L’aquaculture tourne à la catastrophe

L’aquaculture tourne à la catastrophe



Trop dépendant des exportations
de cuivre, le Chili a choisi de développer le saumon
d’élevage. Pour devenir le deuxième producteur
mondial, toutes les méthodes de surexploitation étaient
bonnes. Après l’épidémie
d’anémie infectieuse du saumon (AIS) qui a vidé les
fermes aquacoles, la crise économique, sociale et
écologique frappe tout le secteur.

Souvent présentée comme la réponse à
l’épuisement des ressources halieutiques,
l’aquaculture industrielle possède trois défauts
principaux, écologiquement parlant. Premièrement, sa
rentabilité repose sur une production de masse où le
risque sanitaire est élevé, d’où le recours
aux antibiotiques et aux produits phytosanitaires. Deuxièmement,
cette forte concentration de poissons entraîne une grande
quantité d’excréments, venant tapisser les fonds
marins, qui dépérissent alors par manque
d’oxygène. Troisièmement, les poissons sont nourris
pour croître le plus rapidement possible; on les gave donc de
farines et d’huiles de poissons, ce qui stimule en retour la
surpêche. La chimie s’en mêle aussi et le produit
fini, notoirement plus gras que ses congénères sauvages,
a perdu beaucoup de ses qualités nutritionnelles. Socialement,
la branche est réputée pour surexploiter également
les travailleurs et les travailleuses qu’elle emploie.

Un saumon fumeux

Sous ce double aspect, écologique et social, le Chili est une
caricature. Le gouvernement chilien a dû révéler
qu’en 2007, la salmoniculture avait utilisé 325 tonnes
d’antibiotiques, soit 600 fois plus que la Norvège pour
une production similaire. L’entreprise multinationale
d’origine norvégienne Marine Harvest, n° 1 de
la branche, révélait qu’en 2007, le rapport en
poids entre les antibiotiques et le saumon était 36’000
fois plus haut dans ses installations chiliennes qu’en
Norvège et 8’000 fois plus en 2008. « Comme
on faisait beaucoup d’argent et que tout se passait bien, il
n’y avait pas de raison d’adopter des mesures plus
strictes » avouera le porte-parole de Marine Harvest.
S’entretenant avec le journaliste Raúl Zibechi, le
vétérinaire et directeur de l’organisation
écologique Ecoceanos, Juan Carlos Cárdenas dira
« les multinationales européennes font au Chili ce
qui leur est interdit dans leur pays. »
(http://infosud.tele.free.fr). Quarante pour cent des antibiotiques
utilisés appartiennent à la famille des quinolones, un
produit interdit par la Food and Drugs Administration aux Etats-Unis.
Dans le monde entier, la résistance bactérienne aux
quinolones augmente de manière alarmante. Localement, la
résistance bactérienne à la ciproflaxine a
été établie. Dans un rapport de 2005, l’OCDE
– même elle ! – avait critiqué les
nombreuses fuites de poissons (un million par an, près de deux
millions en 2004), l’utilisation de fongicide comme le vert de
malachite (un cancérigène interdit depuis 2002) et un
usage excessif d’antibiotiques. La fuite des poissons concourt
à la propagation de maladies infectieuses. Le traitement des
déchets industriels par l’industrie du saumon est
également désastreux.

Une main-d’oeuvre surexploitée

Ce mépris pour la nature se double d’un égal
mépris pour les femmes et les hommes. Selon la Marine nationale
chilienne et la Direction du travail chilienne, il y a eu 42 morts ou
disparus en mer dans ce secteur entre février 2005 et juin 2007,
essentiellement parmi les plongeurs chargés de l’entretien
des enclos sous-marins. Sur les 4 000 plongeurs employés,
seuls 100 disposaient, en 2007, de la formation adéquate. Bien
qu’annoncées à l’avance, les 572 inspections
du travail faites entre 2003 et 2005 ont débouché sur des
amendes dans 70 % des cas. Sur les 50’000 travailleurs et
travailleuses de la branche, 70 % sont des femmes, un taux qui
s’élève à 90 % à la
production. Elles travaillent debout, dans le froid et
l’humidité, 10 à 12 heures par jour. La
précarité est répandue, les brimades aussi
(accès aux toilettes refusé, par ex.) La grossesse peut
être synonyme de licenciement. Deux tiers des entreprises
salmonicoles ne respectent pas la législation du travail et les
salaires sont évidemment bas.

La mer bientôt privatisée ?

Introduit sous la dictature d’Augusto Pinochet, qui voulait
diversifier les exportations chiliennes, alors surtout axées sur
l’or rouge (le cuivre), « l’or
rose » est ardemment soutenu par le gouvernement de
Michelle Bachelet (social-démocrate). Elle a mis à
l’abri de la justice chilienne le principal animateur de la
privatisation de l’industrie étatique de la pêche,
l’ancien sous-secrétaire d’Etat, Felipe Sandoval.
Symbole de la corruption de cette branche, il est accusé
d’avoir perçu plus de 700 000 dollars en fausses
notes de frais. Aujourd’hui, il dirige l’organisme
« Table du Saumon » et
« Pôle de compétence
aquaculture » qui réunit l’Etat et les
entrepreneurs pour repositionner l’industrie du saumon
après l’effondrement de son principal
débouché, les Etats-Unis, effrayés par
l’épidémie d’AIS. Alors qu’on
prévoit que plus de 40 000 personnes seront
licenciées dans cette industrie à fin 2009, le
gouvernement a déposé ce printemps un projet de loi
destiné à faciliter le refinancement des entreprises.
Elles bénéficieront d’une cession
perpétuelle de droits sur le territoire maritime, devenu bien
hypothécable. Autrement dit, la social-démocratie
chilienne vient d’inventer la privatisation de la mer.


Daniel Süri.