Jean Calvin, Pascal Lamy et la violation des droits humains

Jean Calvin, Pascal Lamy et la violation des droits humains

Cette année, l’Université a voulu donner à
son Dies academicus une portée exceptionnelle. La
cérémonie du 5 juin s’est ainsi tenue à la
Cathédrale Saint-Pierre, à laquelle la communauté
académique avait été conviée à se
rendre en cortège pour fêter le 450e anniversaire de la
fondation de l’Académie par Jean Calvin, en 1559.

A cette occasion, plusieurs doctorats honoris causa ont
été décernés, en particulier à
Pascal Lamy, dont le principal mérite scientifique est sans
doute de présider l’Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) depuis 2005, l’une des institutions dont les politiques ont
conduit le monde au seuil de la plus grave dépression de
l’après Deuxième guerre mondiale.

Un partisan de la chasse aux sorcières

Ainsi, le chef spirituel de la république théocratique
genevoise du 16e siècle, dont l’éthique avait
nourri « l’esprit du capitalisme »
naissant, tend-il aujourd’hui la main à celui de la
mondialisation néolibérale, qui répond aux
injonctions d’un capitalisme sénile.
Cette cérémonie en grande pompe, à laquelle une
quarantaine de recteurs des plus vielles universités
d’Europe ont été invités, a pourtant
été placée sous le signe… de la défense des
droits humains, sous la tutelle de Jean Calvin et de Pascal Lamy. Bien
sûr, pour faire bonne mesure, on a donné aussi un doctorat
honoris causa à Desmond Tutu, pionnier de la lutte
anti-apartheid en Afrique du Sud, qui le mérite certes bien…
Rappelons que Calvin était un adepte de la chasse aux
sorcières, au sens littéral du terme, et qu’il a
fait martyriser des dizaines d’entre elles, prétendument
responsables de la peste, avant de vouer au bûcher
l’humaniste et scientifique aragonais Michel Servet,
découvreur de la petite circulation du sang
(cœur-poumons).
Après l’avoir dénoncé à
l’Inquisition catholique du Dauphiné, à laquelle il
avait même accepté de fournir des documents
« accablants », Calvin le fit arrêter
lors d’un passage à Genève, pour le traduire devant
un tribunal et le condamner au bûcher en 1553, avec la
complicité des autorités aristocratiques de notre ville.
Ceci valut à Servet le destin singulier d’être
brûlé deux fois, en chair et en os par la Genève
protestante et en effigie par France catholique. Un crime
dénoncé par de nombreuses voix de ce temps, en
particulier par celle de l’ancien Recteur du collège de
Genève, Sébastien Castellion : « Tuer
un homme, dira-t-il, ce n’est pas défendre une doctrine,
mais c’est tuer un homme ».

L’OMC tue les paysans !

Quant à Pascal Lamy, il devra sans doute répondre un jour
lui aussi, ainsi que ses prédécesseurs, devant
l’histoire des conséquences des politiques de
dérégulation du commerce des biens et services, des
investissements, des flux financiers et de la propriété
intellectuelle, que les principaux décideurs de l’OMC ont
imposées au monde.
Celles-ci ont en effet conduit des millions de paysans à la
ruine, en contribuant à piller les ressources naturelles et
à détruire l’agriculture et les industries
traditionnelles de nombreux pays. Le 10 septembre 2003, devant la
Conférence ministérielle de Cancún, le leader
paysan coréen Lee Kyung-hae, âgé alors de 56 ans,
s’est pour cela donné la mort en signe de protestation
contre les diktats de l’OMC.
Comme le notait déjà Roland Bainton, l’un des
grands spécialistes de la Réforme protestante, dix ans
après Hiroshima : « De nos jours, chacun de
nous condamne l’intolérance de Calvin, et nous sommes
frappés de stupeur de voir brûler un homme jusqu’aux
cendres pour une question de religion, mais nous
n’hésitons pas à réduire des villes
entières en poussière pour le salut de notre
civilisation ! ».
En ce début de 21e siècle, nous pourrions ajouter ce
complément à l’adresse de Pascal Lamy :
« et nous ne reculons pas non plus devant des politiques
qui plongent dans la misère des millions d’être
humains pour le profit des multinationales ».


SolidaritéS


Ne jouez pas avec les droits humains !

Dès 9 h, au parc des Bastions, pour le départ du
cortège officiel, solidaritéS arborait des effigies de
Michel Servet et du leader paysan coréen Lee Kyung-hae, ainsi
que des pancartes dénonçant l’OMC de Pascal Lamy et
ses politiques criminelles. Un peu plus tard,  nous étions
une cinquantaine, sur le parvis de la Cathédrale, à
conspuer l’esprit de cette « opération de
communication » aussi indigne que de mauvais goût.

Le sacrifice  de Lee Kyung-hae

Depuis les années 80, en Corée du Sud, le nombre total de
paysans est tombé de 10 à 3,5 millions… En effet,
75 % d’entre eux vivent de la culture du riz, dont le
marché a été par étapes totalement
libéralisé. Ce pays est ainsi devenu le 4e importateur
mondial de produits agricoles US et ne produit plus qu’un quart
des aliments qu’il consomme. 98 % de ses agriculteurs sont
fortement endettés et n’ont plus accès à une
éducation et à des soins médicaux de base.

Leur sort est représentatif de celui de centaines de millions de
familles paysannes du Sud qui subissent la concurrence brutale de
l’agrobusiness subventionné des pays du Nord. À qui
le crime profite-t-il ? Aux quatre multinationales qui
monopolisent 75 % du commerce mondial des
céréales. Ainsi, un nombre croissant de paysan-nes,
victimes des politiques de l’OMC, se voient plongés dans
la misère, expropriés, forcés d’abandonner
leurs terres, jetés sur les chemins de l’exil… parfois
acculés au suicide, comme en Inde. En 2003, Lee Kyung-hae a
donné sa vie pour protester en leurs noms !

J.B.