Réorganisation de la police vaudoise: de Charybde en Scylla?

Réorganisation de la police vaudoise: de Charybde en Scylla?



Après la loi dite anticagoule,
le Grand Conseil vaudois s’est à nouveau penché sur
la politique sécuritaire, plus précisément sur la
réorganisation des diverses forces de police. D’un
côté une initiative non formulée, lancée par
le corps des gendarmes, l’initiative d’Artagnan et de
l’autre la convention avec les communes proposées, par le
Conseil d’Etat. Nous publions ci-dessous l’analyse
d’A Gauche toute ! (AGT) présentée par
Jean-Michel Dolivo.

L’initiative d’Artagnan comme la convention sur la
réforme de l’organisation policière,
défendue par le Conseil d’Etat, sont toutes deux,
d’une certaine manière, dangereuses quant à leur
méthode, dans la mesure où elles mettent en place une
refonte des structures de la police sans dire explicitement à
quel type de politique policière ces changements de structures
correspondront.

    Or, nous savons d’expérience
qu’à une structure donnée correspond toujours une
politique. Nous fêtons le bicentenaire de la naissance de Charles
Darwin, dont le transformisme biologique repose sur le principe que la
fonction crée l’organe. En politique, c’est
indubitablement l’inverse : l’organe crée la
fonction, et la nouvelle structure policière entraînera
une modification du contenu de cette politique, dont on aimerait bien
connaître les objectifs. Avec son insistance sur
l’unité de doctrine nécessaire, l‘initiative
d’Artagnan lève un premier voile, alors que le projet de
décret du Conseil d’Etat autorisant la ratification de la
convention renvoie à la réforme de la Loi sur la police
(Lpol) sans plus de précision. Le risque est donc fort de se
trouver devant un fait accompli, les organes mis en place se chargeant
eux-mêmes de la définition de la politique de
répression dans le canton.

    L’origine de toute la question
résiderait dans ce que le Conseil d’Etat appelle
l’« inadéquation entre les structures,
l’organisation et les besoins en matière de
sécurité » (p. 10 de l’exposé des
motifs) due à un système de sécurité
vaudois qui « constitue une exception en Suisse, en raison de son
morcellement et de son
hétérogénéité ». Les deux
textes font référence ensuite à des situations
clochemerlesques de doublonnage et de guéguerre pichrocolines
qui doivent certainement contribuer à détendre
l’atmosphère dans les établissements
carcéraux et provoquer parfois l’ire de
l’utilisateur.

La centralisation du commandement

On remarquera que le maître mot des deux textes en discussion
pour répondre à cette situation est la centralisation du
commandement. Commandement unique dans le cas de d’Artagnan,
double structure centralisatrice, politique et opérationnelle,
dans le cas de l’exposé des motifs du Conseil
d’Etat. Pour les promoteurs de la police unifiée –
qui nous apprennent au passage que « les délinquants ne
tiennent pas compte des frontières communales, cantonales ou
nationales », ce qui est en effet une bonne
caractérisation de la fraude fiscale et de la criminalité
financière –, la centralisation est la réponse
à tout, puisque « le système de
sécurité par son morcellement et son absence
d’homogénéité n’est plus du tout
adapté à l’évolution démographique,
sociale et sécuritaire du canton ». Par ailleurs,
le même texte ouvre la porte à une augmentation
prévisible des effectifs puisque « pour lutter
contre les petits délits et la violence, la Police cantonale et
les polices municipales sont souvent démunies pour des raisons
d’effectifs ». On chercherait en vain dans les deux
textes une analyse de l’évolution de la
« délinquance » qui sorte de
l’équation quantitative simpliste : plus de
population = plus de délits = plus de répression.
    Toute centralisation porte en elle un renforcement
des pouvoirs des instances de décision. Or, l’acception
moderne de la notion de police implique l’existence d’un
Janus à quatre visages, chargé de la protection des
personnes, des biens, du maintien des institutions et de la
surveillance de l’opinion (quelquefois laissée aux mains
de police privée comme dans le cas de la surveillance
d’Attac). Ce mélange des genres, qui fait qu’un
citoyen peut, le lundi, demander un renseignement à un policier
et se faire molester par le même un samedi dans une manifestation
(celle du 1er Mai, par exemple), a pour conséquence que la
préoccupation du contrôle démocratique des
activités de la police, des risques d’abus de pouvoir
qu’elles entraînent, de la mise en danger des
libertés publiques dont elles peuvent être le terreau,
doit absolument être au cœur d’une proposition de
centralisation des structures.

L’absence de contrôle démocratique

Or, aucun des deux projets ne contient quoi que ce soit de convaincant
à ce propos. Le texte le plus avancé sur ce point, la
motion Aubert, que le Conseil d’Etat dit vouloir intégrer
dans un futur projet de loi, parle uniquement de contrôle
démocratique… des autorités des
agglomérations et des grandes communes et prévoit un
simple code déontologique à son point 7. Instrument
notoirement insuffisant pour une profession dont on a pu dire
qu’elle ne lisait pas toujours les lois, mais simplement les
circulaires ! A cela s’ajoute, pour l’initiative
d’Artagnan, une interprétation particulière de
l’unité de doctrine et de la lutte contre la confusion,
puisque ses prometteurs regrettent ouvertement
qu’« en fonction des orientations politiques des
municipalités, les mêmes problèmes dans des
domaines sensibles tels que l’asile, les stupéfiants ou
les squats pourraient être traités différemment,
d’où un risque important de confusion ». On
voit bien dans quel sens la Police unique permettrait de mettre de
l’ordre dans tout ce « chenit », dans
lequel, par exemple, une politique autre que répressive pourrait
être appliquée dans certaines grandes villes. Pour ne pas
parler tout simplement des échelles différentes
auxquelles se manifestent ces questions en fonction des situations
locales ou régionales.
    A Gauche toute ! (POP et solidaritéS)
n’a pas décidé d’une position de vote et les
député·e·s de notre groupe traduiront,
comme ils et elles le pensent, l’analyse et la réflexion
qui est la nôtre.

Jean-Michel Dolivo