Swissair: quand le capitalisme joue à qui perd gagne

Swissair

Quand le capitalisme joue à qui perd gagne

Une débâcle devisée à 17 milliards
payés par les salarié-e-s et les contribuables.
A Swissair, le capitalisme
suisse joue à qui perd gagne avec la
collaboration d’un mouvement syndical
largement complice.

Face à la faillite de Swissair, depuis plus de six mois,
nous tentons d’opposer une résistance syndicale à ce
qu’il faut bien appeler une débâcle de grande envergure
du capitalisme suisse. En effet, claquer 17 milliards
sans avoir les moyens de sauver un outil industriel
performant, c’est une déroute financière à
l’échelle d’un pays. Nous n’avons pas ménagé nos
efforts pour tenter d’organiser, au plan national, une
opposition syndicale à la mesure de ce fiasco. Il est
regrettable de constater qu’après avoir déployé une
activité intense auprès des collègues de Zurich, nous
n’ayons pu rallier à notre orientation syndicale
opiniâtre, sinon les responsables syndicaux de cette
région, du moins la base des employé-e-s. Nous
avons démontré pourtant qu’à Genève il était possible
de mobiliser les salarié-e-s de ce secteur industriel
dans la perspective de défendre pied à pied leurs
intérêts.

Les signes avant coureurs d’une crise
économique profonde

Cette capitulation des responsables syndicaux zurichois,
notamment parce qu’ils ne se battent pas bec
et ongles pour faire respecter l’article 333 du code des
obligations, est d’autant plus grave qu’elle a lieu au
début d’une nouvelle phase de récession à l’échelle
internationale. Du côté des banques et du patronat on
ne s’est pas trompé. Au début de la précédente crise
des années 90, il était question de baisse des indemnités
de chômage, de gel des salaires, de dérégulation
des conditions dans lesquelles les licenciements collectifs
s’effectuaient. Aujourd’hui, il est question de
non-respect du code des obligations, de non-respect
des conventions collectives, de refus de poursuivre la
prise en charge des préretraités victimes de précédentes
restructurations. On le voit bien, c’est une
attaque d’une toute autre envergure qui permettra au
patronat et aux responsables financiers, dans un premier temps, de tester le degré de mobilisation et de
résistance des salarié-e-s et, dans un second temps,
d’imposer encore un peu mieux la suprématie du capital
sur le travail en Suisse. Ainsi, du degré de résistance
des salarié-e-s dépendra la manière dont seront
traités les employées et les employés au cours de la
dépression à venir.

La ligne syndicale que défendent les collègues zurichois
au sein de la VPOD du groupe trafic aérien, à
savoir la défense prioritaire, non pas des conditions
de travail et de vie des salarié-e-s, mais du projet
entrepreneurial 26/26 de Crossair Plus, ne permet pas
d’entrevoir un meilleur avenir pour les salarié-e-s de
ce pays. En effet, subordonner la défense des postes
de travail aux projets du patronat et des banques sans
leur opposer par la mobilisation les revendications du
mouvement syndical est suicidaire. Historiquement
d’ailleurs, les mouvements syndicaux dignes de ce
nom ont toujours mis en avant les préoccupations de
leurs membres, à savoir : un emploi de qualité qui
permette de vivre décemment. Ainsi, prétendre que de
faire la grève est «une plaisanterie», revient à capituler,
tant sur le plan de la défense des intérêts immédiats
des salarié-e-s, de l’organisation autonome des
travailleurs/euses et du développement d’une alternative
syndicale anticapitaliste.

La «nouvelle économie», un bla-bla-bla…

Au début des années 90, les nouveaux capitalistes
tenaient un discours pour donner un nouveau look
aux règles fondamentales du système. Ceux qui diffusaient
cette prose tentaient ainsi de gagner à leur
cause des pans entiers de la petite bourgeoisie et de
certaines couches de salarié-e-s, déboussolés par la
conversion brutale de la social-démocratie aux vertus
du libéralisme économique et par l’effondrement du
mur de Berlin. Il n’est aujourd’hui plus qu’un discours
creux pour les milieux financiers et le patronat, sauf
lorsqu’il permet encore de soumettre un peu plus les
salarié-e-s et leurs représentants syndicaux aux diktat
des lois du marché. Nous pensons ici au discours sur
la non-intervention de l’Etat et à la réalité de l’interventionnisme
accru du Conseil fédéral dans le dossier
Swissair ou encore, toujours dans l’affaire Swissair, à
monsieur Paul Brugisser qui, le premier, a arraché un
accord aux responsables syndicaux en tentant d’inclure
une partie du capital de la caisse de pension
dans le bilan de SAir group et enfin, à monsieur Mario
Corti, qui a tenté, encore une fois, avec l’appui des
responsables syndicaux zurichois, de rendre
inéluctable une baisse de 30 % de la masse salariale
pour pérenniser le projet Crossair Plus.

Une nécessaire reconstruction syndicale

Dans cette confrontation entre le capital est le travail,
il n’y a plus de place pour les demi-mesures. On le
voit bien, une ligne syndicale qui voudrait se passer
de la construction d’un rapport de force en comptant
uniquement sur la bonne volonté des interlocuteurs
patronaux ne peut plus escompter les miettes qu’elle
recevait durant les trente glorieuses. Les milieux financiers
et le patronat, les yeux rivés sur leurs taux de
profits, n’ont cure de satisfaire des revendications qui
ne seraient pas portées par un fort mouvement de
mécontentement et de lutte. Cette évidence, n’a malheureusement
pas été intégrée, non seulement par
certains dirigeants syndicaux zurichois, mais encore
par une grande majorité du mouvement syndical, y
compris romand. Il est donc nécessaire de poursuivre
le débat au sein de toutes les fédérations et de faire
trancher ces questions par un large débat démocratique
impliquant les militant-e-s syndicaux et les
salarié-e-s de suisse le plus largement possible.
Seulement ainsi, la déconfiture de Swissair pourrait
conduire à une relance indispensable de l’activité syndicale
revendicative.

Rémy PAGANI