El Salvador : un nouveau pays latino-américain à rompre avec le néolibéralisme ?

El Salvador : un nouveau pays latino-américain à rompre avec le néolibéralisme ?

Depuis le 1er juin 2009, El Salvador
(Amérique centrale) est présidé par Mauricio
Funès, candidat du FMLN aux élections du 15 mars 2009.
Comme le relève une journaliste latino-américaine,
« en pleine crise globale, installer ce nouveau
gouvernement – qui rompt avec la droite historique –
c’est comme entrer dans la cage d’un tigre ».
Si les USA font actuellement profil bas, les vieux réflexes
fonctionnent encore : ainsi, leur ambassade à San
Salvador a contesté – sans succès, mais de quel
droit ? – la nomination du Ministre de la
sécurité publique, Manuel Melgar. En effet, celui-ci
avait dirigé en 1985, dans la « zona
rosa » de San Salvador, une opération militaire qui
avait coûté la vie à plusieurs marines US…
En complément de l’article paru dans le n°145 de
« solidaritéS » du 2 févr.
2009, nous publions ici une réflexion sur les défis
auxquels est confronté le nouveau gouvernement salvadorien. (HPR)

S’il implique une rupture avec 20 ans d’un pouvoir
exercé par le parti de droite ARENA – créé
par l’un des plus sinistres individus de la récente
histoire latino-américaine, le major Roberto D’Aubuisson
(l’un des principaux responsables des « Escadrons de
la mort » depuis les années 70), le succès
du Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN) aux
élections présidentielles de mars 2009 s’inscrit
dans la vague d’opposition aux politiques
néolibérales (qui ont dominé le continent) dans
les années 1980-1990.

Des difficultés prévisibles

Ce succès comprend pourtant quelques incertitudes. Tout
d’abord, il a perdu la mairie de San Salvador (les
élections municipales ont eu lieu en même temps que les
présidentielles). Ensuite, il a gagné de justesse (la
fraude étant une pratique usuelle au Salvador, la
différence devait être plus grande). Enfin, il ne
contrôle pas le Parlement, puisqu’il n’a que 35
député·e·s sur 84, tandis que la
majorité des sièges reste aux partis de droite.
Mais la principale incertitude concerne la politique du nouveau
président. Mauricio Funès ne partage pas les positions de
Shafik Handal, vieux dirigeant historique, décédé
il y a trois ans, et partisan d’une ligne clairement socialiste.
La carrière politique de Funès (journaliste connu) est
courte : le FMLN souhaitait présenter la candidature
d’une personnalité à profil modéré,
afin d’attirer une partie de l’électorat encore
traumatisé par le fantasme communiste inculqué durant les
années de « guerre froide ».
De nombreuses questions (notamment sur la politique économique)
restent en suspens. Avant les élections, Funès avait
promis la continuité sur trois thèmes essentiels :
non-dénonciation de l’Accord de libre-échange entre
l’Amérique Centrale et les USA (CAFTA);
non-révision des privatisations effectuées durant toute
la période néolibérale (ajoutant qu’une
telle révision équivaudrait à jouer avec le feu et
à engendrer l’insécurité juridique);
maintien de la dollarisation du système monétaire,
instaurée il y a 8 ans. Bien qu’un tel programme
contredise les principes défendus par le FMLN depuis les accords
de paix et sa légalisation comme parti politique, ce dernier
semble l’avoir accepté. On peut toutefois prévoir
que, durant cette législature, les rapports du FMLN et du
nouveau président ne seront pas forcément faciles.

Un programme agraire modéré

Concernant l’agriculture, elle doit concurrencer sur le
marché intérieur une production extérieure
généralement subventionnée, difficile à
affronter en restant membre du CAFTA. Que restera-t-il donc des
revendications historiques du FMLN pour changer le paradigme
agraire ? Au Salvador, la propriété terrienne est
fortement concentrée et, avec Haïti, c’est le pays
latino-américain qui connaît le plus haut niveau de
déforestation et de dégradation des sols. Mener une
politique de souveraineté alimentaire, en faveur de la
paysannerie, ne peut donc se faire sans toucher à des
éléments fondamentaux de l’économie
néolibérale (héritage de 20 ans de gouvernements
ARENA, qui ont signé le traité de libre-commerce et
encouragé la propriété privée).
Pourtant, Mauricio Funès a opté pour le modèle
brésilien de Lula da Silva – dont la politique agraire est
contestée par certaines organisations, telles le Mouvement des
sans terre (MST), sur lesquelles Lula s’était
appuyé pour arriver au pouvoir. Funès ne va donc pas
faire de grands efforts dans ce secteur. En réalité, il
serait pire encore qu’il mène une politique agraire sans
consistance, tout en croyant satisfaire les secteurs les plus
socialistes du FMLN. De telles réformes n’ont
généralement servi qu’à concentrer la grande
propriété (comme ce fut le cas de la réforme
agraire bolivienne de 1953 dans les provinces de l’Est), à
libéraliser plus encore les marchés (le type de
réforme agraire proposé par la Banque mondiale), ou
à démontrer que le mode de production paysanne
n’est pas viable et ne sert qu’à consolider la
pauvreté rurale (comme le révèle aussi la
distribution de terres marginales, de mauvaise qualité, aux
anciens combattants, effectuée après la fin de la guerre
civile au Salvador).
Il faut donc attendre de voir ce que fera le nouveau gouvernement
salvadorien. Pour l’instant, ne boudons pas notre plaisir par
rapport au triomphe du FMLN. Mais restons tout de même
très prudents. 

Jordi Gascó*

* Membre du réseau catalan Xarxa de consum
solidari – Red de consumo solidario. Paru sur le site
www.rebelion.org, le 29 avril 2009, traduction Hans-Peter Renk.