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N° 143 (05/03/2009). A la une: 8 mars : les femmes en marche
p. 16
Lien direct: https://www.solidarites.ch/journal/d/article/3680
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Femmes migrantes: Précaires parmi les précaires
Le concert d’autosatisfaction qui nous a été asséné après le vote du 8 février sur l’extension de l’accord sur la libre circulation (« maturité », « esprit d’ouverture » du peuple suisse, etc.) est d’autant plus irritant qu’il fait office d’écran de fumée derrière lequel la législation migratoire et en matière d’asile adoptée par ce même peuple suisse lors du vote du 24 septembre 2006 continue à faire des ravages, et va même encore subir un durcissement selon un projet récemment mis en consultation par le Conseil fédéral.
Une fois de plus – c’est décidément une constante dans la politique suisse à l’égard des étranger·e·s – le Conseil fédéral propose un durcissement de la Loi sur les étrangers et de la Loi sur l’asile (qui ne mérite d’ailleurs plus son nom depuis longtemps…) sous la pression de l’UDC, en particulier de son initiative populaire « pour le renvoi des étrangers criminels ».
Ainsi, dans le même temps que nos autorités tenaient un discours d’apparence progressiste sur « l’ouverture » aux ressortissants bulgares et roumains, elles préparaient une modification de la Loi sur l’asile pour endiguer « la forte augmentation des requérants en provenance de la région subsaharienne (notamment d’Erythrée, du Nigeria et de Somalie), du Proche-Orient (notamment d’Irak (1)) et du Sri Lanka.» (2) Une belle illustration du modèle «d’immigration choisie» pratiqué par la Suisse, à l’instar des autres pays européens…
Circulez, y’a rien à voir…
Du côté des forces politiques traditionnellement attachées à la défense des droits des migrant·e·s, on ne peut que regretter de ne pas les avoir entendues davantage, au cours de la campagne sur l’extension des bilatérales, rappeler que la «liberté de circulation» tant vantée était niée à certaines catégories de migrant·e·s, notamment les travailleurs-euses sans statut légal, qui ne peuvent se rendre dans leur pays de crainte de ne pouvoir ensuite revenir en Suisse.(3) Il est vrai que cette catégorie de migrant·e·s, même si elle représente, selon certaines estimations, entre 200 000 et 300 000 personnes en Suisse, et qu’elle contribue activement à la vie économique du pays, reste très largement « invisible » et sans représentation politique (ou si peu).Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les entraves à la liberté de mouvement (4) des femmes migrantes, avec ou sans papiers. Si l’on inclut dans la liberté de mouvement, comme il semble légitime de le faire, celle de se séparer d’un conjoint violent, il faut constater que la législation helvétique, loin de favoriser ce droit élémentaire, accumule au contraire les obstacles pour les femmes migrantes victimes de violences conjugales.
Rester avec un conjoint violent ou perdre son permis
En matière de regroupement familial, la loi instaure en effet un lien entre le droit au permis et le statut matrimonial, et fait de la vie commune des conjoints une condition à l’octroi et à la prolongation de l’autorisation de séjour du conjoint étranger.(5)Si l’article 50 de la LEtr prend en considération les situations de violences conjugales, il exige cependant de la femme (6) qui voudrait obtenir la prolongation de son permis, malgré la fin de la vie commune, qu’elle prouve que sa « réintégration sociale dans son pays de provenance semble fortement compromise » (sic). Autant dire que cette disposition laisse une totale liberté d’appréciation aux autorités de police des étrangers, et que les femmes risquent bien de devoir « choisir » de rester auprès d’un mari violent de peur de perdre leur permis si elles se séparent.
Les femmes migrantes, premières victimes de l’insécurité d’Etat
Précaires parmi les précaires, les migrantes sans statut légal, majoritairement actives dans ce qu’il est convenu d’appeler l’économie domestique (c’est-à-dire les ménages privés), et dont le travail vient bien souvent palier les carences des services sociaux (en matière de garde d’enfants, de prise en charge des personnes âgées ou malades, etc.), sont exposées à toutes les « insécurités » : dans les rapports de travail (7), dans le domaine social (nombreuses sont celles qui renoncent à consulter en cas de maladie, faute de couverture d’assurance, ou qui n’osent pas se faire hospitaliser par peur d’être dénoncées et renvoyées), face aux autorités (peur de sortir ou de fréquenter certains lieux de crainte de faire l’objet d’un contrôle de police), mais aussi face à la violence « de genre » à laquelle elles peuvent, comme toutes les femmes, être exposées… y compris de la part de leur mari/compagnon/compatriote. On le voit, la solidarité avec les femmes migrantes implique de se confronter à une pluralité de contradictions, et met en échec toute vision simplificatrice de la réalité.Il n’en reste pas moins que pour combattre la précarisation et l’insécurité auxquelles sont exposées les femmes migrantes, deux revendications sont essentielles : celle de la régularisation des migrant·e·s sans statut légal qui vivent et travaillent en Suisse, et celle de la dissociation entre le statut matrimonial et le permis de séjour.
Anne-Marie Barone
1 … tiens donc, on se demande pourquoi !2 Rapport du DFJP relatif à la modification de la LAsi et de la LEtr
3 Voir à ce sujet le beau documentaire réalisé par le Centre de contact Suisses-immigrés intitulé Un train qui arrive est aussi un train qui part
4 Expression qui devrait être utilisée pour les êtres humains, la « liberté de circulation » s'appliquant aux marchandises, comme l’a très justement fait remarquer Marie-Claire Caloz-Tschopp lors d’une récente conférence
5 « Etranger » au sens de la LEtr, bien sûr, ce qui n’inclut pas les ressortissants de l’Union européenne…
6 Cela est également valable, formellement, pour le conjoint (homme) étranger
7 A noter que le plus souvent, l’employeur est une employeuse, ce qui ne change rien aux rapports d’exploitation
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