Salaire minimum légal: une urgence face à la crise !

Salaire minimum légal: une urgence face à la crise !

Le lancement d’une initiative
fédérale pourrait constituer une première
réponse, à l’échelle nationale, des
organisations syndicales et de la gauche combative, face à la
crise.

La discussion en vue d’une initiative populaire
fédérale pour un salaire minimum est à
l’ordre du jour au sein du syndicat Unia. Une décision
devrait être prise en novembre 2009. Plusieurs initiatives
populaires à l’échelle cantonale (Tessin,
Genève, Vaud, Valais, Jura) ont, ces derniers mois,
relayé cette revendication.
    Comment mettre un cran d’arrêt à
la pression à la baisse sur les salaires, en particulier
d’embauche pour les jeunes ? Comment combattre
l’extension de l’archipel des bas salaires, qui touche
particulièrement les domaines où travaillent
majoritairement des femmes ? Comment répondre à la
sous-enchère salariale qui profite aux employeurs, largement
facilitée par une augmentation massive du nombre de
chômeurs·euses ? Comment articuler la lutte pour un
salaire minimum avec un refus des nouvelles réductions de
droits, inscrites dans la prochaine révision de la loi sur
l’assurance-chômage(LACI) ? C’est à ces
questions qu’une campagne autour du lancement d’une
initiative fédérale pour le salaire minimum se devrait
impérativement d’apporter un début de
réponse.

Le chômage, une machine à pressurer les salaires

Par rapport à juillet 2008, le
nombre de chômeurs·euses officiellement
comptabilisés en Suisse, en juillet 2009, s’est accru de
plus de moitié, soit de 53 201 personnes. Le
chômage partiel a lui aussi fait un bond: en mai 2009, il a
touché 59 914 personnes, soit 10 983 ou 22,4% de
plus qu’en avril. Le nombre d’entreprises qui ont eu
recours à des réductions d’horaire est
passé, durant le mois de mai, à 3342, soit une hausse sur
un mois de 630 ou 23,2%. Le nombre de demandeurs·euses
d’emploi, qui intègre les chômeurs en situation de
gain intermédiaire ou de formation temporaire, a lui
progressé de 5147 pour se chiffrer à 204 137. En
un an, il a augmenté de 42% ou de 60 339 personnes. Le
chômage des jeunes a connu une dégradation bien plus
marquée que la moyenne.
    Selon les statistiques officielles, entre 1993 et
2002, 1,2 million de personnes ont été touchées en
Suisse par le chômage. Une personne active sur quatre s’est
donc trouvée au moins une fois sans emploi durant cette
période, avec la dégringolade de revenu que cela
entraîne. Et il ne s’agit là que du chiffre officiel
du chômage, sous-estimant largement la
réalité ! Les mécanismes mis en place par
la LACI et sa prochaine révision annoncée constitue un
rouage essentiel d’une politique de pression à la baisse
des salaires, à travers le chantage exercé sur les
chômeurs·euses pour accepter un travail dit
« convenable » et la diminution de revenu
liée au montant de l’indemnité de chômage.

Archipel de très bas salaires et précarité

Selon les résultats de
l’Enquête suisse sur la population active 2004, le taux de
« working poor » s’élevait
à 6,7 %, soit 211 000 personnes en situation de
pauvreté laborieuse. Un chiffre qui s’inscrit dans un
contexte d’augmentation générale de la
précarité. Selon une récente étude
publiée par Caritas, près d’un million de personnes
dépendent d’une aide privée ou publique, dont au
moins 250 000 enfants. Quelque 20 % de la population
court le risque de glisser dans la pauvreté suite à un
divorce, à un licenciement, à la perte d’une rente
AI ou à une facture de dentiste.

