Assurance-maladie: la coupe est pleine
Assurance-maladie: la coupe est pleine
À peine les mirobolantes augmentations de primes pour 2010
connues, les caisses se sont précipitées pour en remettre
une couche et annoncer quelles reviendraient à la charge
dans 6 mois, les augmentations nétant pas suffisantes
à leurs yeux. Il sagit peut-être là
dune tactique pour utiliser au mieux la période de la
passation de pouvoir entre Couchepin et son successeur, afin de mettre
une pression maximale sur le petit nouveau, Didier Burkhalter. Avec ou
sans opportunisme des assureurs, cela reste cependant une situation
scandaleuse, qui témoigne de linefficacité
complète du modèle dassurance-maladie
helvétique.
Officiellement, la loi qui règle le domaine,
la LAMal, ce compromis négocié par Ruth
Dreifuss qui y perdit rapidement son statut de
« Maman Helvétie » , repose sur
le principe de la « concurrence
régulée ». Une belle trouvaille, qui
consiste à apparier les technocrates de lOffice
fédéral de la santé publique à la
bureaucratie des caisses pour épuiser les
assuré·e·s dans la course à la prime la
plus basse. Le passage dune caisse à une autre
entraîne une cascade dactes administratifs redondants qui
se retrouveront ensuite dans les primes ; le mécanisme loufoque
dadaptation des réserves caisse par caisse provoque
automatiquement de nouvelles corrections de primes, le plus souvent
à la hausse ; pour couronner le tout, les pratiques des
assureurs aboutissent fréquemment à une
impossibilité concrète pour les « mauvais
risques » de changer de caisse dans lassurance
obligatoire, cela malgré le principe affirmé par la loi.
Dans un tel foutoir, personne ne semble y retrouver
ses petits : à lannonce des hausses des primes
pour 2010, les assureurs regroupés dans santésuisse ont
certes déploré leur trop faible ampleur ; ils se sont
surtout plaints du fait quune fois encore, la forte concurrence
entre les caisses avait conduit à un calcul serré des
primes. Pour lorganisation patronale economiesuisse, cest
au contraire le manque de concurrence dans le domaine de la
santé et le blocage des réformes au parlement qui sont
responsables de la hausse
Si les premiers ne verraient sans
doute pas dun mauvais il un fonctionnement en cartel,
avec ses ententes et sa position dominante, les seconds poussent
à la libéralisation, à lextension de
lemprise du marché sur la santé, ce qui à
long terme nest pas pour déplaire aux premiers.
Les deux sont toutefois daccord pour
réduire au maximum la dimension sociale de
lassurance-maladie. Leur bataille frontale et brutale contre la
caisse unique en 2007 navait pas seulement pour objet de
défendre leur fromage, mais aussi déviter que par
ce biais-là des mécanismes de mutualisation des risques
et de financement public accru ne senclenchent.
Doù aussi leur volonté de maintenir sans faiblir
le système inique de la prime par tête en lieu et place de
la prime en fonction du revenu. Raisons pour lesquelles Madame Decoppet
et Monsieur Müller continueront à supporter directement les
deux tiers des coûts totaux du système de santé.
Cela nest évidemment plus supportable,
encore moins en période de crise. Ce système-là
est incapable de répondre correctement aux besoins de la
majorité de la population. On attend toujours de voir
lapport prétendument bénéfique de la
concurrence et la régulation ne régule rien, sinon le
rationnement de certains soins.
Il est donc grand temps que toutes les forces qui
avaient porté la bataille de la caisse unique relancent
laction revendicative et politique pour une assurance-maladie
véritablement sociale. Ce combat sera long, sans doute. Mais
dautres surent, avant nous, être tenaces en la
matière puisquil a fallu vingt-et-un ans pour passer de
ladoption de larticle constitutionnel sur
lassurance maladie et accidents (1890) à sa traduction en
une loi fédérale (1911). Pressons le pas quand
même !
Daniel Süri