Changement dans la continuité (suite)

Changement dans la continuité (suite)



Le 10 juin 2009, dans tout le canton
de Neuchâtel, une affichette de kiosque résumait dans un
style churchillien les propos tenus ce même jour dans la presse
par le ministre des Finances pour la législature 2009-2013 (le
même que durant la législature 2005-2009) :
« Crise économique : Jean Studer promet de
la sueur et des larmes ». Mais tout autre membre du
gouvernement neuchâtelois aurait pu tenir les mêmes propos.

Comme il nous y a habitués, le ministre des Finances
« dresse un sombre tableau de l’état des
finances du canton de Neuchâtel » (L’Express,
10.6.2009). Il (re)préconise l’accélération
« des réformes dont ce canton a besoin pour
être plus fort ». Secteurs visés : la
santé, la formation et la prévoyance sociale.
« Si nous voulons parallèlement,
véritablement, nous investir dans des projets aussi
conséquents qu’un Transrun [ndr : projet de liaison
ferroviaire rapide], il nous faut trouver des
ressources ».
Bref, le budget 2010 sera « très
difficile », l’austérité restera de
rigueur au nom de l’avenir radieux du Transrun et les
« réformes » — ou plutôt
les contre-réformes antisociales, pour les nommer exactement
— continueront.
solidaritéS, qui a combattu la politique
d’austérité durant la législature
précédente, reviendra à la charge durant cette
législature-ci pour proposer des autres solutions. Car le
Conseil d’Etat sortant lègue à ses successeurs
l’initiative « pour une imposition extraordinaire
des grandes fortunes », soutenue par l’Union
syndicale cantonale, le SSP, ATTAC, les Verts, le POP et
solidaritéS. Il a laissé ce texte traîner depuis
plus de deux ans dans ses tiroirs. En effet, consensus
neuchâtelois oblige, pas question de mécontenter, si
petitement que ce soit, les
« décideurs » patronaux. La Chambre
neuchâteloise du commerce et de l’industrie réclame
– avec une persévérance digne d’une meilleure
cause — la poursuite de la défiscalisation au profit des
grandes fortunes et des hauts revenus « pour rendre le
canton plus attractif »…
L’an passé déjà, un courrier de lecteur
avait relevé l’impasse de la politique gouvernementale
(présente et à venir). Quelques extraits d’un
constat précis : « C’est la mine
déconfite que Jean Studer a annoncé l’échec
d’un retour à l’équilibre des finances
neuchâteloises. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir
coupé à tout va dans les prestations sociales,
augmenté massivement les émoluments administratifs,
chargé lourdement les « mauvais »
payeurs d’un intérêt de 10 % et j’en
passe. […] La gestion catastrophique de la réforme
hospitalière ne fait que rajouter à un tableau
déjà sombre. Notre problème est un gros
problème. Mais Jean Studer a la tête dans le sable. Il
refuse de voir que le problème no 1 du canton de Neuchâtel
est l’imposition, ou plutôt la non-imposition, des
personnes morales. Depuis l’avènement, il y a une
vingtaine d’années, d’une promotion
économique prétentieuse et incompétente,
l’Etat de Neuchâtel creuse sa tombe. Dans ce canton, un
nombre trop élevé de sociétés
bénéficie de rabais fiscaux très importants.
[…] Le cas des holdings est encore plus scandaleux, la
fiscalité atteignant un taux ridiculement bas. Ces cadeaux se
chiffrent en centaines de millions de francs. Le coup de grâce
est arrivé avec la réforme de la
péréquation financière fédérale. Les
cadeaux offerts à des multinationales fortunées sont
aujourd’hui ajoutés aux revenus cantonaux, et Berne nous
prive de 10 millions de francs de subventions
fédérales » (Nicolas Baume,
L’Express/L’Impartial, 11.9.2008).
Notons, pour conclure, que lors de l’entrée en fonction du
Grand Conseil et du Conseil d’Etat, la tradition prévoit
un culte œcuménique (fréquenté par les
élu·e·s croyant·e·s) à la
Collégiale (église située à
côté du Château de Neuchâtel). Il y a un peu
plus de 200 ans, en 1794, la première Commune de Paris avait
célébré dans la cathédrale Notre-Dame le
culte de la Raison. La Collégiale de Neuchâtel abrite
visiblement le culte d’une autre divinité (chère
aux libéraux de droite et « de
gauche »), la thatchérienne TINA (There Is No
Alternative)…

Hans-Peter Renk


Décryptage d’une méthode connue

En complément, une réflexion de la philosophe belge
Isabelle Stengers, paru dans son dernier ouvrage « Au
temps des catastrophes : résister à la barbarie
qui vient » (Paris, Les Empêcheurs de penser en
rond/La Découverte, 2009). Toute ressemblance avec la situation
neuchâteloise n’est évidemment pas
fortuite… :
« Je ne crois pas me tromper en pensant que, si le calme
est revenu lorsque ce livre atteindra ses lecteurs, le défi
primordial sera « relancer la
croissance ! ». Demain comme hier, nous serons
appelés à accepter les sacrifices exigés par la
mobilisation de chacun pour cette croissance, et à
reconnaître la nécessité impérieuse de
réformes « parce que le monde a
changé ». Le message adressé à tous
restera donc, lui, inchangé : « Il n’y
a pas le choix, il faut serrer les dents, accepter que les temps sont
durs et se mobiliser pour une croissance en dehors de laquelle il
n’est aucune solution concevable. Si
« nous » ne le faisons pas, d’autres
tireront avantage de notre manque de courage et de
confiance » 7 (p. 10-11)