Pour sauver la planète, sortez de la bagnole !

Pour sauver la planète, sortez de la bagnole !

La récente nationalisation du
géant General Motors au pays du libéralisme est un
signe de l’ampleur du bouleversement en cours dans
l’industrie automobile… mais ce n’est qu’un
symptôme parmi d’autres de la formidable conjonction de
crises que traverse la planète et qui semblent toutes condamner


à terme le modèle délirant de la voiture individuelle.

Crise énergétique, catastrophe climatique, krach du
crédit… après avoir été durant plus
d’un demi-siècle l’acteur privilégié
des fantasmes de la société occidentale,
l’industrie automobile subit un gigantesque revers.
D’autant que le désamour pour la bagnole n’en finit
plus de grandir.
Encombrement, enlaidissement urbain, réchauffement climatique,
pic pétrolier, pollution atmosphérique, bétonnage
des paysages, endettement des ménages, bouchons, bruit, stress,
accidents… les raisons ne manquent effectivement pas pour en
finir avec ce modèle prédateur qui nous a mené
dans une impasse suicidaire.

Un luxe antisocial bien ancré

Autrefois symbole ultime de progrès, de réussite sociale
et d’indépendance, le mythe de la voiture individuelle
aura marqué des générations entières.
L’idéologie dominante a gravé dans l’esprit
de tous et toutes, que circuler seul dans un véhicule
prévu pour quatre, restant immobile 98 % du temps et
pesant plus d’une tonne, était une liberté
inaliénable. Tout le monde se devait d’en posséder
une, tout le monde devait pouvoir la garer où il le souhaitait,
et nos villes devaient à tout prix s’y adapter.
Car la voiture est aussi l’outil d’une époque:
c’est un objet idéologique qui consacre
l’individualisme triomphant. Pour chaque automobiliste, les
autres usager·e·s de la route ne sont que des obstacles,
des entraves à sa vitesse. Chaque conducteur-trice est en
perpétuelle compétition avec les autres : ici pour
une place de parking, là pour une priorité à un
carrefour, et bien sûr dans le jeu de la rivalité
ostentatoire qui a conduit à la prolifération des tanks
urbains (4 × 4, SUV, etc.) qu’on
connaît.
Comme l’avait si bien dit André Gorz – pionnier de
l’écologie politique – dans un texte visionnaire de
1973, intitulé « L’idéologie sociale
de la bagnole » : « [les voitures
sont] des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif
d’une minorité de très riches et que rien, dans
leur conception et leur nature, ne destinait au peuple. A la
différence de l’aspirateur, […] ou de la
bicyclette, qui gardent toute leur valeur d’usage quand tout le
monde en dispose, la bagnole, comme la villa sur la côte,
n’a d’intérêt et d’avantages que dans la
mesure où la masse n’en dispose pas. C’est que, par
sa conception comme par sa destination originelle, la bagnole est un
bien de luxe ».
Les embouteillages urbains sont la démonstration physique
qu’il est impossible de généraliser l’usage
d’un objet aussi encombrant. Car, lorsque tout le monde
décide de s’en servir en même temps, les villes
deviennent si invivables que chacun·e veut alors fuir ce qui est
devenu un enfer urbain… pour mieux revenir y travailler en
voiture… et contribuer ainsi au cercle vicieux des nuisances que
connaissent nos agglomérations.
 

3 milliards de bagnoles…

Ce qu’avait relevé André Gorz en 1973 est encore
plus éclatant de vérité aujourd’hui à
l’échelle globale. Un seul exemple: le taux de
motorisation en Suisse est de plus de 500 voitures pour 1000 habitants,
et notre planète supporte déjà près
d’un milliard de véhicules. Bref, si nos 6.7 milliards de
semblables sur terre voulaient s’équiper comme nos
concitoyen-nes, il faudrait – au moins ! – tripler
le parc automobile mondial. Or, cela est évidemment impossible,
car les ressources n’existent – heureusement !
– pas pour permettre un tel désastre qui, au passage,
condamnerait probablement l’espèce humaine à la
mort.
Dès lors, si notre souci de solidarité
s’étend à l’échelle planétaire,
nous devons dès aujourd’hui sortir de ce modèle
impossible à généraliser, et opérer une
décroissance rapide et massive du nombre de voitures en
circulation sur les routes et stockées dans les garages, en
exigeant évidemment une reconversion de l‘industrie
automobile dans des activités écologiquement soutenables
et socialement utiles.

Bâtir un avenir désirable

Mais faire reculer l’emprise de la voiture ne signifie ni un
« retour en arrière » ni une perte de
qualité de vie, bien au contraire. Quel citadin n’a jamais
rêvé de voir sa rue débarrassée des tas de
ferrailles encombrants qui y détruisent la convivialité,
privatisent l’espace public et empêchent ainsi toute
réappropriation de la rue par ses
habitant·e·s ?
La ville est aussi le terrain d’un paradoxe: nulle part
l’automobile n’est aussi omniprésente, et nulle part
elle n’est aussi inutile, puisque facilement substituable par des
transports publics, par la mobilité douce ou même par
le co-voiturage : 50 % des trajets en voiture y font
moins de 5 km et le taux de remplissage de chaque véhicule
dépasse rarement 1,2 personne en moyenne ! Viser une
réduction de 50 % du trafic individuel motorisé
dans nos agglomérations à court terme est donc un horizon
parfaitement réaliste, pour autant que l’on s’en
donne les moyens.

Du constat aux solutions

36 % des habitant·e·s en ville de Genève ne
possèdent pas de voiture. Il est donc possible de s’en
passer. Mais nous devons orienter les politiques publiques pour
qu’une large majorité puisse enfin renoncer à la
possession d’un véhicule privé, si onéreux
et si encombrant. Rétrécissement de la voirie
consacrée, diminution drastique des places de parking en ville,
rues piétonnes, larges zones limitées à 20 km/h,
transports publics gratuits et plus efficaces dans les zones peu
densifiées, pistes cyclables, auto-partage et
éventuellement location facilitée… les solutions
ne manquent pas. A nous de contribuer à les mettre en
œuvre : devenons des objecteurs de bagnole ! 

Thibault Schneeberger