Allemagne: Une polarisation qui penche à droite

Allemagne: Une polarisation qui penche à droite



La gauche radicale progresse lors des
élections fédérales allemandes, sans compenser, de
loin, les pertes sévères
de
la social-démocratie. De l’autre côté de
l’échiquier politique, la CDU d’Angela Merkel fait
un résultat médiocre, alors que les
néolibéraux du FDP font une percée.

Le prochain gouvernement allemand sera noir-jaune, regroupant les
démocrates-chrétiens (qui perdent 1,4 %, de
35,2 % à 33,8 % des voix, avec la CSU bavaroise)
et les libéraux (qui gagnent 4,8 points, de 9,8 %
à 14,8 %). Déjà, les négociations
s’annoncent difficiles, le FDP de Guido Westerwelle exigeant une
application rapide des principales mesures de son programme, en
matière fiscale et sociale notamment. En cela, il suit les
recommandations du patron des patrons allemands, Dieter Hundt, qui
expliquait, juste avant le vote du 29 septembre, que ses quatre
priorités étaient : a) le financement des
entreprises ; b) le refus de tout nouvel impôt, de toute nouvelle
taxe et de toute bureaucratie supplémentaire –
comprenez : de tout contrôle public ; c) la
réduction de la dette publique et d) la diminution à
terme des taxes et des impôts. Autrement dit, une nouvelle vague
d’attaques antisociales est planifiée. Le débat
entre la CDU, qui reste largement majoritaire avec 239 des 662
sièges du parlement, et le FDP portera sur les rythmes et
l’ampleur de cette offensive. Le salaire minimum sera un des
premiers objets en discussion dans le camp bourgeois. Si les 93
sièges du FDP ne lui permettent pas de forcer la main à
la CDU, celle-ci, qui a réalisé son plus mauvais score
depuis 1947, ne peut renoncer à l’alliance avec les
néolibéraux, qui ont fait main basse sur tout ce qui
était à droite de la CDU, racistes et xénophobes y
compris.

Le K.-O. des sociaux-démocrates

A gauche, la défaite est cuisante pour le SPD, qui passe de
34,2 % des suffrages en 2005 à 23,01 % en 2009.
Une perte de 4,5 millions de voix, voire 10 millions, si l’on
prend 1998 comme référence. Ces
déçu·e·s de la social-démocratie ont
d’abord été grossir les rangs des abstentionnistes,
pour environ 1,6 million d’entre eux, ce qui explique le
« faible » taux de participation (pour
l’Allemagne, s’entend) de 70,8 %. Le reste des
ancien(ne)s électeurs et électrices du SPD se sont
portés sur le parti de la gauche radicale Die Linke
(780 000), sur les Verts (710 000) et la CDU
(620 000). Car l’autre fait marquant de ces
élections réside dans la progression de Die Linke, qui
avec 11,9 % des voix et 76
député·e·s devient la quatrième
force électorale du pays, juste devant les Verts. Pour Die
Linke, ce résultat indique qu’il n’est plus
seulement fort dans les régions de l’ancienne Allemagne de
l’Est (33,8 % des voix à Berlin-Est, 32,4 %
en Saxe-Anhalt, p. ex.), mais qu’il a commencé à
mordre à l’Ouest. Non seulement dans le fief de son
dirigeant le plus connu, Oskar Lafontaine (21,2 % dans la
Sarre), mais aussi dans des régions plus peuplées, comme
la Bavière, le Bade-Württemberg, la Basse Saxe, et la
Rhénanie-Westphalie du Nord. Même s’ils portent sur
des pourcentages inférieurs à 10 %, les taux de
progression sont quelquefois marqués (près de 25 %
en Rhénanie-Westphalie du Nord). Die Linke n’est donc plus
seulement le parti de
« l’élite » et
« des perdants » de l’ancienne RDA, il
est aussi devenu le principal canal d’expression de la
contestation sociale. Gagnant plus d’un million de voix, il est,
selon les sondages, le premier parti auprès des chômeurs,
mais le troisième auprès des travailleurs (après
la CDU et le SPD). Il a reçu durant la campagne
électorale le soutien de plus de 1’600 responsables
syndicaux à divers niveaux (comités d’entreprises,
délégués syndicaux, secrétaires syndicaux,
etc.). Il est toutefois surreprésenté dans la classe
d’âge 45-59 ans et doit gagner dans la jeunesse.

Une mobilisation éparse

Cette radicalisation à gauche traduit aussi une mobilisation
sociale qui a fait descendre des centaines de milliers de
manifestant·e·s dans la rue cette année.
55 000 lors de la manifestation « Nous ne payerons
pas votre crise ! » du 28 mars; 80 000 lors
de la manifestation de la centrale syndicale DGB le 15 mai ;
250 000 lors de la grève dans l’éducation en
juin, 25 000 lors de la grève du secteur des
crèches et garderies auparavant en mai, 50 000 lors de la
manifestation antinucléaire du 5 septembre et 10’000 une
semaine plus tard pour la manifestation contre la surveillance
policière électronique « Freiheit statt
Angst ».

    Le problème est que ces luttes restent
éparses et que les premières déclarations de
dirigeants syndicaux après la proclamation des résultats
électoraux n’indiquent pas vraiment une volonté de
les faire converger. Le président du DGB a évoqué
certains « points communs » avec les
néolibéraux du FDP, alors que le président de la
principale fédération syndicale, IG Metall, susurrait
qu’Angela Merkel était bien disposée à
l’égard des syndicats. La prochaine vague de mesures
antisociales – repoussées pour cause
d’élections – sera pourtant plus dure que les
précédentes et nécessiterait une riposte en
conséquence. Préparer dès aujourd’hui un
mouvement au niveau des entreprises, des branches et du pays sera une
des premières tâches des membres de Die Linke. Pour
changer le rapport de forces dans le pays et faire tomber la
majorité bourgeoise, une ligne politique claire sur ce que
devrait faire un gouvernement représentant réellement les
intérêts des sans-travail, des travailleurs et des
travailleuses est nécessaire. Rien à voir avec la
collaboration institutionnelle dans laquelle une partie des
élu·e·s de Die Linke s’est complu, comme
à Berlin, malgré les politiques
d’austérité budgétaire appliquées.
Pour la gauche de Die Linke, le travail ne manque pas.

Daniel Süri