GAZA 2009 : exterminez toutes les brutes !

GAZA 2009 : exterminez toutes les brutes !



Nous publions dans ce cahier un large
extrait d’un long texte de Noam Chomsky, rédigé
« à chaud » dans les jours suivant
l’offensive militaire israélienne contre Gaza et mis en
ligne le 20 janvier dernier. Le titre ci-dessus de Chomsky renvoie au
classique de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres. Il
résume en une formule le mépris raciste meurtrier
sous-tendant l’entreprise coloniale européenne du XIXe
siècle… auquel fait écho et renvoie celui de
l’Etat d’Israël aujourd’hui. Mépris
raciste et meurtrier qui vient de se matérialiser encore une
fois contre les Palestinien-ne-s de Gaza avec un degré de
barbarie programmée particulièrement terrible.
(réd)

Samedi 27 décembre 2008 la dernière attaque en date est
lancée contre les Palestinien·ne·s sans
défense. Elle fut minutieusement préparée, depuis
plus de 6 mois selon la presse israélienne. Le plan comprend
deux aspects, l’un militaire et l’autre de propagande. Il
est basé sur les leçons de l’invasion
israélienne du Liban en 2006, mal programmée et peu
« expliquée » au public. Nous pouvons
donc être certains que ce qui a été fait a
été intentionnel et programmé.

    Ainsi en est-il sûrement du moment de
l’agression : un peu avant midi, quand les enfants sortent
de l’école et que les foules s’affairent dans les
rues de Gaza densément peuplées. Quelques minutes
suffiront pour tuer plus de 225 personnes et en blesser 700.
Début de bon augure au massacre en masse de civils sans
défense, pris au piège dans une petite cage, sans moyen
d’en échapper.
Une folie meurtrière volontaire

Dans sa rétrospective « inventaire des gains de la
Guerre de Gaza » le correspondant du New York Times Ethan
Bronner a classé cet acte comme une réussite des plus
significatives. Israël a anticipé l’avantage de
paraître « devenir fou » en causant une
terreur totalement disproportionnée, doctrine qui remonte aux
années 1950. « Les
Palestiniens à Gaza ont reçu le message dès le
premier jour » écrit Bronner, « quand
les avions de guerre d’Israël ont frappé d’un
coup de multiples cibles au beau milieu d’un samedi matin.
Environ 200 furent tués instantanément, terrifiant le
Hamas et bien sûr tout Gaza 
». La tactique du
« devenir fou » semble avoir porté ses
fruits conclut Bronner : il y a « certaines indications que les Gazaouis ressentent tellement de douleur qu’ils ne soutiendront plus le Hamas »,
gouvernement qu’ils ont élu. A ce propos, je ne me
souviens pas de la rétrospective du Times :
« inventaire des gains de la guerre de Tchétchénie », bien que les gains en furent élevés.

    La préparation minutieuse comprenait aussi
certainement la fin de l’agression, soigneusement
planifiée, juste avant l’investiture d’Obama pour
minimiser la menace (lointaine) qu’il puisse émettre
quelques critiques sur ces crimes odieux soutenus par les USA.

    Deux semaines après le début de ce
Shabbat agressif, Gaza étant déjà ensevelie sous
les décombres et le bilan humain avoisinant les 1000 morts,
l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les
réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA), dont
dépend la survie de la plupart des Gazaouis, annonce que
l’armée israélienne lui refuse l’acheminement
de l’aide vers Gaza, arguant que la frontière est
fermée durant la fête du Shabbat. Pour honorer le jour
saint, on refuse nourriture et médicaments aux Palestiniens, sur
le point de mourir, pendant que des centaines d’autres sont
massacrés par les bombardiers et les hélicoptères
de fabrication étasunienne.

USA-Israël: couple criminel…

Cette double norme de respect scrupuleux du Shabbat ne provoque que
peu, ou pas du tout la critique. Cela s’explique. Dans les
annales criminelles du couple Israël-Etats-Unis, cette
cruauté et ce cynisme ne méritent pas même une note
de bas de page. C’est trop courant. Pour citer un
parallèle significatif, en juin 1982 l’invasion
israélienne du Liban, avalisée par les Etats-Unis,
commença par le bombardement des camps de
réfugié·e·s palestiniens de Sabra et
Shatila, qui devinrent ensuite les symboles des terribles massacres
supervisés par les IDF (Forces de
« Défense » israéliennes). Le
bombardement toucha l’hôpital local –
l’hôpital Gaza – et tua plus de 200 personnes selon
le témoignage d’un universitaire étasunien
spécialiste du Moyen-Orient. Cette boucherie fut l’acte
d’ouverture d’une hécatombe qui extermina quelque 15
à 20 000 personnes et détruisit la plus grande
partie du Sud Liban et de Beyrouth, avec le soutien militaire et
diplomatique des Etats-Unis. Soutien sous forme de veto au Conseil de
Sécurité de l’ONU dont les résolutions
visaient à bloquer cette agression criminelle menée en
fait pour protéger Israël d’un règlement
pacifique et politique, et non les Israéliens souffrant sous
d’intenses tirs de roquettes, inventions commodes de
l’imagination d’apologistes.

