Sonia Wieder-Atherton

Sonia Wieder-Atherton: Une violoncelliste qui ne joue pas pour passer le temps

Passée par l’école russe du violoncelle,
l’oreille souvent attentive à l’univers du
Yiddishland et de la Mittel­europa, Sonia Wieder-Atherton est une
artiste virtuose, au tempérament sauvage, dont le parcours est
irrigué de choix musicaux originaux. Invitée par la
Société de musique contemporaine au Conservatoire de
Lausanne, elle y a joué quelques-unes des plus brillantes
œuvres pour violoncelle seul de la musique du XXe siècle.

    Rostropovitch, avec qui Sonia Wieder-Atherton
travailla, passa commande à une douzaine de compositeurs vivants
pour célébrer les 70 ans du chef d’orchestre et
mécène suisse Paul Sacher. Deux de ces œuvres
furent présentées ce lundi soir 4 mai : celle
d’Henri Dutilleux (Trois strophes sur le nom de Paul Sacher) et
celle de Luciano Berio (Les mots sont allés).

    Totalement investie dans sa musique, la
violoncelliste donna une version physiquement habitée de ces
deux pièces. Elle fit toucher du doigt ce qui, dans
l’œuvre de Berio, rappelle la conviction du compositeur de
ce que l’œuvre achevée est aussi le fait et le
commentaire d’un matériel existant. Le solo de Dutilleux,
avec son instrument dont le registre grave est prolongé,
agrandissant l’espace sonore, joue en virtuose sur la forme de la
strophe. Et virtuose il y avait.
    György Kurtag est généralement
considéré comme un maître de l’épure
et de l’aphorisme. Pilinszky Janos : Gérard de
Nerval, brève pièce douce, le démontre une fois
encore.

    Les deux compositions de Pascal Dusapin Immer pour
violoncelle seul et Invece (cette dernière dédiée
à l’interprète) permettent d’explorer toutes
les ressources de l’instrument, à l’écart de
toute mièvreté. Immer est une exploration des
possibilités diverses que recèle une même
proposition mélodique et rythmique, alors que le motif du coucou
par lequel commence Invence nous emmène rapidement vers des
territoires où le violoncelle sonne quelquefois comme une
guitare flamenca.

    Le nom de Giacinto Scelsi évoque souvent une
musique méditative, un peu zen, tout entière
tournée vers l’exploration du son. Avec ses trois
mouvements « Jeunesse-Energie-Drame »,
Triphon dément cette réputation. L’ajout
d’une sourdine à l’instrument fait ressortir ce que
l’on apprend d’ordinaire à éviter aux
violoncellistes en formation : le frottement, les bruits de
« raclement », qui donnent comme un
granulé à la note. Vitesse, technique et puissance
d’exécution laissèrent pantois des
élèves du Conservatoire, encore au stade du
poussé/tiré de l’archet.
    Ecrin pour ces pépites, deux arrangements de
Sonia Wieder-­Atherton, l’un sur une prière juive,
l’autre sur un chant syrien. Une manière de rappeler
qu’une bonne partie de sa discographie et de ses spectacles
recherche activement ce dialogue entre créations actuelles et
musiques d’un autre temps ou d’une autre tradition.


Daniel Süri