Crise, mouvement ouvrier et poison xénophobe

Crise, mouvement ouvrier et poison xénophobe
British jobs, for British workers?

La crise frappe durement la Grande-Bretagne et ses travailleurs et
travailleuses : le week-end dernier, le nombre des
chômeurs et chômeuses y dépassait la barre des deux
millions. Ces derniers temps, l’industrie britannique supprimait
les emplois par trentaine de milliers chaque mois. Le chômage de
masse qui explose voit des dizaines, voire des centaines, de demandeurs
et demandeuses d’emploi se bousculer au portillon pour chaque
place vacante.

Le gouvernement – comme le révélait The Observer du
15 mars — en est réduit à basculer des centaines de
fonctionnaires de différents services sociaux indispensables
vers les mal nommés « job centers »
chargés de gérer le flot croissant des sans-emploi. Dans
les douze arrondissements du centre de Londres, par exemple, on voit
– selon une étude syndicale – 71 000 demandeurs et
demandeuses d’emplois d’un côté, pour 4275
places vacantes de l’autre… Et ce n’est pas avec des
allocations chômage d’un montant d’une soixantaine de
livres par semaine (une centaine de nos francs) qu’on endiguera
la spirale de la récession et des suppressions d’emplois.

Slogan xénophobe et grèves sauvages

Dans ce contexte, une riposte massive et solidaire des
salarié·e·s s’imposerait. Or, les syndicats
britanniques n’ont pas été jusqu’ici à
la hauteur. En ce début d’année, on a vu au
contraire fleurir outre-Manche le slogan nationaliste et
xénophobe des « emplois britanniques pour des
travailleurs britanniques ! » Un slogan que les
fascistes anglais d’Oswald Mosley brandissaient
déjà dans les années trente pour
« justifier » leurs attaques contre les
travailleurs et travailleuses juifs de l’Est End de Londres et
repris dans les années 70 par le National Front britannique pour
tenter de priver les immigré·e·s noirs ou
asiatiques de leur emploi.
    Mais un slogan mis en avant aussi par
l’héritier de Tony Blair, le premier ministre anglais
Gordon Brown, notamment lors de sa conférence
d’intronisation comme boss du parti travailliste en novembre 2007
et dans divers discours en direction des syndicats, cet
automne-là et depuis. Un slogan repris aussi en février
dernier par Derek Simpson, secrétaire général du
syndicat de la construction Unite, relayé massivement à
cette occasion par le torchon tabloïd de droite Daily Star et
d’autres feuilles de chou antisyndicales.
    Ce slogan a été mis en avant aussi
lors du récent conflit du travail dans le secteur de la
construction et de l’énergie. Lors de celui-ci, environ
6000 travailleurs sur plus d’une vingtaine de sites de
construction, de raffineries et de centrales électriques
notamment, ont participé à toute une série de
grèves. Des grèves « sauvages »
— ou plus exactement en violation des lois antisyndicales
britanniques mises en places par Thatcher et conservées par les
travaillistes-libéraux du New Labor. Des grèves qui
démontrent, par ailleurs, un potentiel de combativité et
de riposte très important.

Sous-traitance et dumping salarial

Cette lutte s’est engagée dans cette branche en
réaction aux tentatives concertées de multinationales de
remettre en cause, sur nombre de très grands chantiers les
acquis du « livre bleu », l’accord
national dans la branche, conquis de haute lutte, concernant les
salaires, les conditions de travail et la sécurité. Comme
le rapportait récemment le Financial Times, les patrons du
secteur de la construction admettaient avoir recours au système
de la sous-traitance pour tenter de limiter l’activité
syndicale en défense des conditions de travail et des acquis.
    Le conflit a démarré sur le site de la
raffinerie Lindsay dans le Lincolnshire, ou un gros contrat avait
été passé avec une société
sous-traitante italienne IREM, employant essentiellement des
travailleurs italiens et portugais
« importés » du continent et tenus
soigneusement séparés de leurs collègues locaux.
Or dans ce cas, le conflit s’est soldé par un accord, avec
retour au travail le lundi 9 février, accord dont
l’« acquis » essentiel est
l’attribution de 102 places de travail à des travailleurs
britanniques, alors qu’il avait été prévu
d’y employer des salariés immigrés. Ainsi,
plutôt qu’une remise en cause du système de
sous-traitance et une défense intransigeante des acquis
syndicaux pour tous et toutes, ou la création d’emplois,
ce sont des « emplois pour des Britanniques »
qui sont apparus au centre de la lutte et de la victoire
remportée…
    D’autres conflits du même type se sont
enchaînés. La semaine suivante, à Staythorpe
près de Newark par exemple, les sous-traitants d’Alsthom,
employant essentiellement des ouvriers espagnols et polonais ont
été la cible d’un blocage d’un grand
chantier. Dans la manif qui a paralysé celui-ci à
l’aube, malgré une présence policière
massive, ont voyait fleurir côte à côte des drapeaux
du syndicat Unite, des drapeaux anglais et le slogan toxique sur les
« emplois britanniques ».
Dans cette situation évidemment, le British National Party (BNP,
fasciste) a tourné autour de ce conflit et cherché
à l’exploiter, réussissant parfois à se
faire écouter des piquets de grève, d’autres fois
s’en faisant chasser…

Une seule solution : l’unité syndicale

En réaction à cette situation, et pour tracer
d’autres perspectives, près d’un millier de
syndicalistes rendaient publique, à fin février, une
déclaration intitulée « Unite to fight for
jobs » (www.petitiononline.com/jobs0209) appelant à
un combat commun pour de nouveaux emplois correctement
rémunérés et mettant en évidence le danger
mortel de cibler les « travailleurs
étrangers ». Ils et elles appellent à un
refus commun de tous les salarié·e·s de faire les
frais de la crise, ainsi qu’à un effort massif de
syndicalisation de tous et toutes. Ils et elles démontrent que
c’est en s’unissant avec les travailleurs et travailleuses
immigrés, en s’organisant et en luttant ensemble,
qu’on empêchera les patrons d’en faire une arme
contre leurs collègues. Enfin, ils et elles appellent aux
différentes manifestations à Londres à la veille
et lors du sommet du G20.

Pierre Vanek