Centrale à gaz du Lignon: ni nucléaire, ni effet de serre !

Centrale à gaz du Lignon: ni nucléaire, ni effet de serre !



En réaction à la
position favorable des antinucléaires de ContrAtom, parue dans
le numéro 135 de solidaritéS, nous publions ici la
position d’un nouvel adhérent au mouvement, membre du ROC
(Réseau Objection de Croissance) et fermement opposé
à ce projet de centrale.

Le GIEC (1) est formel : les pays
« développés » doivent
réduire leurs émissions de 25 à 40 % en
2020 et de 80 à 95 % en 2050. Avec une condition
importante : les émissions doivent atteindre un sommet au
plus tard en 2015. Sans quoi nous risquons de dépasser des
« points de rupture climatique »
irréversibles. Les choix énergétiques
d’aujourd’hui seront donc lourds de conséquences
demain.
    
L’énergie nucléaire est dangereuse à tout
point de vue et nous devons, au cours de cette première
moitié de siècle, sortir du nucléaire. Mais, face
aux générations futures, nous avons un devoir tout aussi
impérieux de diminuer les émissions de GES. Nos pays ont
le devoir moral de montrer l’exemple et de s’opposer
à toute nouvelle construction de centrale nucléaire ou
fossile, y compris les moins inefficaces d’entre elles, comme le
projet des SIG.

20 000 pendulaires supplémentaires par jour

Diminuer nos émissions de 25 à 40 % d’ici
à 2020 implique de sortir de l’illusion des
«compensations», que celles-ci soient effectuées
à l’étranger ou localement. Car la compensation
(même locale et totale) d’émissions
supplémentaires aboutirait au mieux à une stagnation
globale, alors que ce que recommandent les climatologues, c’est
bien une décroissance du CO2 dès 2015.

    Certes, il faut évidemment en finir avec la
civilisation de l’automobile qui provoque des
« embouteillages sur le pont du Mont-Blanc ».
Mais chaque journée de fonctionnement de la centrale
équivaudrait, en termes de CO2, aux émissions
quotidiennes de 20 000 pendulaires supplémentaires
parcourant 25 km en voiture ! Les quelques maigres
progrès effectués en matière de transfert modal
ces 30 dernières années seraient ainsi annulés.

Le gaz : une transition… vers le nucléaire?

L’un des arguments des antinucléaires
« historiques » est que le gaz serait une
bonne énergie de transition. Mais vers quoi ? En fait, le
gaz est une excellente énergie de transition… vers le
nucléaire ! Comme l’expliquait récemment
Michael Wider (directeur de la holding qui regroupe EDF, EOS et Atel)
dans le journal Le Temps : « La construction de
nouvelles centrales nucléaires en Suisse va prendre environ 20
ans, d’où la nécessité absolue de trouver
une solution intermédiaire pour assurer
l’approvisionnement en électricité dans
l’intervalle. La solution transitoire la plus adaptée
serait de recourir aux centrales à gaz naturel.»

    Ces centrales à gaz
« transitoires » sont donc un obstacle
à la sortie du nucléaire car elles nous maintiennent dans
la logique productiviste qui est à l’origine de
l’idée qu’on ne peut pas se passer d’une
énergie surabondante (qui fait le lit des nucléocrates et
des multinationales du pétrole). (2)

    Le gaz ne permet pas plus une transition vers le
« tout-renouvelable ». Si les technologies
(solaire, éolien, géothermie) ont progressé ces
dernières années, elles sont encore incapables de
rassasier notre boulimie énergétique toujours croissante.
Ces énergies « vertes »
représentent certes une partie de la solution, mais on ne peut
pas fonder nos espoirs sur le fait que, dans 20 ans, la technologie
aura assez évolué pour nous « sauver
miraculeusement » sans que nous n’ayons auparavant
opéré un changement radical dans nos modes de production
et de consommation. Une nouvelle centrale permet donc aux
défenseurs du statu quo d’acheter du temps pour mieux
remettre à plus tard les indispensables mesures de
sobriété énergétique qui doivent conduire
au renversement du productivisme.

Changer le monde, pas le climat !

La priorité doit aller à un plan massif
d’économies d’énergie. Une grande partie de
l’électricité produite aujourd’hui est
gaspillée (surproduction industrielle, appareils en veille,
ampoules à incandescence, éclairage public gourmand,
etc.). Nous devons combattre ces
« mésusages » et non les encourager en
produisant toujours plus ! Construire une nouvelle centrale pour
lutter contre la pénurie sans questionner les usages
relève donc de la même logique de fuite en avant que de
construire une nouvelle prison pour lutter contre la surpopulation
carcérale sans jamais s’interroger sur la
politique répressive.

    Pour inciter à la sobriété
énergétique tout en améliorant la justice sociale,
on pourrait instaurer une gratuité puis une progressivité
très forte du prix du KWh en fonction de la consommation. Rien
ne justifie de payer le même prix le KWh pour allumer sa
cuisinière ou pour laisser des bureaux allumés toute la
nuit. Pour le chauffage, la priorité doit être mise sur
l’assainissement des bâtiments (en contraignant les
propriétaires à rénover avec les plus hauts
standards), les doubles-vitrages et les chaudières à
« pellets de bois ». Nous pouvons aussi
augmenter la production d’énergie solaire du canton, ce
qui nous libérerait – et pour le coup, durablement –
d’une partie de notre dépendance énergétique
envers l’extérieur. Si besoin, une nouvelle centrale
hydraulique (cf. le projet de Conflan) permettrait à elle seule
de couvrir 50 % de la production électrique de la
centrale à gaz, sans émettre de CO2. Si cela devait ne
pas suffire, il existe encore, en dernier recours, la solution
d’investir dans l’éolien en Suisse ou en Europe du
Nord.

    Bref, les solutions existent. Il ne manque donc que
la volonté politique… que nous devons contribuer à
insuffler, sans quoi
« l’écosocialisme » pourrait ne
rester qu’un vain slogan.

Thibault Schneeberger


1    Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat
2    Il faudrait encore dire un mot du fait que les
ressources en gaz ne sont – de loin – pas
illimitées, et que le prix du gaz devrait, en
conséquence, dans les prochaines décennies, suivre une
courbe ascendante vertigineuse comme l’ont fait les prix du
pétrole jusqu’en juillet 2008