur le vote discriminatoire du 30 novembre dernier et sur la question de la laïcité.
Le nouvel article constitutionnel anti-minaret soulève de nombreuses questions: comment contrer cette disposition discriminatoire qui viole la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) dont la Suisse est signataire ? Comment poursuivre la lutte contre l’islamophobie ? En présentant les minarets comme « symboles apparents d’une revendication politico-religieuse du pouvoir qui remet en cause les droits fondamentaux », les partisans de l’initiative contre la construction de minarets ont ouvert la boîte de pandore du débat sur le rapport entre Eglise et Etat. Ils ont alimenté un fantasme, celui de voir un islam « essentialiste et politique » s’imposer en Occident. La Suisse n’avait pas connu de vote similaire depuis celui portant sur l’interdiction de l’abattage rituel en 1893. En 1893, c’est une autre communauté religieuse très minoritaire qui en était la cible. Hier les juifs, aujourd’hui les musulmans, antisémitisme et islamophobie peuvent aller de pair ! Les raisons qui ont amené 57,5 % des électrices et électeurs a accepté l’initiative anti-minaret sont multiples : vote de peur avec des relents racistes, expression d’angoisses sociales, identitaires, sécuritaires qui se fixent sur un bouc-émissaire ou alors réponse à de prétendues menaces religieuses. C’est ce motif qui trouve aujourd’hui un écho à gauche (Jeunesses socialistes par exemple), sous la forme de la « défense de la laïcité ». Or il n’existe aucun problème véritablement significatif de ce point de vue, ni en matière d’exercice de la liberté de croyance ni par rapport à la séparation entre institutions religieuses et institutions étatiques. Ce sont les débats sur l’interdiction du port du voile, de la burka ou sur celle du crucifix qui risquent de renforcer des réflexes communautaristes et religieux à l’encontre d’une réflexion et d’une activité collectives sur le terrain de la solidarité sociale. L’UDC, comme la droite patronale, ont tout à y gagner !
La laïcité : une nouvelle religion ?
La Constitution fédérale garantit la liberté de conscience et de croyance, toute personne ayant le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté (art.15). La réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons (art.72). Cela implique que chaque canton définit la relation qu’il souhaite entretenir avec les églises historiques (église catholique romaine et église réformée), ainsi qu’avec les autres religions. Il existe dès lors 26 systèmes différents qui aménagent les relations entre Eglise et Etat.Le vote sur les minarets a fait ressortir, à gauche, un discours de principe en matière de laïcité. Nous nous revendiquons d’un humanisme émancipateur, qui critique l’obscurantisme et tout ce qui, dans les religions, détourne des responsabilités humaines, des objectifs démocratiques et égalitaires. Dans de très nombreuses religions, les femmes sont considérées comme des êtres inférieurs et sont discriminées. Pour mieux combattre les courants intégristes existant dans toutes les religions, pour contrer l’idéologie d’une Europe judéo-chrétienne qui s’opposerait à la montée en puissance de l’islam, une approche anti-cléricale, mettant en avant une laïcité qui viserait à éradiquer la religion, n’est pas adéquate. Cette laïcité conquérante risque bien plus de contribuer à la réaffirmation d’une identité religieuse. Au fondement de la laïcité se trouve l’exigence de la liberté d’expression et de la libre pensée, celui d’un ordre institutionnel qui garantit la liberté de quitter une religion, de la critiquer, grâce à l’exercice des droits démocratiques. Au lieu de souligner le rôle des collectivités publiques en cette matière, celui de veiller à la coexistence sans heurt de l’exercice des religions et de toutes les convictions dans un espace public et démocratique, la laïcité anti-religieuse, la religion de l’Etat athée, renforce inévitablement le sentiment d’identité religieuse dès lors que cette dernière est attaquée.
Les peurs changent de couleurs, les inégalités sociales sont toujours plus marquées !
Après l’instrumentalisation durant des décennies du « péril rouge », c’est le péril vert, celui de l’islam, qu’agitent les dirigeants du monde, mettant en avant un « choc des civilisations ». Nous assistons à un brouillage de piste généralisé, visant à effacer les repères démocratiques et à imposer une vision manipulée faisant de l’islam l’ennemi principal du « monde occidental ». Les périodes de crise économique, de baisse du pouvoir d’achat, de montée du chômage, de précarisation croissante, bref le recul social généralisé constitue un terreau particulièrement fertile pour nourrir les germes d’une telle stigmatisation. Ce sont ces mêmes mécanismes qui étaient à l’œuvre à la fin des années 1920 en Europe.Le vote du 29 novembre en Suisse et l’onde de choc qu’il a provoqué sont symptomatiques d’une ombre sombre qui plane sur l’Europe. Le débat sur l’identité nationale lancé par Sarkozy en France ou la percée la Ligue du Nord et les politiques ouvertement xénophobes du gouvernement Berlusconi en Italie sont du même tonneau : une Europe en crise, qui avale l’argument du risque d’« invasion musulmane » pour se constituer une identité et se barricader. Il y a réorganisation par les dominants, sur un plan idéologique, des préjugés racistes qui visent tous les migrant·e·s et qui permettent de faire passer des politiques de régression sociale et d’attaque aux droits fondamentaux. En Suisse, la droite patronale multiplie les mauvais coups. Son calendrier dans les mois qui viennent est chargé : prochaine révision de la loi sur le chômage qui va toucher de plein fouet les jeunes entre 20 et 30 ans, 11e révision de l’AVS, 6e révision de l’AI qui vise à réduire les rentes de 5 %. Il y a urgence à construire une riposte sociale solidaire, avec toutes celles et ceux qui refusent de payer la crise de ce système, quelle que soit la couleur de leur passeport ou leur croyance religieuse.
Justine Détraz et Jean-Michel Dolivo
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