CO2penhague: qu’en attendre ?

CO2penhague: qu’en attendre ?

Vingt ans après les premiers
rapports alarmants du GIEC (ONU), les émissions de gaz à
effet de serre continuent d’augmenter. Pourtant la prise de
conscience des risques est désormais largement partagée,
comme en a témoigné la manifestation monstre à
l’occasion du Sommet de Copenhague du 12 décembre.
Impressions de retour du Sommet par Philippe de Rougemont, qui y
était pour l’association Noé21 basée
à Genève.

Les gouvernements, dont celui de la Suisse, qui participent à
nommer les climatologues du GIEC et à approuver leurs rapports
d’évaluation, sont jusqu’à présent
incapables de traduire ensuite les recommandations dans des
traités contraignants et dans leur législation. Les
outils économiques du protocole de Kyoto tels l’achat de
droits de polluer mis en application par l’UE ont tant de failles
que l’intérêt pour le climat et le
développement sont inexistants pour la plupart des projets dans
le Sud. Par contre, l’évitement de réductions
sonnantes et trébuchantes achetés par le Nord est lui bel
et bien réussi.

Le temps est compté

Deux raisons devraient imposer
à la communauté internationale de prendre des mesures
urgentes exceptionnelles : les pays du Sud subissent
déjà des effets désastreux du changement
climatique, sous forme de sécheresses récurrentes et
d’augmentation du niveau des océans notamment.
Deuxièmement, le dernier rapport d’évaluation du
GIEC (2007) souligne que la diminution des émissions globales de
CO2 devra commencer d’ici 5 à 10 ans afin
d’éviter un réchauffement hors contrôle. Pour
l’instant, à Copenhague, les principaux pays
développés conditionnent leurs réductions à
un plus grand effort des pays en développement et ceux-ci
annoncent qu’ils n’augmenteront pas leurs efforts sans aide
financière pour s’adapter aux changements climatiques et
pour s’équiper en infrastructures moins polluantes. Selon
le calcul du Réseau action climat international (CAN), les
« réductions » annoncées par
les pays développés à Copenhague donneraient entre
– 2 et + 4 % d’émissions de CO2 en
2020, en se basant sur les émissions de 1990. Rappelons que le
rapport 2007 du GIEC fixe de – 25 à
– 40 % les réductions nécessaires
dans les pays riches pour éviter un réchauffement
climatique hors contrôle.

    En vue du possible échec de Copenhague et de
Mexico (décembre 2010), il faut donc des alternatives aux
Sommets censés répartir l’effort de
réduction entre le Nord et Sud.

Agir sans attendre un accord

Les cantons et principales villes de Suisse ne devraient pas attendre
un accord international. Réduire les émissions de
40 % d’ici à 2020 à Genève, Lausanne
ou Neuchâtel est possible. Nous en avons les moyens financiers,
jusqu’ici mal affectés, on connaît les politiques
capables d’y mener. Le Plan climat cantonal publié pour
Genève par Noé21 fournit de multiples pistes pour
atteindre ce but, couvrant les transports, les bâtiments,
l’agriculture et l’industrie. Plusieurs alliances
internationales de villes tentent de briser l’isolement de celles
qui ont décidé d’agir sans attendre. Ce
renforcement mutuel de collectivités qui agissent est la clef
d’un succès possible à réaliser
« par en bas ». La gageure est de
dépasser le paradoxe de la « logique de
l’action collective » (Mancur Olson, 1965). Celui-ci
s’applique quand une collectivité a intérêt
à ce que chacun adopte des comportements ambitieux, mais que
personne n’est prêt à y participer en premier parce
qu’ils sont politiquement coûteux. Cette stratégie
demande un courage politique encore largement absent. Pour
l’instant les alternatives en matière de transports (M2,
CEVA, TransRUN) et d’énergie (rachat à prix
coûtant du courant vert) viennent en parallèle aux
déplacements motorisés individuels et des centrales
à gaz au lieu de venir les remplacer en les rendant
obsolètes. Malgré ce constat, des politiques locales
efficaces sur la réduction des émissions de CO2,
multipliées par la force de l’exemple et par les effets
positifs sur la création d’emplois porteurs de sens sont
un espoir réaliste pour le court-terme. […]

Pouvoirs spéciaux

Dans la file d’attente du guichet des accréditations du
Sommet de Copenhague, j’ai rencontré Eugene Trisko, un
représentant étasunien de la CSI,
Confédération syndicale internationale (175 millions de
membres). C’est la 15e conférence des parties à
laquelle il participe, il n’en a raté aucune.
« Le processus nécessitera des dizaines de
Conventions annuelles pour aboutir », me dit-il. Quand je
confronte ce pronostic aux recommandations du GIEC, en lui rappelant
l’interdiction en 1942 aux industries étasuniennes de
produire voitures et frigos pour permettre l’effort
d’armement, il finit par raconter l’expérience
étasunienne de l’Office of War Production. En 1941, le
Congrès votait des pouvoirs spéciaux à cet Office,
pour planifier autoritairement l’industrie du pays vers la
fourniture d’armes, de véhicules et de munitions pour les
armées. « L’office à
arrêté le capitalisme pendant la période de
guerre » dit Trisko.

    Aujourd’hui, l’ennemi commun n’est
pas une armée étrangère. Le risque n’est pas
une invasion mais l’effondrement des écosystèmes
dont notre survie dépend. La perspective de motiver
l’Assemblée fédérale pour qu’elle
octroie à un office étatique des pouvoirs exceptionnels
sur l’économie pour écraser nos émissions de
gaz à effet de serre est une réflexion à entamer.
Elle pourrait mener à un mouvement de revendication populaire
poussant les élu-e-s fédéraux à prendre
enfin le taureau de l’économie par les cornes. Le champ de
ce qui est possible et nécessaire n’est pas fixé
à jamais, il évolue en phase avec la perception des
risques collectifs par la population. Or, celle-ci bouge rapidement
depuis quelques années sur le front du climat. Cette perspective
d’action « par en haut » est le
deuxième signe d’espoir que je retiens de Copenhague,
après le travail par en bas des villes décrit plus haut.
Ces deux solutions, capables d’essaimer, rendent indispensable
l’arrivée ou la conversion de femmes et d’hommes
politiques ayant une détermination en phase avec l’ampleur
de l’urgence climatique.


Philippe de Rougemont