Apartheid au Gothard

Apartheid au Gothard

Des mineurs du Lesotho ont été
employés dans des conditions proches
de l’esclavage à Sedrun pour creuser
une galerie de sondage dans le massif
du Gothard.

Quand ils se sont plaints au SIB, ils furent renvoyés
chez eux par Shaft Sinkers SA en décembre 1998.
Depuis, ils crèvent de faim au Lesotho, sans travail
régulier ni revenus, attendant toujours leurs salaires
et la reconnaissance de leurs droits. Le SIB se considère
comme hors d’état de les aider.

Glenda Loebell, du groupe AAB Afrique du Sud, a
rendu visite en octobre dernier, au Lesotho, à des
mineurs noirs ayant travaillé à Sedrun. Contrairement
aux engagements pris publiquement à l’époque
envers les syndicats, les mineurs contestataires,
n’ont plus été employés par la firme sud-africaine
après leur renvoi de Suisse. Suite à leur retour au
Lesotho, l’entreprise a déclaré ces 40 mineurs
malades et inaptes au travail des mines, après une
visite médicale de routine, en leur précisant par écrit
qu’ils ne pouvaient prétendre à une compensation
financière pour leur maladie.

Situations précaires

Comme Shaft Sinkers est une filiale de l’Anglo
American Group, qui contrôle toutes les grandes
mines du pays, ces 40 mineurs noirs ne trouvent du
travail occasionnel que comme auxiliaires dans des
petites mines pour un millier de Rands par mois (env.
250 Fr.) Pour tenter de faire vivre leurs familles, ils
vendent des fruits au marché ou cherchent des petits
boulots de pompistes ou aides dans des exploitations
agricoles.

« Avec une poignée de céréales, on ne peut pas se
nourrir correctement
 » déclare Glenda à propos de la
situation précaire de ces mineurs. Elle est d’autant
plus terrible que leur ex-employeur leur doit une fortune
en salaires impayés. Pour leurs 4 mois de travail
en Suisse, on leur doit environ 60 000 Rands, soit
5000 Fr. par mois. Mais l’entreprise n´a versé qu’une
fraction de ces montants. Shaft Sinkers ne leur a pas
non plus fourni les attestations de salaire prévues de
manière contraignante par la convention suisse du
secteur et dont l’entreprise s’est vue imposer la délivrance
par la commission de surveillance paritaire
des travaux au Gothard.

Le Groupe de travail « Afrique du Sud » a eu en main
trois décomptes de salaires différents établis par leur
employeur pour ces mineurs licenciés, avec chacun
de montants différents. L’accumulation de ces
décomptes montre que Shaft Sinkers a voulu tromper
les syndicats, la commission paritaire et les travailleurs
concernés. L’exemple d’un mineur blanc
mécontent, qui a quitté volontairement son travail au
Gothard presqu´en même temps que ses collègues
noirs le confirme. En Afrique du Sud, avec l’aide de
son syndicat blanc, il a porté plainte contre son
employeur pour décomptes de salaires falsifiés. Le
tribunal lui a donné raison et condamné l’entreprise à
verser 62 000 Rands au titre de salaire encore dû.

Licenciements abusifs

Selon le droit du travail et les conventions suisses, les
mineurs noirs licenciés avec effet immédiat pour leur
engagement syndical auraient droit à des montants
supplémentaires significatifs, au titre de salaire et de
compensation. S’ils avaient obtenu de la police des
étrangers un permis de séjour d’un an, cela n’aurait été
possible que si la firme qui les employait s’engageait à
les employer pour une année. Un licenciement anticipé
dans le cadre d’un contrat de travail a durée déterminée
oblige l’employeur à payer les salaires, même si
elle cesse d’employer les travailleurs concernés. En
outre, un licenciement pour motifs syndicaux est en
droit suisse considéré comme abusif et les salariés
concernés auraient obtenu des tribunaux 2 à 6 mois
de salaire en compensation. En tout, selon le droit
suisse, l’entreprise devrait ainsi à ces mineurs de
60’000 à 150 000 Rands en plus de leur salaire de 60’000
Rands pour leurs 4 mois de travail dans notre pays.

Surexploitation ou esclavage?

