Transport aérien: contraintes du marché et sécurité

Transport aérien: contraintes du marché et sécurité

Au-delà de ses causes
précises, l’accident du vol AF 447 d’Air France
suscite des interrogations quant à la sécurité
aérienne. Commandant de bord à Air France, Guillaume
Pollard est délégué syndical à Alter
(Solidaires). Il répond ici aux questions posées par
Jacques Radcliff « Tout est à
nous ! »

La déréglementation du transport aérien a-t-elle un impact sur la sécurité ?

Guillaume Pollard –
Globalement oui, même si c’est de façon indirecte.
Par exemple, en 1989, un accident a été symbolique. Un
avion de ligne s’est écrasé près de Dryden
(Canada), après avoir décollé les ailes
surchargées de neige. La neige est un phénomène
fréquent au Canada et, pourtant, cette grave négligence a
été commise par un pilote expérimenté. Le
juge en charge de l’enquête ne s’est pas
contenté d’enquêter sur la responsabilité du
pilote. Il est remonté jusqu’au ministère des
Transports canadien et a démontré qu’à
chaque strate de l’organisation du réseau de transport,
des failles existaient. Il a ainsi établi que, sous
l’effet des pressions qu’il subissait, un pilote pouvait
être amené à décoller sans déneiger
son avion. Ainsi, quand on remonte l’arborescence des causes, la
sécurité ne concerne pas seulement une compagnie en
particulier ou un homme, mais l’ensemble du réseau de
transport soumis aux contraintes du marché.

Les économies touchent-t-elles l’entretien ?

G.P. – Malgré
l’énorme pression à la baisse des coûts,
l’entretien des avions s’effectue conformément
à la réglementation. C’est vrai aussi bien pour les
grandes compagnies que pour les compagnies low cost. Des
événements comme l’accident du Concorde, en juillet
2000, dû, entre autres, à la perte d’une
pièce mal montée sur un avion de Continental Airlines, ou
l’avion d’Air Transat, en 2001, qui a réussi
à se poser d’urgence aux Açores en planant à
la suite d’une panne de carburant causée par une erreur de
montage technique, restent avant tout des exceptions en la
matière. Faire des économies sur l’entretien
reviendrait à prendre de trop gros risques en termes de
sécurité des vols. En revanche, les compagnies rechignent
souvent à profiter des améliorations techniques –
pneus Michelin plus résistants sur le Concorde, calculateurs de
performances embarqués, système atténuateur de
bruit dans certains cockpits, etc. – proposées par les
constructeurs, car générant d’importants
surcoûts.

Quels autres éléments peuvent impacter la sécurité ?

G.P. – La
sécurité est mise en cause par l’ambiance
générale qui règne au sein des compagnies
aériennes. On fait souvent l’impasse sur
l’environnement où travaillent les salariés, en
particulier les pilotes qui subissent de nombreuses pressions de tous
ordres. D’un point de vue social, nous venons de passer à
Air France, par exemple, une année exécrable. Des
intervenants autour des avions ont été supprimés,
les prérogatives des CHSCT (Comité
d’hygiène, de sécurité et des conditions de
travail, réd.) des personnels navigants sont remises en cause,
le droit de grève est restreint, un commandant de bord a
été abusivement licencié, des avantages acquis
sont discrètement supprimés.
    Toutes ces mesures sont sous-tendues par
l’amélioration de la productivité et touchent la
maintenance, la préparation des vols et le vol. Les compagnies
affichent la sécurité au fronton de leur édifice,
car elles la savent fondamentale pour leurs clients, mais,
par-derrière, elles exercent une forte pression pour augmenter
la rentabilité. Elles font essentiellement porter la
sécurité sur les pilotes, sachant qu’ils seront de
toute façon bien obligés de gérer les
défaillances. La surcommunication sur les économies de
carburant à réaliser est un exemple de pression impactant
directement la sécurité, le pilote ayant la
responsabilité du choix de la quantité à
embarquer. Prétextant d’une modernité sans cesse
croissante des systèmes de pilotage, on diminue le coût de
la formation en réduisant les heures de vol d’instruction.
Les compagnies promeuvent notamment l’autoformation par CD-ROM
à domicile, impliquant de fait l’absence de partage
d’expériences des pilotes, pourtant essentielles à
cette profession. Parallèlement – ce qui pourrait
paraître anodin –, les visites médicales n’ont
plus lieu qu’une fois par an à partir de 40 ans et sont
moins contraignantes, en application de directives européennes.
    De fait, un pilote de plus de 40 ans a plus de
chance qu’avant d’être en incapacité
d’assurer ses fonctions en vol pour raison pathologique. Et nous
pourrions aussi évoquer la problématique des
échanges « salaire contre actions » en
vigueur à Air France depuis 1997, qui peuvent, chez certains,
introduire des contraintes inconscientes dans la gestion
économique du vol… Si la sécurité
aérienne s’est améliorée ces
dernières décennies, aujourd’hui, nous sommes
arrivés à un palier, et il est indispensable de faire
mieux en desserrant l’étau de la pression
financière sur tous les acteurs du transport aérien.

Jacques Radcliff