Bonus et crise: A trop fixer la muleta, on en oublie l’épée

Bonus et crise: A trop fixer la muleta, on en oublie l’épée

Ah, on allait voir ce qu’on allait voir, avait
péroré l’omniprésident Sarkozy dans sa
conférence de presse suivant le sommet du G 20 à Londres,
début avril : « Tous nous sommes conscients
qu’il faut de nouvelles règles, une refondation du
système, c’est ce que nous avons fait ». Et
la déclaration du même G 20 d’en rajouter :
« Nous avons la conviction que la prospérité
est indivisible : que la croissance, pour être soutenue,
doit être partagée ; que les besoins et les emplois des
familles laborieuses doivent être placés au cœur de
notre plan de relance mondial, non seulement dans les pays
développés, mais aussi sur les marchés
émergents et dans les pays les plus pauvres ».

    Et on a vu : à peine renflouées
par les deniers publics, les banques ont retrouvé leurs vieilles
habitudes, du reste jamais vraiment abandonnées. Les bonus se
sont remis à couler à flots, les provisions pour caresser
les opérateurs boursiers dans le sens du poil ont repris
l’ascenseur. Politiquement, en pleine dégringolade de
l’emploi, tout cela fait désordre. Et il en faut, du
désordre, pour amener une Christine Lagarde, ministre de
l’Économie en France et ancienne avocate d’affaires
au niveau international, à dénoncer cette
« course à l’échalote »,
alors que le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn,
scandalisé par « cet appât du gain, cet
argent facile, cette façon de prendre des risques
inconsidérés » déplore que l’on
n’ait pas encore réussi à mettre en place des
réglementations qui empêchent qu’un
« un petit groupe d’hommes et de femmes
attirés par le gain entraînent l’ensemble de
l’économie de la planète dans la
catastrophe ». Aux Etats-Unis, où les soucis
commencent à s’accumuler pour Obama, La Maison-Blanche a
parlé de « primes honteuses » et mis
le doigt sur l’inconfort politique d’une telle
situation : les Américains « à qui on
demande de remplir un trou, n’aiment pas l’idée
que des gens le creusent plus profondément. »

    Politiquement, le problème est
là : lorsque l’on demande aux
salarié·e·s de supporter, à travers la
perte de leur emploi,  la réduction des prestations
sociales, la pression sur les salaires, l’augmentation de leurs
impôts, etc., les coûts de la crise du capitalisme, les
m’as-tu-vu de la finance et de la banque sont priés de se
faire un peu discrets. Pour le reste et quant au fond, les Etats
n’ont ni la volonté, ni les moyens d’intervenir. Les
tombereaux de milliards qu’ils ont déversés –
dans le système financier d’une part et dans des plans de
relance à effet limité d’autre part – les ont
durablement endettés… auprès du système
bancaire, qui peut ainsi jouer à « je te tiens, tu
me tiens, par la barbichette… »

    Dans le Heidiland, mis à part les palinodies
du PS, qui joue au chevalier blanc du secret bancaire et pose plainte
pénale contre les anciens dirigeants de l’UBS, on cherche
à ne pas trop mettre son nez dans les arrières-cuisines
du capitalisme, là où cuisent et recuisent les
rémunérations de la fine fleur du management. Le Conseil
des Etats a ainsi remis à l’ordre les trublions du Conseil
national, qui auraient bien aimé avoir quelques trophées
symboliques à présenter avant l’ouverture de la
véritable chasse.

    Celle qui consistera à réduire le
niveau de protection sociale dès le redémarrage de
l’activité (recommandation de l’OCDE), à
considérer tous les avantages
« sociaux » et la réduction du temps
de travail comme « intrinsèquement
réversibles » (FMI) et à mettre en place des
« plans d’action ambitieux mettant l’accent
sur la réduction des dépenses » plutôt
que sur l’augmentation des rentrées (OCDE).

    Malgré l’embellie actuelle et
passagère, effet à la fois des plans de relance
gouvernementaux, de la reconstitution des stocks et de la
réduction des coûts des entreprises, la crise n’est
pas terminée. Et surtout, la question brûlante des
coûts de cette crise est maintenant posée. Qui va payer
leur crise ? Déjà, l’un des
économistes libéraux les moins largués durant
cette débâcle, Patrick Artus, de Natixis, affirme :
il y aura « quelques années très dures pour
les salariés ». Nous voilà prévenus.
A nous de tout faire pour le démentir. Ce sera là notre
vrai bonus.

Daniel Süri