Viols en temps de guerre

Viols en temps de guerre



Désireux de combattre
l’idée selon laquelle les viols font partie de ces
violences inéluctables dans les conflits, des
chercheurs·euses ont promu trois jours de colloque à
l’Institut historique allemand de Paris :
« Viols en temps de guerre : une histoire à
écrire ». La gageure était de taille
puisqu’il s’agissait de faire du viol en temps de guerre un
sujet d’histoire à part entière, afin d’en
démêler les mécanismes (acteurs, actes et moments)
et de « s’interroger sur sa place dans les
guerres ». Un pari largement réussi…

La première journée a été consacrée
à interroger le point de vue des chercheurEs. Toutes/tous
à leur manière ont insisté sur la nature
particulière du rapport à leur objet, sur
l’équilibre difficile à trouver entre la distance
nécessaire à la recherche et l’émotion
inévitable qui saisit l’analyste. Ce sont surtout les
quelques hommes présents qui ont indiqué cette
difficulté comme l’une des raisons plausibles du manque
patent de chercheurs dans ce domaine (Pieter Lagrou, John Horne). Et en
effet, une fois de plus ce colloque s’est présenté
sous des aspects particulièrement genrés; on ne comptait
que quelques chercheurs isolés parmi une écrasante
majorité de femmes spécialisées dans le domaine.
Car il s’agit bien ici pour l’historienne et
l’historien d’« entrer par effraction dans la
vie des gens », et principalement dans celle des femmes
(Malika El Korso). Les sources, comme toujours quand il s’agit
d’histoire des genres, font défaut ; qu’il suffise
ici de signaler que le viol n’est, jusqu’en 1965, jamais
mentionné dans les Archives publiques de la Croix-Rouge.
Approcher cette thématique implique donc de s’interroger
sur le type de savoir à constituer.

Viols ou violences sexuelles ?

C’est tout d’abord à un problème de
terminologie et de définition que les chercheurEs sont
confrontés, qu’elles/ils travaillent sur des sources
écrites ou orales. La difficulté de nommer le viol, comme
l’a souligné Stéphanie Gaudillat-Cautelat,
n’est pas seulement liée au tabou de la violence
exercée sur les femmes (le lourd silence des femmes) mais aussi
à la définition implicite ou explicite des actes
englobés par ce terme. La définition juridique du viol en
temps de guerre, par exemple, n’en dit-elle pas plus sur les
normes admises dans une société donnée que sur les
violences effectivement subies ? Certain·e·s
chercheur·e·s lui préfèrent ainsi la notion
de violences sexuelles. Mais si cette dernière a
l’avantage de prendre en compte toutes les formes ouvertes ou
scellées de douleurs infligées (d’historiciser la
douleur faite aux femmes), elle risque néanmoins d’aplatir
la spécificité du viol. En témoigne
peut-être le fait que lorsqu’il s’agit de violences
commises sur les hommes le terme de viol n’est pratiquement
jamais utilisé.

Une guerre civile permanente contre les femmes ?

Une autre thématique centrale de ces journées
d’étude a été la question liée
à la pertinence de promouvoir des recherches focalisées
sur les temps de guerre. Le viol n’est-il pas, comme le soutenait
Virginie Despente, il y a quelques temps déjà, une guerre
civile permanente contre les femmes ? Ne s’agit-il pas
d’interroger le viol dans l’avant, le pendant, et
l’après de la guerre ? Tout l’enjeu du
débat s’est alors focalisé sur le temps et
l’espace des guerres, mais aussi sur les phases des conflits
(entrée en guerre, combat, occupation) comme lieux à part
entière d’une violence distincte. L’ensemble des
contributions présentées à Paris (portant sur des
sujets aussi divers que la guerre civile espagnole, l’occupation
allemande en Russie soviétique, les troupes alliées en
Italie, ou le conflit israélo-palestinien) ont insisté
sur le fait que le viol n’est pas un impondérable
inévitable, mais constitue bien une arme de guerre à part
entière pour asseoir sa domination, provoquer la terreur ou
perpétrer un génocide.

Femmes et hommes en guerre

Dernier aspect important soulevé par les chercheurEs
réunis à Paris : le rôle et le statut des
femmes dans les armées combattantes. Longtemps, la
présence des femmes dans les armées actives avait pu
être considérée comme un frein aux violences
sexuelles. Aujourd’hui nombre d’analyses semblent battre en
brèche cet a priori. Ainsi Dara Kay Cohen a pu mettre en exergue
qu’il n’existe aucun lien entre le nombre de femmes dans
les troupes combattantes et le nombre de viols perpétrés.
Se fondant sur ses recherches portant sur le conflit en Sierra Leone
(1991-2002), cette jeune chercheuse a même pu établir que
25% des cas de viols répertoriés dans ce conflit ont
été commis par des troupes mixtes; elle ne dit pas
néanmoins si les victimes de ces viols sont majoritairement des
femmes ou des hommes. Quoiqu’il en soit, les hommes victimes de
viols sont les grands absents de ces journées
d’étude, même si les contributions ont toutes
tenté d’approcher cette thématique dans le
même esprit comparatif (temps et espace) qui présidait au
choix des papiers retenus.
    Ce colloque a ouvert un grand nombre de chantiers de
recherches potentiels. Et s’il ne devait avoir qu’une
qualité, il suffirait de mentionner qu’après ces
trois journées intenses il est désormais difficile
d’utiliser encore l’expression de « viols de
guerre » ; une notion qui, jusque-là, inscrivait
cette violence spécifique dans la
« normalité intemporelle » des
conflits.

Stéfanie Prezioso