Les islamophobes l’ont-ils emporté ?

Les islamophobes l’ont-ils emporté ?

A l’époque nazie, sévissait en Suisse une politique
contre « l’enjuivement ».
Aujourd’hui, certains parlent d’« islamisation
rampante » de la Suisse, obtiennent l’interdiction
de la construction de minarets ; déjà, des
mosquées sont souillées. Que se passera-t-il demain?

Quel résultat choquant! Quel manque de confiance entre le peuple
et le gouvernement! Quel gâchis, cette peur de nombreux Suisses
vis-à-vis de la communauté musulmane!

Ce succès qu’elle n’attendait pas étonne
l’UDC, ses politiciens identitaires sont débordés.
Aujourd’hui grâce à eux la Constitution suisse est
la seule constitution antimusulmane au monde.

    Suivant Lausanne, quelques villes suisses avaient
compris l’enjeu et condamné la campagne du comité
antiminarets. Elles sont restées isolées. Leur
volonté de chasser le racisme de l’espace public n’a
pas été suivie. Elles dénonçaient le danger
que des droits fondamentaux soient violés et n’ont pas
été écoutées. Aucune coalition ne
s’est constituée pour combattre l’islamophobie.

    Plutôt que d’affronter clairement
l’instrumentalisation de la religion à des fins
politiques, but réel des initiants, la grande majorité
des adversaires de l’initiative avaient exprimé leurs
propres doutes à l’égard de l’islam. La
conseillère fédérale Evelyn Widmer Schlumpf avait
envisagé il y a quelques jours l’interdiction de la burqa.

    Pourquoi tant de complaisance ? Peut-on
oublier la vieille politique d’Überfremdung
(altération excessive de l’identité) qui a servi
des années 1920 aux années 1940 à la lutte contre
« l’enjuivement » du pays ?
Peut-on oublier que les autorités suisses ont attendu 1995 pour
critiquer cette politique ? Peut-on ignorer qu’elles ont
fait adopter, en 2006, une loi sur les étrangers inspirée
de cet esprit : elle limite l’accès de la Suisse
« aux ressortissants des pays qui ont les idées
européennes (au sens large) ».

    Après des années de propagande, le
résultat est là. « Nous ne pouvons pas
être racistes, la religion n’est pas une
race » ricanaient les Baettig, Freysinger, Perrin. Et les
Juifs sont-ils une race ? Et n’est-ce pas le racisme qui
les a assassinés par millions ? Et depuis quand les
races, existent-elles ? Contre la science, seuls les racistes
croient à leur existence.

    La prétendue
« délinquance
étrangère » fait les choux gras des
médias. Elle fait grimper les scores des politiciens qui
manipulent le sentiment d’insécurité plutôt
que de combattre l’insécurité réelle, le
chômage, le prix de la santé, la détresse des
personnes âgées. Le 20e anniversaire de la chute du Mur de
Berlin devait fêter la démocratie, il nous montre un champ
de ruines. Chômage et régression sociale, logements hors
de prix ou introuvables, service public et prestations
délabrés. Les retraites s’effritent, le futur de
nos enfants est incertain.

    Comment la Suisse pluriculturelle progressera-t-elle
contre les fantasmes et les préjugés que nourrissent ceux
qui divisent ses citoyen·ne·s en communautés
opposées ? Comment la minorité musulmane en Suisse
devra-t-elle vivre avec l’image haineuse et repoussante
qu’a glissée dans l’urne une large majorité
du corps électoral ?

    Aux côtés des musulmans comme de toutes
les autres minorités, nous ne pourrons pas nous limiter à
combattre les discriminations, nous devrons travailler à faire
connaître la réalité, à dissiper les peurs.

    Dès demain, nous engagerons le combat pour
abolir l’article de la honte, l’article islamophobe, pour
réunir les victimes de toutes les stigmatisations à
toutes les personnes attachées à la justice et à
l’égalité des droits, pour éliminer toutes
les discriminations.

Karl Grünberg
ACOR SOS Racisme
Tariq Ramadan
Président du European Muslim Network, Bruxelles
29 novembre 2009