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N° 153 (10/09/2009). A la une: L'OMC contre les peuples!
p. 7-8
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National
L’affaire UBS révèle la nature de l’Etat
Attaques des fiscs étrangers contre UBS et ses clients fraudeurs, accords de double imposition signés en toute hâte par le Conseil fédéral, revente des actions UBS détenues par la Confédération: les déboires du vaisseau amiral de la place financière suisse et la remise en cause du secret bancaire helvétique continuent à faire la une des journaux, sans pourtant que les enjeux en soient toujours facilement saisissables pour le grand public. Une bonne raison pour solidaritéS de faire le point avec Sébastien Guex, professeur d’histoire à l’Université de Lausanne et spécialiste de la place financière suisse.
Un accord à l’amiable a finalement été trouvé entre le fisc étasunien et l’UBS. Qui sort gagnant de ce conflit ?
Cet accord est incroyablement favorable à UBS. La banque a aidé des milliers de riches contribuables américains à violer les lois de leur pays en fraudant le fisc. En droit pénal, cela équivaut à du recel et c’est grave. Pourtant, la banque n’écope même pas d’une amende ! Plus révélateur encore, un détail de l’accord précise que si, après une année, la banque n’a pas respecté ses engagements, aucune sanction financière ne pourra être prise contre elle. Je ne peux donc pas imaginer que la Confédération ne se soit pas livrée à d’autres concessions significatives en échange. On peut ainsi imaginer – mais ce ne sont là bien sûr que des suppositions de ma part – que la Suisse se soit engagée à mener une politique de surévaluation du franc, ce qui se solderait par une baisse du coût des exportations et par une hausse du coût des importations en provenance des Etats-Unis: en gros, cela signifierait des milliers de chômeurs et de chômeuses en plus en Suisse et des milliers en moins aux Etats-Unis… On peut aussi imaginer que la Suisse ait promis d’acheter ses nouveaux avions de chasse aux Américains, ou que sais-je encore… La Confédération a d’ailleurs pu aussi montrer les dents, en menaçant de vendre ses dollars américains par exemple, ce qui aurait pu entraîner un effet boule de neige sur d’autres banques centrales et mettre ainsi en difficulté les Etats-Unis sur le plan monétaire.L’intervention de la Confédération a donc été déterminante ?
Tout à fait. Avec cette affaire, c’est la vraie nature de l’Etat bourgeois qui se révèle. Pendant plusieurs semaines, le cœur même de l’appareil d’Etat et sa haute administration – départements de la justice, des finances, des affaires étrangères – se sont mis entièrement au service d’une banque ayant aidé des citoyen·ne·s étrangers à violer les lois de leur pays. Le Conseil fédéral se réunissait en session extraordinaire une fois par semaine uniquement pour discuter de l’affaire ! Lorsque des entreprises suisses annoncent des plans de licenciements massifs, comme cela a été le cas plusieurs fois ces derniers mois, y compris l’UBS qui s’apprête à licencier 2000 ou 3000 employé·e·s en Suisse, on n’a malheureusement jamais vu une telle mobilisation de la part du gouvernement pour sauver les emplois…C’est que le secret bancaire est reconnu comme un bien public par le Conseil fédéral, au même titre que la sécurité dans les rues ou les transports publics, alors qu’il ne profite qu’à une petite minorité de grandes fortunes…Les douze accords de double imposition que la Suisse a dû signer pour sortir de la « liste grise » de l’OCDE sont-il de nature à remettre en cause le secret bancaire helvétique ?
Pour prendre une image, on pourrait dire que le secret bancaire suisse est une forteresse à deux murailles. Aujourd’hui, c’est seulement la porte de la seconde muraille qui est entrouverte, avec la suppression de la distinction entre fraude et évasion fiscale. Mais cela ne constitue en rien une levée complète du secret bancaire, qui supposerait le démantèlement de la première muraille, c’est-à-dire un échange automatique d’informations entre fiscs et entre ceux-ci et les banques. Il est d’autre part trop tôt pour savoir comment, dans la jurisprudence future, sera appliquée la suppression de la distinction fraude-évasion. Les autorités suisses cherchent ainsi à empêcher les fishing expeditions, c’est-à-dire que les fiscs étrangers puissent obtenir des informations de l’Administration fédérale des contributions sur la base de simples soupçons et non sur la base de renseignements étayés et précis (noms des fraudeurs présumés, des sociétés impliquées, etc.) Tout cela dépendra de l’évolution des rapports de force entre les gouvernements suisse et étrangers.Mais il faut relever ici que, si la distinction entre fraude et évasion a été supprimée pour les fiscs étrangers, elle subsiste pour le fisc suisse. La Suisse avantage les fiscs étrangers par rapport à son propre fisc et le Conseil fédéral n’a rien entrepris contre les riches fraudeurs résidant en Suisse : il me semble que cette position est intenable, ne serait-ce que d’un point de vue constitutionnel!