    Tout cela est normal et commenté assez
ouvertement par de hauts dignitaires israéliens. Il y a 30 ans,
le chef d’état-major Mordechai Gur observait que depuis
1948 « nous avons combattu une population habitant des
villages et des villes ». Ou, résumé par le
plus notoire des analystes militaires israéliens Zeev Schiff,
« l’armée israélienne a toujours,
délibérément et consciemment visé les
populations civiles… l’armée n’a jamais
distingué les cibles civiles [des militaires… mais] a
intentionnellement attaqué des objectifs civils ».
Les raisons furent expliquées par l’éminent homme
politique Abba Eban : « il y avait un but
rationnel, atteint en définitive, de toucher les populations
civiles afin qu’elles exercent une pression pour
l’arrêt des hostilités ». Le
résultat, comme l’avait bien compris Eban, devait
permettre à Israël de mettre en œuvre sans obstacles
son plan d’expansion illégale et de répression
brutale. Eban commentait l’analyse par le premier Ministre Begin
des attaques du gouvernement travailliste contre des civils; Begin,
selon les mots d’Eban, donnait une image
« d’Israël infligeant sans raison la mort et
l’angoisse à des populations civiles comme le firent des
régimes que ni M. Begin ni moi n’oserions appeler par leur
nom ». Eban ne contestait pas les faits qu’analysait
Begin, mais le critiquait de les exposer publiquement. Cela ne
concernait pas non plus Eban, ni ses admirateurs, que son plaidoyer en
faveur d’une terreur d’Etat massive puisse lui-même
remémorer des régimes dont il n’oserait prononcer
le nom.

    Les justifications d’Eban de la terreur
d’Etat sont perçues comme convaincantes par des
autorités respectées. Pendant que l’attaque
israélo-étasunienne récente faisait encore rage,
le chroniqueur du Times Thomas Friedman expliquait que la tactique
d’Israël, comme celle adoptée au cours de
l’invasion du Liban en 2006, est basée sur un principe
sain : « essayer
‹ d’éduquer › le Hamas en
infligeant de lourdes pertes à ses militants et des souffrances
terribles à la population de Gaza ». Cela se
comprend d’un point de vue pratique, comme ce fut le cas au Liban
où « la seule dissuasion à long terme fut
d’exposer les civils – les familles et employeurs des
militants – à de telles calamités pour qu’ils
ne soutiennent plus le Hezbollah dans le futur ». Avec une
telle logique, les efforts de Ben Laden pour
« éduquer » les étasuniens le
11/09 étaient aussi dignes d’éloges, tout comme les
attaques nazies à Lidice et Oradour, la destruction de Grozny
par Poutine et d’autres tentatives notoires
« d’éducation ».

Terrorisme d’Etat contre société palestinienne

Israël a fait beaucoup d’efforts pour afficher son
attachement à ces principes directeurs. Le correspondant du New
York Times, Stephen Erlanger, rapporte que les associations de
défense des Droits de l’homme sont
« troublés par les frappes d’Israël sur
des bâtiments censément civils, comme le Parlement, les
commissariats et le Palais présidentiel » et,
pourrions-nous ajouter, les villages, les maisons, les camps de
réfugiés densément peuplés, les
systèmes d’adduction et d’épuration
d’eau, les hôpitaux, les écoles et les
universités, les mosquées, les installations de secours
des Nations Unies, les ambulances et en fait tout ce qui peut soulager
la douleur de victimes insignifiantes. Un haut officier du
renseignement israélien a expliqué que
l’armée israélienne avait attaqué
« deux facettes du Hamas – la Résistance
c’est-à-dire son aile militaire, et sa dawa (NDT :
en arabe, technique de prosélytisme religieux),
c’est-à-dire son aile sociale », cette
dernière étant un euphémisme pour désigner
la société civile. Il a fait valoir que « le
Hamas était un seul bloc » et de continuer,
« dans une guerre, les instruments de contrôle
politique et social sont des cibles aussi légitimes que les
caches de roquettes ». Erlanger et ses éditeurs ne
font aucun commentaire sur l’apologie directe et la pratique
massive du terrorisme visant des civils, et, comme on l’a
déjà noté, les correspondants et chroniqueurs
acceptent ou justifient explicitement les crimes de guerre. Mais, selon
la norme, Erlanger ne manque pas de souligner que les roquettes du
Hamas sont « une violation flagrante du principe de discrimination, correspondant à la définition classique du terrorisme ».

