Climat et population: danger, diversion !

Climat et population: danger, diversion !



A quelques jours du sommet de
l’ONU à Copenhague, on apprenait par la presse la
sortie d’un rapport du Fonds des Nations unies pour la population
(FNUAP) selon lequel les négociations « auraient
une meilleure chance de réussir » si elles
prenaient en considération « la dynamique de la
population, les relations entre les sexes et le bien-être des
femmes ». Ce rapport n’est rien d’autre
qu’une tentative écœurante de détourner nos
regards des vraies causes de l’incapacité des
gouvernements à relever le défi climatique.

Alors que la société civile mondiale se mobilise pour
réclamer une prise en charge urgente et sérieuse du
problème par le sommet des Nations unies, le FNUAP répond
à voix basse par des déclarations fausses d’un
point de vue (éco-) logique mais idéologiquement
ciblées. En effet, l’augmentation de la population
mondiale découle surtout du taux de fécondité plus
élevé des femmes dans les pays du Sud. C’est donc
bien vers celles-ci que le FNUAP pointe son index accusateur.
Réactionnaires de tous les pays, unissez vous : Malthus
est de retour ! Contre l’épuisement des ressources,
contre la crise sociale et contre le changement climatique, certains de
ses nouveaux adeptes auraient trouvé la solution
miracle : le contrôle de la natalité des pauvres
(du Sud… pour l’instant).      

    Pourtant, l’évolution des
concentrations de gaz à effet de serre (GES) montre bien que
celle-ci n’est pas essentiellement liée à la
croissance de la population mais bien au mode de production.  Si
les pays du Sud avaient bloqué leur densité de population
au niveau de 1950 tout en adoptant un niveau d’émission de
CO2 occidental, le réchauffement serait beaucoup plus grave que
ce que nous connaissons. Par contre, si les émissions par
habitant des pays du pays du Nord avaient été
égales aux émissions par habitant des pays du Sud, le
réchauffement serait nettement moins grave que ce que nous
connaissons, même en l’absence de toute politique de
contrôle démographique.

    La population mondiale est en train de se stabiliser
et c’est une bonne chose. La transition démographique est
maintenant largement entamée dans les pays du Sud, et elle
évolue plus vite que prévu. Elle peut être
favorisée en développant de bons systèmes de
sécurité sociale et le droit des femmes à
contrôler (elles-mêmes et librement) leur propre
fécondité, mais ces politiques de long terme ne sauraient
en aucun cas répondre à l’urgence climatique. En
feignant de croire le contraire, le FNUAP ouvre la boîte de
Pandore. Certains vont déjà plus loin et proposent
d’attribuer des droits de procréer échangeables,
sur le modèle des droits de polluer. Le Nord devrait acheter les
seconds, le Sud les premiers. On voit bien ainsi que toute cette
réflexion sur la population revient à inverser
complètement les responsabilités historiques dans le
phénomène du réchauffement. Les torchères
des compagnies pétrolières exportatrices du
Nigéria ont produit plus de GES que toutes les autres sources de
l’Afrique sub-saharienne réunies. La déforestation
dans les pays pauvres est principalement causée par
l’exploitation commerciale du bois, de la viande et des aliments
pour animaux destinés à la consommation des pays riches.

    D’où vient cette irruption de la
démographie dans le débat climatique ? d’une
sordide approche coûts-bénéfices. Selon des
recherches de la LSE (London School of Economics) chaque somme de
7 $ dépensée pour un planning familial d’ici
2050 permettrait d’économiser plus d’une tonne de
CO2 dans le monde. Tandis qu’obtenir le même
résultat grâce aux technologies vertes coûterait
32 $. En mai, le Sunday Times révélait que
« plusieurs milliardaires américains
s’étaient rencontrés
secrètement » afin de décider quelle bonne
œuvre ils allaient défendre. « Un consensus a
émergé : il fallait s’attaquer à la
croissance démographique, dénoncée en tant que
menace environnementale, sociale et industrielle potentiellement
désastreuse. »

    Parce qu’ils refusent de réduire leur
course au profit et leur surconsommation, donc la croissance qui
nécessite toujours plus d’énergie, ces Messieurs
décident d’une part de développer des technologies
dangereuses (charbon abusivement qualifié de
« propre », nucléaire et
agro-carburants), et, d’autre part, de limiter le nombre de
naissances dans les pays pauvres. La tentative de freiner le
réchauffement par des mécanismes marchands montre ici son
vrai visage. Et cela risque de n’être qu’un
début. Car, à tout prendre, le moyen le moins cher de
réduire les émissions, c’est de laisser les
catastrophes climatiques et les guerres qui pourraient en
découler supprimer quelques centaines de millions
d’êtres humains. C’est ce que suggérait il y a
quelque temps un rapport pour le Pentagone…

    Il est inacceptable que les intérêts
capitalistes l’emportent ainsi sur les besoins fondamentaux du
genre humain à court, moyen et long terme. Une autre voie est
possible et nécessaire : le gaspillage
d’énergie et les productions nuisibles ou inutiles
constituent un réservoir immense de réduction des
émissions. Nous disposons de ressources
énergétiques renouvelables et de savoirs qui permettent
de satisfaire les besoins fondamentaux de toutes et tous,
aujourd’hui et demain. S’il a été possible de
trouver plus de 3000 milliards de dollars pour sauver le système
bancaire, il doit être possible de trouver les 1300 milliards
annuels nécessaires pour entamer une transition
écologique sous contrôle démocratique afin de
sauver notre climat et d’aider celles et ceux qui subissent les
premiers dégâts. Pour répondre au défi du
dérèglement climatique et des graves
inégalités sociales, nous devons donc redistribuer les
richesses et partager les biens communs de l’humanité que
sont les ressources naturelles (l’eau, l’air, la terre) et
les savoirs. Sous peine de subir un recul démocratique et humain
sans précédent.

Mauro Gasparini, Jean-François Pontegnie, Daniel Tanuro, Sandra Invernizzi, Mateo Alaluf, Isabelle Stengers