Assurances sociales: les bourgeois à l’offensive sur tous les fronts

Assurances sociales: les bourgeois à l’offensive sur tous les fronts



Dans le style euphémisé
qui est le sien, l’« Année politique
suisse » expliquait, dans une synthèse, que dans
les années 90, « une évolution
économique défavorable a puissamment modifié les
conditions cadres […] des assurances sociales » et
que « le concept de neutralité des coûts est
devenu le leitmotiv de chaque changement
législatif ». Aujourd’hui, ce n’est
plus de neutralité dont il est question, mais bien de guerre
ouverte.

Quoi que l’on ait pensé du financement additionnel de
l’assurance-invalidité (AI), l’avenir
immédiat est celui de la 6e révision a et b.
L’objectif est clair : dans la 6e a, 12 500 rentes
doivent être supprimées (soit le 5 % du total),
4000 de ces rentes étant retirées aux personnes
touchées par des invalidités
« somatoformes », comme la fibromyalgie ; la
6e b devra, à travers de nouvelles restrictions au niveau des
dépenses, permettre des économies du même ordre.
Ces objectifs s’ajoutent à ceux de la 5e
révision : diminution de 4 % des rentes,
réduction massive de l’octroi de nouvelles rentes
(– 46 % entre le premier semestre 2009 et le
premier semestre 2003) et chasse aux abus (qui ne représentent
même pas 1 % des cas !). Bloquer cette 6e
révision est une tâche élémentaire du
mouvement syndical, des associations de
handicapé·e·s et de la gauche politique.

AVS : les démolisseurs à l’œuvre

L’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes, avec
en perspective 67 ans pour tout le monde, tel est le premier plat du
peu ragoûtant menu de la 11e révision de l’AVS.
L’adaptation de rentes ne devrait se faire que lorsque le
renchérissement dépassera les 4 % depuis la
dernière adaptation. L’indice mixte qui permettait de
calculer l’adaptation en tenant compte à la fois de
l’évolution des prix et des salaires est clairement
menacé. Ici aussi, les forces de gauche et les organisations de
retraité·e·s n’éviteront pas le
référendum.

    En matière de prévoyance
professionnelle (2e pilier), nous voterons certainement au printemps
prochain sur l’abaissement proposé du taux de conversion,
qui permet, à partir du capital vieillesse accumulé, de
calculer la rente versée. La première révision de
la LPP avait enclenché un passage progressif de 7,2 %
à 6,8 %. Le référendum porte sur une
réduction supplémentaire à 6,4 %. Le taux
d’intérêt minimal obligatoirement servi par les
caisses est passé de 2,75 % à 2 % en
janvier de cette année, alors que son adaptation à la
hausse durant les années fastes avait été
systématiquement freinée par le Conseil
fédéral. Comme c’est bizarre…

    Les récents débats autour des primes
des caisses-maladies ont nettement fait apparaître la tendance
forte du régime d’austérité voulu par la
droite : aller vers la suppression et le redimensionnement de
certains hôpitaux et, au passage, dégrader les conditions
de travail du personnel. En attendant, une série de
réformes sont en discussion au parlement. On y parle de tarifs
hospitaliers forfaitaires (auxquels les hôpitaux devraient se
soumettre), de gestion des soins (managed care) limitant le choix du
médecin et de suppression de l’obligation de contracter,
qui permettrait aux caisses de choisir
« leurs » médecins et autres
fournisseurs de prestations.

    La Loi sur l’assurance-accidents (LAA) fait
moins parler d’elle. Pourtant, sa révision se
prépare aussi. Son but : placer la caisse nationale
d’accidents, la SUVA, dans une situation
d’infériorité par rapport aux assureurs
privés, afin qu’une plus grande part du marché de
l’assurance leur revienne. En gros, les bons clients (grosses
primes et faibles risques) iraient chez les assureurs privés, la
SUVA se chargeant des mauvais risques, ce qui
déséquilibrerait son bilan et la ferait rentrer dans la
spirale des mesures d’économies et de la chasse aux abus.

LACI : plus de chômeurs = moins de prestations

Le principe d’une assurance est d’entrer en action lorsque
le risque qu’elle couvre se réalise. Nos bourgeois ont
réussi à mettre cul par-dessus tête cet axiome.
Quand, à la suite de la crise capitaliste, le chômage
augmente, l’assurance du même nom (LACI) exclut des
assurés. Malin, non ? En tout cas pas pour ceux qui
seront touchés par la révision en cours de la LACI,
basée sur une réduction de rentes en fonction de la
durée de cotisation. Elle soumet certaines catégories,
comme les étudiants, à un délai d’attente.
La commission de l’économie et des redevances du Conseil
national vient récemment de durcir le rapport entre la
durée de cotisations et celle des prestations, alors que les
cantons se verront par ailleurs privés de la possibilité
de prolonger la durée de l’indemnisation en cas de fort
chômage. Autre « cadeau » du même
genre, les chômeurs et chômeuses de plus de 55 ans
n’auront plus droit qu’à 520 indemnités
journalières au maximum et le supplément de 120 jours
avant l’âge de la retraite est supprimé. Jeunes et
vieux sont ainsi cyniquement expédiés à
l’aide sociale par la révision de la LACI. Là
aussi, le référendum s’imposera.

La cohérence du capitalisme

La droite et les organisations patronales ne font pas seulement
qu’appliquer l’idéologie néolibérale,
qui veut que la dépense publique soit une mauvaise
dépense. Ce sont des intérêts fort matériels
qu’elles défendent en la matière. En
empêchant systématiquement toute hausse de la
« cotisation sociale », elles visent à
contenir le salaire indirect ou social qu’elle représente
en réalité. Contenir le salaire, c’est
préserver ou augmenter la marge de profits. Réduire le
rôle de l’assurance publique, c’est ouvrir les
secteurs rentables de l’assurance aux capitaux privés.
Au-delà des nécessaires batailles défensives et
référendaires, un large débat doit être
mené sur des ripostes d’ensemble, permettant de sortir de
la logique du coup par coup. En s’inspirant de la même
ténacité que nos adversaires et d’un point de vue
tout aussi global.

Daniel Süri