    Comme d’autres familiers de la région,
le spécialiste du Moyen-Orient Fawwaz Gerges observe :
« Ce que les
responsables israéliens et leurs alliés étasuniens
ne comprennent pas c’est que le Hamas n’est pas seulement
une milice armée, mais un mouvement social avec une large base
populaire, profondément ancré dans la
société.
 » Donc, quand ils déploient
leurs plans pour détruire « l’aile
sociale » du Hamas, ils détruisent en fait la
société palestinienne.
    Gerges est peut-être trop gentil. Il est
hautement improbable que les responsables étasuniens et
israéliens – ou les médias et autres commentateurs
– ne comprennent pas ces faits. Au contraire, ils adoptent
implicitement la posture habituelle de ceux qui monopolisent les moyens
de la violence : d’un coup de poing nous pouvons
écraser toute opposition, et si le bilan civil de nos attaques
brutales est lourd, c’est aussi bien: peut-être les
survivants seront-ils convenablement éduqués.

    Les officiers des IDF savent très bien
qu’ils détruisent la société civile. Ethan
Bronner cite un colonel israélien qui dit que lui et ses hommes
ne sont pas très « impressionnés par les combattants du Hamas ». « Ce sont des villageois avec des armes »,
a déclaré un tireur sur un blindé de transport de
troupe. Ils ressemblent à ces victimes des criminelles IDF
durant l’opération « poigne de
fer » en 1985 dans le Sud Liban occupé,
dirigée par Shimon Peres, l’un des plus grands chefs
terroristes de l’ère de la « Guerre contre la
Terreur » de Reagan. Au cours de ces opérations,
des commandants israéliens et des analystes stratégiques
ont expliqué que les victimes étaient des « terroristes villageois », difficile à éradiquer parce que « ces terroristes opèrent avec le soutien de la majorité de la population locale ».

    Un commandant israélien se plaint que
« le terroriste… a de nombreux yeux, car il vit
ici ». Dans le même temps, le correspondant
militaire du Jérusalem Post décrit les problèmes
rencontrés par les forces israéliennes dans sa lutte
contre les « terroristes mercenaires »,
« fanatiques assez dévoués à leur
cause pour prendre le risque d’être tués en se
battant contre l’armée israélienne »,
qui doit « maintenir l’ordre et la
sécurité » dans le Sud Liban occupé,
malgré « le prix que les habitants devront
payer ». Le problème a été familier
aux Etasuniens au Sud Vietnam, aux Russes en Afghanistan, aux Allemands
dans l’Europe occupée, et à d’autres
agresseurs qui se rejoignent dans la mise en œuvre de la doctrine
Gur-Eban-Friedman.

Le Hamas démocratiquement élu…

Gerges estime que la terreur d’Etat israélienne va
échouer : le Hamas, écrit-il, « ne
peut pas être effacé sans massacrer un demi-million de
Palestiniens. Si Israël réussit à tuer les hauts
dirigeants du Hamas, une nouvelle génération plus
radicale que l’actuelle les remplacera rapidement.
 Le Hamas est une réalité de la vie. Il ne partira
pas, et ne hissera pas le drapeau blanc, quel que soit le nombre de
victimes qu’il ait à déplorer ».
    Peut-être, mais il y a souvent une tendance
à sous-estimer l’efficacité de la violence. Il est
particulièrement étrange que cette croyance se
développe aux Etats-Unis. Pourquoi en sommes-nous
là ?

    Le Hamas est régulièrement
dépeint comme « le Hamas soutenu par l’Iran,
qui se consacre à la destruction
d’Israël ». On le trouvera difficilement
décrit comme « le Hamas démocratiquement
élu, qui a longtemps été en faveur d’un
règlement à deux Etats, en accord avec le consensus
international » – bloqué depuis plus de 30
ans par les Etats-Unis et Israël qui rejettent
catégoriquement et explicitement le droit des Palestiniens
à l’autodétermination. Tout cela est vrai, mais
inutile à la Ligne du Parti, donc superflu.

