Vers de nouveaux partis socialiste


Vers de nouveaux partis socialistes

Pour une nouvelle alliance internationale des partis luttant pour le socialisme avec un régime interne pluraliste et démocratique.


Murray Smith*


A des moments différents de son histoire la classe ouvrière a eu besoin de différents types de partis. En 1864 la Première Internationale cherchait à regrouper toutes les organisations ouvrières qui existaient, et n’étaient pas toutes socialistes. Vingt-cinq ans plus tard, la Deuxième Internationale a représenté un pas en avant, à la fois quantitativement dans la mesure où elle comprenait des partis de masse et qualitativement dans la mesure où presque tous ces partis avaient comme objectif le socialisme et étaient dans la plupart des cas fortement influencés par le marxisme.


Après la Première Guerre mondiale, une division a eu lieu entre ceux qui croyaient que le socialisme se réaliserait en gagnant une majorité parlementaire dans le cadre de l’Etat bourgeois pour effectuer des réformes, et ceux qui croyaient que le socialisme ne pourrait être atteint que par la voie révolutionnaire, en établissant un Etat ouvrier comme en Russie. Ces options furent défendues par des partis qui organisaient et influençaient des millions de travailleurs.


Même à une époque bien ultérieure, au début des années 70, des débats eurent lieu dans le mouvement ouvrier sur la stratégie nécessaire pour aboutir à une transformation socialiste. Ces débats avaient comme arrière-fond des événements aussi importants que Mai 68, l’expérience de l’Unité populaire au Chili et la Révolution portugaise. Même un parti comme le PS en France parlait dans les années 70 de la rupture avec le capitalisme.


Quelle est la situation aujourd’hui?


La division ne se fait pas entre des socialistes qui sont pour des réformes et des socialistes qui sont pour la révolution. Elle se fait entre les socialistes qui n’ont d’autre ambition que de gérer le capitalisme et les socialistes qui défendent l’idée qu’il y a une alternative au capitalisme.


Cela ne veut pas dire que le débat entre réforme et révolution n’est plus pertinent. En dernière analyse, il est aussi illusoire aujourd’hui qu’hier de penser que nous pouvons atteindre le socialisme simplement en gagnant une majorité et en utilisant l’appareil d’Etat existant, sans démanteler les structures soigneusement mises en place pour défendre l’ordre capitaliste, sans neutraliser le sabotage et l’opposition inévitables des capitalistes, sans créer un nouveau type d’Etat. Mais chercher à construire un parti de masse sur ces bases aujourd’hui, c’est aller un pas trop loin. Aujourd’hui, après une période où la classe ouvrière a perdu beaucoup de terrain, nous devons rassembler les forces et regrouper, en défendant l’idée du socialisme comme alternative au capitalisme et en commençant à aller vers cet objectif en partant des luttes de la classe ouvrière et en proposant des mesures qui améliorent concrètement sa situation.


Comment avancer vers la formation de nouveaux partis?


Nous devons partir du matériel humain qui existe. Il y a des adhérents ou anciens adhérents des partis socialistes qui restent fidèles à leurs convictions socialistes. C’est encore plus vrai en ce qui concerne les partis communistes. Il y a des syndicalistes qui comprennent la nécessité de donner une dimension politique à leur combat. Certaines forces viendront des courants nationalistes radicaux, d’autres du mouvement écologiste.


Démocratie et pluralisme politique


Et last but not least, il y a l’extrême-gauche révolutionnaire, dont les organisations, trotskistes de diverses tendances et ex-maoïstes, représentent des forces non négligeables dans la plupart des pays d’Europe occidentale. Dans la mesure où ces organisations, quels que puissent être leurs défauts, continuent à défendre la nécessité d’une transformation socialiste et parce qu’elles représentent des forces militantes structurées, elles ont un rôle potentiellement décisif à jouer. Mais elles ne pourront le jouer que dans la mesure où elles seront capables de comprendre la nécessité de converger avec d’autres forces pour créer de nouveaux partis et pas seulement concevoir leur propre construction comme une fin en soi. Comme l’écrit Trotski en 1934, «il faut se considérer non comme un substitut pour le nouveau parti, mais seulement comme l’instrument de sa création». Pour faire émerger de nouveaux partis, la question du pluralisme politique et d’un fonctionnement démocratique est cruciale. Il faut aborder 1e problème à deux niveaux. D’abord, il faut intégrer les leçons de l’expérience du mouvement ouvrier au cours du XXème siècle. Spécifiquement, nous devons tirer le bilan du stalinisme et rétablir la tradition du mouvement ouvrier jusqu’aux premières années de l’Internationale communiste, de partis non-monolithiques avec le droit à l’existence de tendances, courants et plates-formes. A ce sujet, l’influence du stalinisme s’est fait sentir bien au-delà des partis communistes pro-Moscou. Les organisations maoïstes qui sont sorties de ces partis n’ont pas rompu avec le stalinisme.


