Festival de Salzbourg 2009: Al gran sole carico d’amor

Festival de Salzbourg 2009: Al gran sole carico d’amor



La représentation de
l’« action scénique » de Luigi
Nono « Al gran sole carico d’amor » (Au
grand soleil d’amour chargé) mettant en scène des
personnages historiques de femmes révolutionnaires donne
à voir une splendide synthèse de beauté,
d’utopie et de révolution.

Le Festival de Salzbourg n’est pas vraiment connu pour ses
audaces, c’est un lieu élitaire et cher : ce
cliché doit être utilisé aujourd’hui avec
précaution. Car même si le Festival a toujours
été moins conformiste que sa réputation, la
représentation de l’opéra de Luigi Nono Al gran
sole carico d’amor reste une expérience singulière.
L’endroit dégage une beauté
particulière : devant les fortifications et le panorama
de l’ancienne ville baroque, se trouve la
« Felsenreitschule », un manège
d’été, construit en 1693 par les
princes-évêques qui régnèrent sur la ville
jusqu’en 1804. Les anciennes arcades pour les spectateurs sont
enchâssées dans la falaise, au fond se trouve une
scène de 40 mètres, offrant le meilleur cadre possible
à la complexité de l’« azione
scenica ».

    Comme d’autres opéras et
« Singspiel », l’œuvre est
hautement émotionnelle, sans pourtant suivre d’aucune
manière la dramaturgie habituelle. Le livret est un collage de
textes, de Karl Marx, Lénine, Louise Michel, Maxime Gorki,
Bertolt Brecht, Tania Bunke, pour n‘en citer que quelques-uns.
L’« azione scenica » comporte deux
parties. La première relie les événements de la
Commune de Paris avec le déroulement de la Révolution
cubaine, à travers la figure de Tania Bunke, guérillera
et compagne du Che, née en Argentine et qui a grandi dans
l’ex-Allemagne de l’Est. Le 31 août 1967, elle meurt
dans une embuscade tendue par les soldats boliviens le long du Rio
Grande. La deuxième partie est plus diverse mettant en
scène la Révolution cubaine, la Russie de 1905, le
Vietnam et Turin au début des années 50. Des personnages
fictifs et littéraires sont au premier plan : La
Mère, d’après les textes du même nom de
Maxime Gorki et de Bertolt Brecht; la prostituée Deola dans le
Turin des années 50; et une mère turinoise, qui, avec son
fils et son mari, fait l’expérience d’une
grève à la Fiat, ces deux personnages féminins
d’après des textes de Cesare Pavese.

    Sur la gauche de la scène, des petites
chambres sont alignées comme les rayons d’une ruche. De
petites scènes s’y déroulent : Louise
Michel, animatrice de la Commune de Paris, rédige une lettre;
dans le Turin des années 50, une mère teint des morceaux
de tissus en rouge pour qu’ils puissent servir de drapeaux; Tania
Bunker cache des microfilms et écrit une lettre d’adieu
à sa mère : « mon nom ne sera-t-il
plus rien un jour ? » Toutes ces scènes sont
filmées et projetées en direct sur un grand écran
qui occupe toute la partie droite de la scène.
L’écran est recouvert d’une couleur gris-blanc,
donnant une patine aux images projetées. Sous
l’écran se tiennent le chœur et les chanteuses
solistes. Dans une vitrine en verre placée devant les chanteuses
se trouvent des artefacts de ces personnages en partie réels, en
partie fictifs.

    La metteuse en scène anglaise Katie Mittel a
inscrit l’action dans une trame cinématographique :
une jeune femme visite les vitrines d’un musée de la
Révolution, elle regarde les objets qu’elles contiennent,
les prend, les repose. Elle accompagne les spectateurs et les
spectatrices dans un voyage dans le temps à travers les
révolutions, événements le plus souvent tragiques
et parfois sanglants. Raison pour laquelle certains critiques parlent
de cette œuvre comme d’un
« Requiem ».

    Aussi cohérente, logique et magistrale que
soit cette mise en scène, elle court le risque de parfois
détourner l’attention de la musique. Les Wiener
Philharmoniker sont dispersés dans l’espace. La musique
recourt aussi à des bandes magnétiques, en plus des
chanteuses, du chœur et de l’orchestre. André
Richard, l’ingénieur du son, a complètement
restauré les bandes originales pour les représentations
salzbourgeoises. Le son parvient de partout, les places situées
à l’arrière bénéficiant de la
meilleure qualité acoustique. Les sopranos, extraordinaires,
sont les plus impressionnantes. Ces voix claires et pures contribuent
le plus — avec le chœur — à subjuguer le
public. La musique, dramatique, complexe, n’est pas avare en
émotions.

    A la fin du spectacle, les applaudissements
d’un public conquis, les bravos, sont survenus trop tôt. On
aurait volontiers apprécié quelques minutes de silence
pour laisser opérer ce qui avait été vu et
entendu.


Angela Huemer

Sozialistsche Zeitung, trad. ds