Madagascar: un golden boy chasse l’autre ?

Madagascar: un golden boy chasse l’autre ?

A l’heure où nous
écrivons ces lignes, la situation est encore très confuse
sur la Grande île, où règne une forme de double
pouvoir très précaire, entre d’un côté
le président élu Marc Ravalomanana, replié au
palais présidentiel, et, de l’autre, l’ancien maire
déchu de la capitale Andry Rajoelina, installé dans les
locaux du gouvernement.

En fait, une bonne partie de l’issue de la crise dépendra
de l’attitude de l’armée. Plutôt
légaliste, celle-ci semble toutefois avoir pris ses distances
avec le président en activité, qui avait récemment
nommé des fidèles, responsables de la répression
(132 morts depuis le début des émeutes), aux postes
clefs. Or, après une mutinerie dans une caserne proche de la
capitale, les cadres de l’armée ont poussé vers la
sortie l’ancien chef d’Etat-major nommé par
Ravalomanana et désigné eux-mêmes son
remplaçant le colonel André Andriarijaona. La violente
répression ordonnée par Ravalomanana a
déstabilisé l’armée, de plus choquée
par le recours à des mercenaires étrangers.
    Rappelons que cette lutte se déroule dans un
des Etats les plus pauvres de la planète (25 % de la
population meurt avant 40 ans ; l’espérance de vie
tourne autour de 50 ans). Lorsqu’il s’autoproclame
président en 2002, Marc Ravalomanana semble incarner une
solution de rechange « façon Kennedy »
au pouvoir sclérosé de l’ancien
« Amiral rouge » Didier Ratsiraka.
Nationaliste et maoïste dans les années 70,
ultra-libéral dans les années 90, aujourd’hui
confortablement exilé à Neuilly, l’autocrate avait
laissé derrière lui un pays ravagé. Fort de son
succès économique dans l’industrie laitière,
le jeune multimillionnaire Ravalomanana, soutenu par les Eglises
protestantes, bien vu par les Etats-Unis, se targuait de faire
décoller Madagascar comme il avait fait décoller ses
affaires.
    Après une élection contestée en
2006 (lors du dépouillement, une panne
d’électricité fort bienvenue toucha les locaux du
ministère de l’Intérieur) et l’adoption
d’une Constitution taillée sur mesure en 2007 (qui
interdit des candidatures métisses, par exemple…), les
résultats ne sont pas au rendez-vous. Alors que la
différence des salaires était de 1 à 8 durant la
1ère République (1960-1972), elle est passée
à 1 à 100 actuellement. 70 % des dépenses
de la majorité des foyers sont affectées aux besoins
élémentaires. A quelques exceptions près, rien
n’a vraiment changé pour le peuple malgache. Tout juste
a-t-il vu quelquefois passer dans le ciel le nouvel avion
présidentiel (à 60 millions de dollars) .

L’Etat, c’est mon entreprise. Et inversement

A cet échec auprès de la population, s’en est
ajouté un autre. Les couches dominantes oligarchiques
traditionnelles, souvent liées à l’ancienne
puissance coloniale française, ont fini par être
passablement lésées par les pratiques commerciales du
Président, qui utilisa sans vergogne sa fonction pour
accroître son empire, le trust
« Tiko ». L’article de Rémi
Carayol dans Le Monde diplomatique de mars en donne plusieurs
illustrations, comme la manipulation du taux de change sur un seul
jour, celui où une énorme cargaison destinée au
groupe « Tiko » accosta à Madagascar…
    Plus encore, l’ultra-libéralisme de
Ravalomanana, son proaméricanisme, son ouverture aux capitaux
étrangers et à la mondialisation sapent les bases
mêmes de l’existence d’une série de
« barons » de la société
malgache, qui espèrent trouver une oreille plus complaisante du
côté de l’ancien animateur de boîte de nuit
devenu maire de la capitale, Andry Rajoelina. Parmi les soutiens de
celui que l’on surnomme « TGV » pour la
rapidité de son ambition, on trouve par exemple le neveu de
Didier Ratsiraka. Et l’on ne saurait douter que cette
confrontation se déroule sous l’œil attentif des
grandes puissances. Car si le peuple malgache est pauvre, le sous-sol
de la Grande île est riche (minerais, pierres précieuses,
etc.) Et le canal du Mozambique, qui sépare l’île du
continent africain, regorge, dit-on, d’hydrocarbures…

L’affaire Daewo Logistics

La crise malgache a connu un coup d’accélérateur
brutal lorsqu’éclata, en novembre 2008, l’affaire
Deawo, qui mit à jour des tractations opaques entre cette
entreprise sud-coréenne (survivance de la faillite du
conglomérat du même nom) et le gouvernement malgache. Le
projet portait sur la location à l’entreprise durant 99
ans de 1,3 million d’hectares (soit la moitié des terres
actuellement arables du pays), afin d’y produire du maïs et
de l’huile de palme à destination de la Corée du
Sud. Ce pays cherche ainsi, à l’instar des Pays du Golfe,
à renforcer sa sécurité alimentaire. Selon les
termes de ce bail emphytéotique, les seules contreparties
financières demandées seraient les investissements dans
les infrastructures nécessaires à la réalisation
du projet.
    Ce scandale s’ajoute à une
réforme agraire totalement inadaptée à la
réalité paysanne. Attribuée oralement depuis des
générations, la propriété de la terre doit
maintenant être attestée par un titre. Outre que cela
choque les populations (pourquoi prouver que la terre de nos
ancêtres est la nôtre ?), le prix de
l’instruction du dossier (20 euros) dépasse de loin les
possibilités financières de paysans ne disposant pas
d’un euro par jour pour vivre.
    Comme l’écrivain malgache exilé
en France, Jean-Luc Raharimanana, l’explique sur le site Rue
89 : « Entre un ultralibéralisme sans
contrôle et un désir exacerbé de sortir de la
misère, Madagascar se trouve à un tournant – encore
une fois de son histoire. Tenue sans scrupule par un réel
autocrate, l’île a cette tentation de confier une fois
encore son destin à un homme providentiel, Andry Rajoelina
s’efforçant d’endosser cette tenue. »
Rien ne permet de croire que le peuple malgache y trouvera, enfin, son
compte.

Daniel Süri