    Les salarié·e·s à temps
partiel, avec horaires flexibles et contrats de durée
déterminée, ont plus de risque de devenir pauvres. Plus
de 80% des salariés à temps partiel sont des femmes. Et
près de 100 000 personnes occupent un job à temps
partiel en Suisse, faute d’avoir trouvé un emploi à
plein temps. Ces dernières années, les personnes
« sous-occupées », qui travaillent
moins qu’un temps plein mais désireraient travailler plus,
sont en nombre croissant. Leur augmentation a été de 18%
au cours des dix dernières années. Le nombre de
salarié·e·s occupant des emplois dits atypiques a
fortement augmenté : par exemple, ceux·celles qui
ont au moins deux emplois, qui sont au bénéfice de
contrats de travail de durée déterminée ou qui
sont soumis à des horaires flexibles. 42% des
salarié·e·s sont soumis au régime de
l’horaire flexible, 5% travaillent sur appel et 60% de ces
derniers·ères ne disposent d’aucune garantie
d’horaire hebdomadaire minimal, avec des revenus
irréguliers variant de semaine en semaine. Le travail
intérimaire et celui en sous-traitance connaissent une
véritable explosion. Sur un plan financier, cette
précarité croissante a des conséquences
dramatiques: aux bas revenus s’ajoutent souvent une absence de
couverture en terme d’assurance, avant tout pour ce qui a trait
aux accidents, professionnels ou non, et à
l’incapacité de travail en cas de maladie et au
chômage.

CCT et salaire minimum

Le nombre de
salarié·e·s dont les conditions de travail sont
soumises à une convention collective de travail (CCT) en Suisse
s’élevait à 1,68 million en 2007.  Il
était de 1,52 million en 2005. La principale raison de cette
hausse réside dans la suppression du statut de fonctionnaire au
niveau fédéral et dans de nombreux cantons. Des CCT sont
ainsi négociées dans des secteurs publics qui ne le sont
plus, ou de moins en moins, comme la Poste, les CFF, Swisscom et, dans
certains cantons, les hôpitaux. Une seconde raison tient à
l’application des accords de libre circulation des personnes avec
l’Union européenne. Certaines associations patronales,
pour tenter de réglementer les conditions de concurrence dans
des secteurs économiques liés au marché
intérieur, ont accepté de conclure des CCT. C’est
le cas par exemple de la sécurité privée ou du
nettoyage. Si 50% des salarié·e·s susceptibles
d’être conventionnés sont assujettis à une
CCT, c’est une proportion bien moindre qui
bénéficie d’un salaire minimum garanti dans leur
CCT de branche. De nombreuses conventions, comme celle de
l’industrie des machines, des équipements
électriques et des métaux, ne contiennent aucun salaire
minimal. Or, dans ces secteurs, des salarié·e·s,
en particulier des femmes, travaillent pour des salaires mensuels bien
inférieurs à 4000 francs !

    Dans des domaines comme les assurances, le secteur
informatique, l’économie domestique, les services à
la personne (soins corporels par ex.), dans l’industrie du
tourisme, le secteur de la santé, dans une partie de
l’industrie chimique ou de l’alimentation, ainsi que dans
les grandes chaînes de distribution du secteur de la vente comme
chez Lidl, Aldi, Spar, Manor ou Denner, il n’existe aucune CCT.
Les conditions de travail y sont extrêmement précaires et
les travailleurs-ses souvent payés à des salaires de
misère.

