« District 9 »: la rencontre de l’autre

« District 9 »: la rencontre de l’autre

Sur les écrans, passe en ce
moment un film de science-fiction, succès inattendu du
box-office américain,
« District 9 », réalisé
par Neill Blomkamp. Ce que certains prennent à tort pour un
navet de plus, se révèle être un film à
teneur hautement politique. Et sans se prendre au sérieux.

Un vaisseau extra-terrestre s’arrête au dessus d’une
ville. Les humains, effrayés, regardent cette machine
monstrueuse les surplomber. Jusqu’ici tout ressemble au classique
film d’extraterrestre. Jusqu’au design du vaisseau qui
rappelle celui du navet so nineties Independance Day. Mais
déjà un élément susurre à
l’oreille du spectateur qu’il ne s’agit pas
d’un remake banal. Le vaisseau ne s’est pas
arrêté au-dessus de New York ou Los Angeles. Non cette
fois, il reste perché au-dessus de Johannesburg. Et les
extraterrestres, sorte de grosses crevettes géantes, sont
parfaitement inoffensifs.

    La forme du film, elle aussi, diffère du
modèle : au lieu de gros effets et d’appel aux
émotions, on se retrouve face à un film partiellement
lo-fi, usant de formes proches des media présents sur internet
avec des parties de faux interview de spécialistes ou de gens
ordinaires. Les effets spéciaux sont de mauvaise qualité.
Ceci est évidemment la conséquence d’un petit
budget (pour Hollywood). Mais justement, la façon dont est fait
un film indique quelque chose sur le film lui-même.
Décider de faire un film petit budget pour un genre qui
normalement requiert un budget élevé signifie en
puissance la subversion du genre. Plus que la forme, c’est
l’ensemble des personnages et des dialogues qui est
volontairement lo-fi. On évolue dans un univers proche de la
série Z. Tant les brutes que les gentils sont ridicules, que ce
soit par leur accent, leur bêtise ou leur côté
cliché.

    Mais c’est avant tout par son intrigue que
District 9 prend une tournure absolument différente du commun
des films d’extraterrestres. L’attention ne se focalise que
peu sur le comportement des extraterrestres, pour se porter
sensiblement sur la socitété humaine. Et c’est bien
là que le film prend une dimension politique. Ce qui est mis en
premier plan, c’est la réaction de l’humanité
face à l’autre. Et tout est fait dans le film pour faire
comprendre que la réaction de l’humanité face
à lui n’est rien d’autre qu’une
répétition du comportement humain face à tout ce
qu’il définit comme étranger : les roux, les
noirs, les juifs, les Africains, les pauvres ou… les
extraterrestres. On assiste alors dans District 9 à un
concentré de bêtise et de méchanceté humaine
face à ce qui est considéré comme étranger.
Les hommes décident ainsi d’ouvrir le vaisseau, y trouvent
les innoffensifs extraterrestres et décident de les parquer dans
un ghetto. Ils cloisonnent celui-ci et délaissent les
extraterrestres qui finissent par vivre dans un véritable
bidonville.

Le discriminé du futur

Plus que de pointer cette propension de l’humanité
à rejetter ce qui lui est étranger, le film donne une
tournure concrète et historiquement située à ce
rejet, ne serait-ce qu’à travers le choix du bidonville
comme décor. On est hors de la pure science-fiction, ce
bidonville appartient au XXe siècle reste toujours
d’actualité. Le parallèle entre extraterrestre et
actualité est encore souligné, en partie avec humour, par
la reprise de tout ce qui constitue le langage social
développé contre l’étranger. Ainsi les
extraterrestres seraient violents, sales, passant leur temps à
s’enivrer. Dans leurs quartiers, la prostitution se
développerait. Et à aucun moment, ces
éléments ne sont attribués au contexte,
c’est-à-dire au fait que les extraterrestres vivent dans
un bidonville. Au début du film, des gens ordinaires expliquent
à quel point ils en ont marre des extraterrestres, pourquoi ils
ne se sentent plus en sécurité depuis qu’ils sont
là. Ainsi certains quartiers, certains moyens de transports
deviennent interdits aux extraterrestres. Il est clair qu’ici on
pourrait remplacer tout simplement les extraterrestres par
d’autres groupes de personnes pour tomber dans un
réalité qui nous est proche. On pense notamment à
l’apartheid auquel le film fait directement
référence à travers le choix de la ville de
Johanesburg comme décor. Ce parallèle entre
extraterrestres et humains pourrait sembler quelque peu forcé si
les extrarterrestres du film apparaissaient comme inexorablement
différents. Or, si leur aspect est effectivement
éloigné de celui des hommes, il existe deux
éléments forts qui les rapprochent de
l’humanité en rendant une égalité
possible : humains et extraterrestres peuvent parler ensemble et
également avoir une relation sexuelle. Ainsi la communication
entre espèces est possible, il n’existe aucun obstacle
infranchissable.

    L’humanité, tout au long de District 9,
apparaît sous un bien mauvais jour. Elle ne fait preuve que de
violence, d’égoisme. Si elle maintient les
extra­terrestres dans des conditions de survie, c’est
uniquement par désir de puissance, la maitrise des armes
extraterrestres étant l’unique raison de leur maintien sur
terre. Le personnage principal du film sera contaminé et se
transformera petit à petit en extraterrestre. Non seulement son
apparence change, mais surtout il devient de moins en moins stupide et
de moins en moins égoiste pour finir par faire acte de
générosité.

La fiction comme arme critique

District 9, pour peu qu’on prenne le temps de dépasser ses
côtés nanar, est un film vraiment intéressant, qui
sans avoir l’air d’y toucher, réussit à
aborder une thématique forte et actuelle. Critiquant ouvertement
la façon dont notre société traite tout ce
qu’elle considère comme étranger, sa propension
à rejeter, à sigmatiser, à ghettoiser des gens
selon leur apparence physique. En France, pour parler de politique
d’immigration, on fait un film d’amour,
c’est-à-dire un film qui finit par tourner autour
d’individualités. Le choix de la science fiction, lui,
malgré son côté métaphorique, ou
plutôt grâce à lui, permet une critique
véritablement globale et politique de notre civilisation.

Pierre Raboud