Pourquoi assiste-t-on aujourd’hui à une attaque généralisée contre le secret bancaire de la part de l’Union européenne aussi bien que des Etats-Unis ? Est-ce parce que les Etats doivent renflouer leurs caisses en raison des déficits entraînés par la crise économique ?
Cette explication avancée par la plupart des commentateurs ne me convainc pas entièrement. Le déficit des Etats-Unis est proprement colossal, plus de 10% d’un PIB de 15’000 milliards de francs. Face à de telles sommes, même si le fisc US récupère quelques milliards en Suisse, cela n’y changera pas grand-chose. Je pense qu’il faut chercher l’explication de cette attaque généralisée et conjointe à laquelle doit faire face le secret bancaire suisse du côté de l’affaiblissement inédit des grandes places financières mondiales, notamment américaine et britannique, à la suite du tsunami financier de l’année dernière. Rappelons par exemple, que les quatre plus grandes banques d’affaires américaines ont à peu près disparu dans la tourmente financière de l’année dernière, ce que personne ne pouvait imaginer il y a peu… Dès lors, les grandes puissances cherchent avant tout, me semble-t-il, à affaiblir l’avantage concurrentiel que représente le secret bancaire suisse pour récupérer des parts du marché très juteux que constitue la gestion de fortune.Qu’en est-il du prêt qui a été accordé à l’UBS par la Confédération et la BNS ? Est-ce que le contribuable suisse risque de perdre l’argent qu’il a généreusement prêté à l’UBS il y a quelques mois ?
Il faut bien distinguer deux choses: il y a d’abord la Banque nationale (BNS) qui a racheté pour 40 milliards de francs environ de créances pourries, et d’autre part la Confédération qui a avancé un prêt de 6 milliards lorsque la capitalisation d’UBS était insuffisante. La valeur des créances pourries est estimée aujourd’hui à environ 28 milliards de francs. Si la BNS vendait maintenant ces créances, elle perdrait donc environ 12 milliards. Je dis «environ», car il faut bien souligner qu’en Suisse, tout cela se fait dans une absence totale de transparence, contrairement aux Etats-Unis où les débats sur le renflouement des banques étaient retransmis dans les journaux et même à la télévision. Il est difficile de savoir ce que la BNS perdra au final. Mais il existe un précédent au début des années 90, lorsque les autorités cantonales bernoises ont racheté les créances pourries de la Banque cantonale de Berne. Celles-ci devaient être revendues dans les 10 ans. Au final, elles ont été revendues 40% moins cher. On peut raisonnablement estimer que les pertes de la BNS seront du même ordre… L’argent de la BNS n’est certes pas directement l’argent du contribuable helvétique, mais il existe une convention entre la BNS et les collectivités publiques qui stipule que la banque centrale s’engage à verser 2.5 milliards de francs annuels sur son bénéfice aux collectivités. Si la BNS réalise une grosse perte, on peut imaginer qu’elle remette en cause cette convention.Pour ce qui est de l’argent avancé par la Confédération, il a été récupéré sans perte par cette dernière. A priori il s’agit même d’une affaire rentable, car la Confédération prêtait à un taux d’intérêt de 12%. Seulement, le fait que la Confédération se soit empressée de vendre montre que le gouvernement n’a aucune volonté de surveiller la banque, ce qu’elle aurait pu faire en tant qu’actionnaire, en envoyant un ou plusieurs représentants au Conseil d’administration. Du coup, tous les beaux discours de la classe politique sur le contrôle des bonus et des rémunérations des dirigeants resteront lettre morte. La bourgeoisie veut à tout prix éviter que la question des revenus qu’elle s’octroie à elle-même ou qu’elle attribue à ses serviteurs les plus méritants devienne une affaire politique, discutée publiquement.
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