Les licenciements tombent drus

Les licenciements tombent drus

Il y a ceux qui font la une des
journaux à cause de leur nombre, mais il y a tous ceux, bien
plus nombreux, dont on ne parle guère, qui
s’égrènent un à un dans les entreprises
grandes et petites. Le personnel temporaire a été le
premier à en faire les frais et continuera à la faire. De
manière croissante, les employeurs des grandes entreprises ont
tendance à externaliser leurs « ressources
humaines » : ils emploient du personnel qui a un
contrat avec une agence de placement et quand on n’en veut plus,
on téléphone à l’agence, qui se charge de
gérer les ruptures de contrat.

De nombreux licenciements ont été prononcés dans
l’horlogerie, chez les sous-traitants, mais aussi dans des
entreprises emblématiques de la branche : Franck
Müller à Genève : 200 licenciements en deux
étapes; 50 à Metalor à Neuchâtel et 70
à Zenith au Locle. Le chômage suit la courbe des
licenciements. A Genève, le taux de chômage en est
à 6,6 % et dans le canton de Vaud proche des 5 %.
Dans le canton de Neuchâtel, il a grimpé à
5,5 %, avec près de 8 % à La
Chaux-de-Fonds. Ces chiffres vont augmenter, de nombreuses entreprises
ayant des plans de licenciements sur leurs bureaux. Un sondage de la
société de placement Adecco indique que 40 % des
entreprises ont l’intention de licencier.
    La presse donne ces chiffres au jour le jour, mais
oublie systématiquement de les mettre en regard des profits
exceptionnels réalisés ces dernières années
par les patrons et les actionnaires.

Où est passé tout l’argent engrangé les années passées ?

Prenons l’exemple de Metalor à Neuchâtel, qui publie
tous ses résultats financiers en ligne. Cette entreprise vient
de licencier 50 personnes et négocie avec Unia un plan social.
Avec 450 employé·e·s à Neuchâtel, 1
380 dans le monde, elle annonce un chiffre d’affaires en 2008
à hauteur de 330 millions. Bénéfices nets
annoncés : 62 millions pour 2008, autour de 40 millions
pour les années précédentes. Les dividendes
payés aux actionnaires en 2008 se montent à 68,3 millions
et pour 2009, la direction leur propose un montant de 97,6 millions (ce
qui représente 70’000 francs par salarié-e !)
    Fin 2008, le capital était de 358 millions,
les actionnaires ont donc obtenu un rendement de leur placement de
19 % l’an passé. Pour les entreprises cotées
en bourse (ce qui n’est pas le cas de Metalor), il s’agit
là d’un rendement « normal »…
    50 personnes licenciées représentent
pour l’entreprise une masse salariale de moins de 5 millions, une
paille pour des actionnaires qui envisagent d’encaisser
près de 100 millions. Mais une partie des personnes
touchées par ces mesures ne retrouvera jamais de travail; elles
voient leur vie bousillée pour garantir un rendement du capital
insensé. 100 millions de dividendes contre 50
licenciements : où est la justice ?
    Les entreprises ne jouent bien sûr pas toutes
dans la même catégorie : les sous-traitants et une
partie des PME sont à la limite de la rentabilité. Ce
sont les grandes entreprises qui dictent les règles du jeu.
Elles fixent leurs exigences de rendements, et au bout de la
chaîne c’est les employé·e·s qui
trinquent. Jusqu’à quand acceptera-t-on cette
injustice ?

Interdire les licenciements ?

Pour l’instant, en Suisse, il n’y a pas eu de
réactions ouvrières massives et collectives devant la
première vague de licenciements. Les mécanismes de
négociation prévus par les conventions collectives de
paix du travail se sont mis en place (l’horlogerie est une
branche très conventionnée), mais les patrons
cèdent le minimum et ici ou là font la sourde oreille,
comme Franck Müller qui semble ne pas trop aimer les syndicats et
les conventions collectives. Faut-il que les licenciements se
multiplient et que le chômage s’étende pour susciter
une réaction collective chez les
salairié·e·s ? Ou la peur
d’être touché va-t-elle isoler les
salarié·e·s et les immobiliser ?
    Pour nous, il est clair que seule une action
collective décidée — un mouvement de grève
ou une occupation d’usine — fera fléchir les
patrons. Mais pour l’instant, on n’en est pas là. Au
mieux, c’est une bataille pied à pied, dans chaque
entreprise, autour de plans sociaux et de tentatives de réduire
le nombre de licenciements qui est engagée.
    SolidaritéS défend l’idée
qu’il faut interdire les licenciements dans les entreprises qui
font des profits; nous sommes encore très minoritaires à
nous engager pour cette revendication, pourtant elle nous semble
relever du bon sens. Cela implique que les syndicats doivent pouvoir
connaître les comptes d’une entreprise, connaître ses
profits, ses charges, et savoir où sont passés les
bénéfices des années grasses. A l’heure de
la transparence et de la communication, nous revendiquons que les
représentants du personnel puissent contrôler la
comptabilité de leur entreprise, qu’elle
n’appartienne plus uniquement aux actionnaires. Cela ne tombera
pas du ciel ! C’est tout un changement du rapport de force
social qu’il faut construire. Mobilisé, uni, le monde du
travail doit commencer à exiger que la question sociale soit
placée au coeur des priorités, et non le rendement du
capital qui ne sert qu’à une minorité.
    Demander l’interdiction des licenciements pour
les entreprises qui font du profit n’a rien
d’extraordinaire; ce qui l’est, par contre, c’est
l’acceptation fataliste des licenciements. Jusqu’à
quand laissera-t-on les mains totalement libres à des
actionnaires qui rejettent dans la précarité des femmes
et des hommes, qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes
pour faire tourner l’usine, sans qui le mot profit
n’existerait même pas ?

Nous ne voulons pas d’un monde au service du capital

Des rendements du capital comme ceux des dernières années
ne sont pas tenables à long terme, ils mènent
inévitablement à la crise qui signifie chômage,
licenciements, misère. Nous voulons lutter, ensemble avec les
salarié·e·s, pour que ce soit ceux qui ont
accumulé les profits qui paient les conséquences de la
crise, et non celles et ceux qui ont voué leur vie au travail.

Henri Vuilliomenet