Massacre en Amazonie: le pétrole contre les biens communs

Massacre en Amazonie: le pétrole contre les biens communs



Depuis le 9 avril 2009, les
indigènes de l’Amazonie péruvienne protestaient
contre la politique gouvernementale, bradant les ressources naturelles
aux multinationales. Le 5 juin, la police ouvrit le feu contre un
barrage routier. En réponse à ce massacre, une
journée nationale de lutte (massive) a eu lieu le 11 juin.

Confronté à une vague de protestations, l’Etat
péruvien vient de plier. Deux décrets contestés
ont été annulés et le premier ministre a
démissionné le 15 juin.
Pour rendre compte de ces événements, nous publions des
extraits d’un article de Raul Zibechi, journaliste à la
revue uruguayenne « Brecha ».

Le massacre perpétré contre les Indiens d’Amazonie,
le 5 juin (journée mondiale de l’environnement), par le
gouvernement d’Alan Garcia, est le dernier chapitre d’une
longue guerre pour confisquer les terres de ces communautés, en
vertu du traité de libre-échange entre le Pérou et
les Etats-Unis.

    A 6 heures du matin, le 5 juin, 3
hélicoptères MI-17 partis d’une base de la police
à El Milagro survolèrent la « Curva del
Diablo » — sur la route menant à la
côte nord, occupée depuis 10 jours par 5000 Indiens
Awajún et Wampis, en lançant des gaz lacrymogènes
(d’autres versions parlent aussi de tirs à la
mitraillette), pendant que des policiers ouvraient le feu, faisant une
centaine de blessés et 20 à 25 morts.
La population de la ville de Bagua (près de la frontière
avec l’Equateur) a manifesté pour appuyer les
indigènes. Des locaux de l’Etat et du parti gouvernemental
APRA furent incendiés. Un groupe de 38 policiers, qui
surveillaient une station pétrolière en Amazonie, fut
alors pris en otage, certains auraient été tués,
alors qu’un millier d’Indiens menaçaient
d’incendier la station no 6 de l’oléoduc du
Nord-Pérou.
    Trois jours plus tard, le gouvernement
déclara la mort de 11 indigènes et 23 policiers. Les
organisations indigènes signalaient 50 morts dans leurs rangs et
jusqu’à 400 disparus. Selon des témoins, les
militaires ont incinéré les cadavres et les ont
jetés à la rivière pour cacher le massacre, des
blessés ont été arrêtés dans les
hôpitaux. Ce qui est sûr, c’est l’envoi de la
force armée pour briser une protestation pacifique en cours
depuis 57 jours dans les régions forestières de cinq
départements (Amazonie, Cusco, Loreto, San Martin et Ucayali).
    Le 8 juin, la Commission interaméricaine des
droits humains (CIDH) de l’OEA a condamné les
violences : elle a rappelé que l’Etat
péruvien devait enquêter sur ces faits, y apporter
réparation, et a plaidé pour le dialogue. Le 9 juin, la
Coordination nationale des droits humains déclara « avoir
constaté une série d’irrégularités et
de possibles violations des droits humains »
dans
la zone de Bagua. Constatant le refus gouvernemental
d’information sur les policiers chargés
d’enquêter, elle s’est préoccupée du
sort de 25 prisonniers dans la caserne d’El Milagro et de 99
personnes arrêtées depuis l’imposition du couvre-feu
à Bagua.

Les « sauvages », conspirateurs internationaux

Le président Garcia a qualifié les Indiens de « terroristes », agissant dans le cadre d’une « conspiration internationale »,
impliquant la Bolivie et le Venezuela, pays producteurs de gaz et de
pétrole qui voudraient empêcher le Pérou
d’exploiter les mêmes ressources et de devenir ainsi leur
concurrent ! Il y a quelques semaines, le Pérou avait
donné asile à l’opposant
vénézuélien Manuel Rosales (accusé de
corruption) et trois ex-ministres du gouvernement bolivien de Gonzalo
Sánchez de Losada, inculpés pour la mort de 60 personnes
durant la « guerre du gaz » en octobre 2003.
    Le 9 juin, Carmen Vildoso (ministre de la Condition
féminine et du Développement social) a
démissionné après la projection d’un spot
gouvernemental : les photos de policiers morts et
d’indigènes avec des lances et des flèches
étaient accompagnées d’une légende
présentant les indigènes comme des « sauvages », des « assassins féroces » et « extrémistes », qui suivent des « consignes internationales » pour « arrêter le développement du Pérou » et empêcher que « le pays jouisse de son pétrole ».
Selon ce spot, il n’y eut pas répression, mais
« un assassinat sauvage de pauvres
policiers ».
    Alberto Pizango, dirigeant de l’Association inter-
ethnique pour le développement de la forêt
péruvienne (réunissant 300.000 indigènes et 1350
communautés) a été qualifié de « délinquant »
par la ministre de l’Intérieur Mercedes Cabanillas. Il a
échappé à l’arrestation en se
réfugiant à l’ambassade du Nicaragua, à
Lima. Le groupe parlementaire gouvernemental accuse la gauche, le
dirigeant du Parti nationaliste péruvien, Ollanta Humala et les
médias de l’Amazonie « d’inciter à des actes de violence pour que les indigènes attaquent la police » et réclame des poursuites pour terrorisme.


Raul Zibechi (Argenpress)

Traduction H.-P-Renk