Et en Europe…

Seuls 20 des 27 pays de l’Union européenne (UE) ont un
salaire minimum légal national. Sept pays n’en ont
pas : Allemagne, Autriche, Chypre, Danemark, Finlande, Italie,
Suède. Dans ces pays existent, en revanche, des dispositifs
conventionnels négociés par branche
d’activité. Selon les données Eurostat de juillet
2008, l’écart du salaire minimum mensuel en euro allait de
1 à 14. Le Luxembourg est en tête, avec 9,5 euros par
heure, puis les Pays-Bas, l’Irlande, la France, entre 8,4 et 8,7
euros, puis l’Angleterre avec 7,2 euros. Dans les pays du sud de
l’UE comme la Grèce ou l’Espagne, mais aussi la
Slovénie et la Pologne, le salaire minimum est fixé entre
2 et 4 euros par heure. Le troisième groupe comprend les pays
d’Europe centrale et orientale : en Roumanie et en
Bulgarie, le salaire minimum est inférieur à un euro.
Exprimé en parité de pouvoir d’achat, les
écarts sont certes moins élevés, mais vont
néanmoins de 1 à 7.
    La montée du nombre des travailleurs-euses
pauvres, liée au recul de la couverture conventionnelle, a
conduit à l’ouverture du débat sur le salaire
minimum en Allemagne et en Autriche. Après des mois de
débat au sein de la « grande
coalition » gouvernementale allemande, la majorité
des députés au Bundestag a voté, en
décembre 2007, l’introduction, à partir du 1er
janvier 2008, d’un salaire minimal dans la distribution postale,
qui s’élève à 9,8 euros à
l’Ouest de l’Allemagne… mais à seulement 8 euros
à l’Est. Pour les 220 000
employé·e·s de la poste, dont les salaires sont
plus élevés que ce minimum, cela ne changeait pas grand
chose. Mais les concurrents privés de la Poste, qui ont
accumulé des profits sur le dos de travailleurs·euses
sous-payés (nombre de leurs salarié-e-s touchent moins de
1000 euros net par mois), ne l’entendent pas de cette oreille.
Ainsi l’entreprise TNT, qui appartient à la poste
néerlandaise – elle-même privatisée depuis 1989 – a
tout simplement déclaré qu’elle ignorerait la loi
et a déposé un recours au Tribunal administratif de
Berlin qui a statué, en mars 2007, que le niveau du salaire
minimum violait le Constitution allemande. Certains métiers de
la construction, mais aussi le nettoyage et la construction ont
cependant, dans la pratique, un salaire minimum depuis juillet 2007. Le
ministère du travail allemand vient d’annoncer la mise en
place d’un salaire minimum dans cinq branches: exploitations
minières, pressing, ramassage des déchets, services de
sécurité et formation professionnelle.
    En Grande-Bretagne, la création d’un
salaire minimum national a été l’intervention la
plus importante du gouvernement travailliste dans le domaine de
l’emploi. Au moment de sa création, plus d’un
million de travailleurs·euses à faible revenu ont vu leur
salaire augmenter d’environ 15% en une nuit. Depuis 1999, le
salaire minimum a crû de 59%, alors que les revenus moyens
n’augmentaient que de 30%.

Pour un salaire minimum équivalent à deux tiers du salaire médian

Quelques 450 000 salarié·e·s, soit 11%
environ, touchent en Suisse, pour un travail à temps plein, un
salaire mensuel inférieur à 3500 francs, 13 fois par
année. Parmi les secteurs économiques les plus
touchés par ces bas salaires, le nettoyage (près de 50%
des emplois), l’hôtellerie-restauration (près de
40%), le secteur dit des services personnels (près de 60%),
l’agriculture (près de 50%), ainsi que le commerce de
détail (près de 18%). En général, le niveau
des salaires stagne, mais le pouvoir d’achat recule. S’il
est vrai qu’entre 1998 et 2006, les salaires ont augmenté
nominalement de 2,5%, la hausse officielle des prix à la
consommation a été de 7,9% ! L’augmentation
annoncée pour 2010 des primes d’assurance-maladie, qui
peut aller jusqu’à 15%, va miner encore les revenus des
salarié·e·s.

    Par contre, les salaires des membres des directoires
des grandes entreprises suisses culminent toujours à des niveaux
totalement scandaleux. En 2005, le salaire des membres de la direction
d’UBS s’élevait par exemple à
18 800 000 par an, en augmentation de 9% ! Et cela
sans compter les bonus… Une petite réduction a eu lieu du
fait de la crise financière et économique, mais le
rapport entre les plus hauts et les plus bas salaires au sein des
principaux groupes suisse reste totalement indécent : en
2006, il est de 1 à 396 à l’UBS, de 1 à 91
à Novartis, de 1 à 79 chez Nestlé. Autre
inégalité flagrante : l’écart
salarial entre hommes et femmes. Aujourd’hui encore, les femmes
gagnent en moyenne 20% de moins que leurs collègues masculins.

    Un salaire minimum équivalant à 66 %
du revenu médian doit être institué pour garantir
que personne ne soit obligé de vivre en dessous du seuil de
pauvreté. Le salaire mensuel médian sur le plan national
étant de 5674 francs en 2006, cela signifierait un salaire
mensuel minimum légal fixé à 3745 francs, ou pour
les cantons de Neuchâtel, Vaud et Genève un salaire
minimum mensuel fixé respectivement à 3585, 3627 et 4191
francs.

    La crise économique ne fait seulement que
commencer à déployer ses effets. Les employeurs se
débarrassent de plus en plus de salarié·e·s
comme des Kleenex après usage, en particulier pour celles et
ceux de plus de 40 ans ! La protection légale contre les
licenciements est en effet quasi nulle. Contre la spirale du
chômage qui pousse les salaires à la baisse, la lutte pour
le salaire minimum légal est d’une actualité
brûlante. 


Jean-Michel Dolivo et Vincent Trunde