Daniel Rice qui s’est occupé pour le SIB des mineurs
noirs à Sedrun raconte comment il y a rencontré ces
travailleurs. Shaft Sinkers SA ne leur payait pas le
tiers du salaire des travailleurs blancs employés sur le
même chantier et ne leur versait aucun argent pour
leur frais en Suisse. Il devait distribuer des cigarettes
à ces travailleurs sans aucun moyens, qui étaient
réduits à tenter de gagner le prix d’une bière en nettoyant
les chaussures de leurs collègues.

Mais ces victimes de l’Apartheid n’ont pas seulement
été surexploités par leur employeur raciste, ils ont
aussi été livrés à eux mêmes après le spectacle
médiatique du début de l’affaire …par les blancs du
SIB. La commission paritaire pour les travaux souterrains
a certes contrôlé que les travailleurs avaient été
salariés pendant leur quatre mois selon la convention,
mais que l’entreprise apporte la preuve que ces salaires
soient effectivement versés est une autre paire de
manches. D’après les informations fournies par
Stefan Schmutz, responsable du dossier au SIB, celuici
s’est contenté à ce sujet – faute de mieux – d’une
attestation douteuse d’une fiduciaire. Daniel Rice, qui
depuis ne travaille plus au SIB, a eu l’impression de
prêcher dans le désert.

Le cas de ces travailleurs du Lesotho n’est pas seulement
choquant du fait des conditions de travail relevant
de l’Apartheid, c’est aussi un exemple en ce qui
concerne le nombre croissant de travailleurs étrangers
sur les chantiers suisses. Avec l’entrée en
vigueur des bilatérales, l’imposition des standards
suisses minimaux pour les salarié-e-s étrangers
deviendra un problème toujours plus aigu. Le secrétaire
central du SIB responsable en la matière nous a
affirmé que malgré quelques problèmes tout était
« sous contrôle » et que le non respect des droits des
travailleurs du Lesotho était lié à la complexité du
droit sud-africain en la matière. Mais des questions
restent sans réponses.

On ne peut pas tout mettre sur le compte de la complexité
du droit sud-africain. Le Groupe de travail
« Afrique du Sud » a obtenu de l’étude d’avocats sud-africaine Cheadle, Thompson & Hayom, sous
contrôle syndical, un avis de droit indiquant qu’il
serait possible de faire valoir – avec de bonnes
chances de succès – les droits de ces mineurs
noirs devant la justice sud-africaine.

Un petit geste charitable…

Au congrès national du SIB en octobre 2000 déjà,
des syndicalistes critiques ont demandé pourquoi
le SIB ne prenait pas d’autres mesures juridiques.
La direction syndicale promettait alors de réexaminer
le dossier. Malgré le fait que le département
juridique du SIB ait eu connaissance de l’avis de
droit sud-africain mentionné, il écrivait en mai
2001: « Nous ne voyons aucune possibilité de soutenir
les mineurs du Lesotho dans leur conflit
avec Shaft Sinkers.
« 

Christoph Häberlin, chef de ce département juridique
n’a pas voulu prendre position sur cette
affaire pour cet article et a laissé entendre qu’il
n’était pas responsable. L’impression que le SIB a
brassé du vent dans ce cas est renforcée par l’affaire
de la souscription pour couvrir les frais scolaires
des enfants des mineurs démunis du
Lesotho. Le journal du SIB écrivait en avril 2000
que « la direction du SIB a effectué une grosse
contribution
« . Renseignements pris auprès du
responsable de ce fonds, ce ne sont que…
Fr. 2000.- qui sont venus du SIB.

Pour Stefan Schmutz, cette affaire laisse un sentiment
désagréable et il n’est pas aussi optimiste
que son chef Hansueli Scheidegger sur le fait qu’il
y aurait à disposition, pour les travailleurs/euses
extra-européens sur les chantiers suisses, tous
les instruments nécessaires pour faire respecter
les exigences et conditions de travail. Il plaide
pour un dépôt de garantie financière a effectuer
par les firmes étrangères, qui permette des payements
directs et contrôlables aux travailleurs
dans des affaires comme celle des mineurs du
Lesotho.

Urs Diethelm
Syndicaliste et membre de SOAL/Solidarität à
Bâle. Cet article est paru dans le Vorwärts No 51
du 7.12.01. Notre traduction.