Les femmes dans la mondialisation

Les femmes dans la mondialisation

Lors de son Université
d’été, tenue début juillet près de
Namur (Belgique), le Comité pour l’annulation de la dette
du Tiers monde (CADTM), qui participe à la Marche mondiale des
femmes, a consacré un de ses ateliers aux liens entre la crise
du capitalisme et l’oppression des femmes 
1.
Voici quelques extraits de la présentation introductive à
cet atelier, faite par la sociologue Jules Falquet 
2.

Pour réfléchir à la condition et au rôle des
femmes dans la mondialisation, il faut d’abord éviter de
tomber dans la compassion dont les femmes, particulièrement les
femmes du Sud, sont l’objet – au même titre que les
pauvres. Cette commisération stérilise la
réflexion et fait perdre de vue les choses essentielles que
l’on doit analyser.
    D’abord, il ne faut pas oublier que les femmes
forment une catégorie hétérogène, diverse,
non exempte d’antagonismes. Cette catégorie n’est en
définitive pas plus homogène que celle des hommes. Dans
cette catégorie se trouvent des femmes qui font partie de la
bourgeoisie, d’autres du prolétariat, des paysannes, des
urbaines, des migrantes, etc.
    Malgré cette
hétérogénéité, on peut quand
même dresser le constat global d’une aggravation des
conditions matérielles des femmes dans la mondialisation
néolibérale, et ce, pour plusieurs raisons. En effet,
elles sont les premières victimes des politiques de
privatisation et du recul de l’Etat. Pour ne citer que quelques
exemples, ce sont elles qui vont chercher l’eau, ce sont elles
qui doivent le plus souvent assumer les fonctions que l’Etat
n’assume pas ou plus (éducation, soins de santé,
soins des enfants et des personnes âgées, etc.). Elles
sont également en première ligne lorsqu’il y a des
licenciements, sont moins payées que les hommes, etc.
    Il est cependant important de noter que les femmes
occupent une place centrale dans cette mondialisation qui les
opprime : elles sont centrales en tant que
main-d’œuvre, dans la légitimation de l’ordre
social, mais aussi en tant que sujets de résistances
individuelles et collectives, d’alternatives concrètes.
Cette centralité peut donc en faire à la fois des
pièces maîtresses de l’édifice
néolibéral et des actrices de premier plan dans la
contestation du système.

Les femmes à l’avant-garde de la résistance

Les femmes sont souvent au cœur des combats menés, et pas
seulement des combats féministes. Sans leur apport, bien des
luttes n’auraient pas acquis autant de vigueur. Voici quelques
exemples de l’implication des femmes et de leur rôle moteur
dans certaines luttes :

– en Colombie, pays où l’on compte environ 4
millions de déplacés et où la guerre a des
conséquences sociales dramatiques, les féministes ont
mené de grandes actions pour dénoncer la guerre et
promouvoir la paix ;

– le 8 mars, journée internationale de la femme, des
femmes paysannes du Brésil sont allées détruire
des pousses d’eucalyptus, symboles de l’avancée du
désert vert, de la monoculture menaçant la vie et la
souveraineté alimentaire, de l’appropriation des terres
des Indiens.

– En Bolivie, les « Mujeres creando »
(les femmes qui créent) ont activement pris part au processus
constitutionnel en participant aux discussions. Elles ont notamment mis
en cause le respect des us et coutumes, qui devait acquérir une
valeur constitutionnelle, car les us et coutumes des Indiens de Bolivie
ne sont pas forcément favorables aux femmes.

Il ne s’agit là que de quelques exemples où
l’on voit que les femmes sont des actrices à part
entière des mouvements sociaux en lutte, dans lesquels elles
mettent le doigt sur des questions centrales essentielles, parfois
largement ignorées.

Les femmes centrales en tant que main-d’œuvre

Nul n’est besoin ici de développer tant il est clair que
les femmes sont au centre du travail gratuit, du travail communautaire,
mais aussi du travail salarié. Elles forment ainsi
l’essentiel de la main-d’œuvre employée dans
les zones franches où le droit du travail est bafoué.
Elles y sont préférées aux hommes parce que
dociles, souvent peu organisées et rendues moins exigeantes par
les contraintes matérielles qu’elles doivent assumer
(nourrir et scolariser les enfants par exemple). Elles sont donc
centrales dans le profit et l’accumulation du capital.

Les femmes et la légitimation de la mondialisation

Ces dernières années, on a assisté à une
institutionnalisation du féminisme, par laquelle on a
neutralisé, domestiqué et récupéré
un des mouvements les plus critiques, radicaux, frontaux, un mouvement
qui proposait un autre mode de société. Cette
institutionnalisation s’est opérée au cours des
années 90 par un flux important de financement qui arrosait les
mouvements de femmes. Ces financements étaient bien sûr
assortis d’une réorientation des projets, et les
organisations ont peu à peu épousé le calendrier
des grands événements internationaux. […]
    L’institutionnalisation du mouvement
féministe a fait du « genre » (encore un
exemple de terme édulcoré : il est
préférable de parler de « rapports sociaux de
sexe ») un thème transversal, récurrent, servi
à toutes les sauces. Cette question du genre, en consacrant
officiellement une pseudo-égalité hommes-femmes, a permis
de légitimer l’ordre néolibéral. Cette
omniprésence du genre permet en quelque sorte de donner des
miettes de satisfaction aux mouvements sociaux, d’où
l’importance ne pas se laisser piéger par un discours de
pseudo-égalité, et de réaliser que les conditions
de l’égalité ne seront pas réunies tant que
les autres formes d’oppression (capitaliste, raciste pour ne
citer que celles-là) perdurent. Les combats contre le
capitalisme, le patriarcat et le racisme doivent se mener de front,
sous peine de faire reculer l’une ou l’autre revendication
et par conséquent, in fine, de miner l’ensemble de la
lutte pour l’émancipation.


1    La
présentation complète et l’enregistrement audio de
l’atelier sont téléchargeable sur le site du
CADTM : www.cadtm.org/spip.php ?article3997
2    Jules Falquet est maîtresse de
conférences en sociologie à l’université
Paris-Diderot, et étudie depuis plus de quinze ans les luttes
sociales en Amérique latine et aux Caraïbes, notamment les
mouvements féministes. Elle est l’auteure de De gré
ou de force. Les femmes dans la mondialisation, Paris : La
Dispute, 2008.