De manière plus surprenante à première vue, mais incontestable, le stalinisme a aussi influencé les organisations trotskistes qui auraient dû en être l’antithèse. Ceci peut s’expliquer de façon générale par l’influence insidieuse du stalinisme dans le mouvement ouvrier, qui a affecté même ses ennemis. Plus spécifiquement, la lutte pour maintenir de petites organisations sur plusieurs décennies après 1945, face à de puissants partis staliniens et sociaux-démocrates a favorisé des régimes internes autoritaires.


Le «centralisme démocratique» est devenu moins un moyen d’arriver à des décisions au travers d’un débat démocratique large afin de réaliser l’unité dans l’action, qu’un mécanisme pour envoyer des ordres d’en haut, maintenir une discipline idéologique et décourager toute pensée indépendante.


C’était une perversion de la tradition marxiste. Toutes les organisations trotskistes ont été confrontées à la nécessité de rompre avec cette perversion. Certaines ont rompu plus que d’autres, certaines pas du tout.


Il y a une raison plus spécifique pour le pluralisme. Avec quelques exceptions, les nouveaux partis ne naissent pas aujourd’hui de scissions dans des organisations existantes, mais du rassemblement de forces d’origines différentes. Rassembler des courants de traditions différentes, de cultures différentes, ainsi qu’intégrer des indépendants qui ont souvent eu des expériences négatives dans des syndicats et des partis politiques est une opération délicate. Elle nécessite de la patience et de la tolérance. Elle exige un type de fonctionnement véritablement démocratique, qui garantissent les droits des différents courants. Ce type de fonctionnement est aussi le seul qui pourrait être attractif pour les nouvelles générations qui formeront le gros des forces des nouveaux partis.


Mais des droits démocratiques formels ne suffisent pas.


Il faut rompre avec la mentalité de groupes qui pensent qu’ils ont raison et que tous les autres ont tort, que ce sont eux le parti révolutionnaire. Il faut rompre avec l’attitude selon laquelle d’autres courants socialistes sont des organisations ennemies. Cela ne veut pas dire que nous ne discuterons pas des divergences et ne nous opposerons pas à des positions que nous considérons erronées. Mais nous le ferons dans un esprit de collaboration fraternelle, dans le but d’arriver à une plus grande cohésion et de réaliser l’unité dans l’action.


Sommes-nous revenus un siècle en arrière ?


Sous beaucoup d’aspects les tâches auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui sont similaires à celles de la période de la formation des premiers partis de masse de la classe ouvrière, à la fin du XIXème siècle. Mais nous ne repartons pas de zéro. Entre temps le XXème siècle a eu lieu. La classe ouvrière a connu l’expérience de guerres, de révolutions, du stalinisme et du fascisme. A partir de ces expériences, des leçons ont été tirées qui ont renforcé l’analyse marxiste de la société capitaliste. Tout cela est pertinent si nous voulons élaborer une stratégie de transformation socialiste pour le siècle nouveau. C’est pourquoi nous pensons qu’il est nécessaire de construire des tendances marxistes au sein des nouveaux partis socialistes, pour féconder ces partis avec des méthodes d’analyse marxistes et avec les leçons tirées de l’histoire du mouvement ouvrier, pour mieux comprendre le monde afin de le changer. Pour revenir à notre point de départ, une des leçons de l’histoire du mouvement ouvrier est qu’en dernière analyse la lutte pour le socialisme échouera si elle se limite à un seul pays. Voilà pourquoi il est important que le SSP développe le maximum de contacts avec des socialistes sur tous les continents et soutienne des mobilisations internationales contre la mondialisation capitaliste.
A moyen terme nous devons œuvrer à la création d’une alliance internationale de partis socialistes. Dans l’immédiat, sur la base des contacts établis ces derniers mois, il sera possible dans les mois qui viennent d’établir des liens plus structurés entre les forces socialistes en Europe.

* Responsable du secteur international du SSP (Parti Socialiste Ecossais)