    Les détails mentionnés plus haut, bien
que mineurs, nous apprennent néanmoins quelque chose sur
nous-mêmes et nos clients. Comme d’autres détails.
Par exemple, quand la dernière agression
américano-israélienne sur la bande de Gaza a
commencé, un petit bateau, la Dignité, faisait route de
Chypre vers Gaza. A bord, les médecins et les militants des
Droits de l’Homme avaient l’intention de briser le blocus
criminel imposé par Israël et d’apporter de
l’aide médicale à la population emprisonnée.
Le navire a été intercepté dans les eaux
internationales par la marine israélienne qui l’avait
déjà sévèrement percuté, le coulant
presque, mais il a réussi à se traîner
jusqu’au Liban. Israël a publié ses mensonges
ordinaires, réfutés par les journalistes et les passagers
à bord, y compris le correspondant de CNN Karl Penhaul et
l’ancien représentant des Etats-Unis et candidat
présidentiel du Parti Vert, Cynthia McKinney. C’est un
crime grave – bien pire par exemple que le détournement de
bateaux au large des côtes de la Somalie. Il est passé,
sans attirer beaucoup l’attention. L’acceptation tacite de
tels crimes reflète celle que la bande de Gaza est un territoire
occupé, qu’Israël est en droit de
l’assiéger avec l’aval des gardiens de l’ordre
international pour perpétrer des crimes en haute mer et mettre
en œuvre ses actions punitives envers la population civile qui
désobéirait à ses ordres – sous des
prétextes auxquels nous revenons toujours, presque
universellement acceptés, mais clairement intenables.

    De nouveau ce manque d’attention a du sens.
Pendant des décennies, Israël a détourné des
bateaux dans les eaux internationales entre Chypre et le Liban, tuant
ou enlevant leurs passagers, les transférant parfois dans des
prisons en Israël, y compris des prisons secrètes ou
chambres de torture, les détenant en otages pendant de
nombreuses années. Étant donné que ces pratiques
sont courantes, pourquoi traiter ces nouveaux crimes autrement
qu’avec un bâillement? Chypre et le Liban ont réagi
très différemment, mais qui sont-ils dans l’ordre
des choses?

Deux poids, deux mesures

Qui se soucie par exemple que les rédacteurs du Daily Star au
Liban, généralement pro-occidentaux, écrivent que
« Près d’un
million et demi de personnes dans la bande de Gaza sont soumis à
la gestion meurtrière de l’un des pays à la
technologie la plus avancée, mais à la morale de machines
militaires des plus régressives. On suggère souvent que
les Palestiniens sont devenus dans le Monde arabe ce que les Juifs
étaient en Europe avant la Seconde guerre mondiale, et il y a
une certaine vérité à cette interprétation.
Il est donc approprié et totalement abject que, tout comme les
Européens et les Nord Américains détournaient les
yeux quand les nazis perpétraient l’Holocauste, les Arabes
ne fassent rien pendant que les Israéliens massacrent les
enfants Palestiniens
. » La brutale dictature egyptienne,
qui bénéficie de l’aide militaire américaine
la plus importante après Israël, est peut-être le
plus honteux des régimes arabes.

    Selon la presse libanaise, Israël continue
« d’enlever régulièrement des civils
libanais du côté libanais de la Ligne bleue [la
frontière internationale], comme récemment en
décembre 2008 ». Et bien sûr
« les avions israéliens violent quotidiennement
l’espace aérien libanais, en violation de la
Résolution 1701 des Nations Unies » (Amal
Saad-Ghorayeb, chercheur libanais, Daily Star, 13 janvier). Cela aussi
advient depuis longtemps. En condamnant l’invasion
israélienne du Liban en 2006, l’éminent analyste
stratégique israélien Zeev Maoz écrit dans la
presse israélienne que « Israël
a violé l’espace aérien libanais en effectuant des
missions de reconnaissance aérienne presque chaque jour depuis
son retrait du Sud Liban, il y a six ans. Certes, ces survols
aériens n’ont pas fait de victimes libanaises, mais une
violation des frontières reste une violation des
frontières. Ici encore la morale d’Israël n’est
pas des plus élevées
.» Et en général, il n’y a aucune justification au « consensus établi en Israël que la guerre contre le Hezbollah au Liban est une guerre juste et morale », un consensus « fondé
sur une mémoire sélective à court terme, sur une
vision du monde introvertie, et sur des doubles standards. Ce
n’est pas une guerre juste, l’utilisation de la force est
excessive et aveugle, et son but ultime est l’appropriation

    Comme Maoz le rappelle aussi au lecteur
israélien, les survols avec bangs supersoniques pour terroriser
les Libanais sont les moindres crimes israéliens au Liban, sans
parler des cinq invasions depuis 1978 : « Le 28
juillet 1988, les forces spéciales israéliennes ont
enlevé le cheikh Obeid, et le 21 mai 1994 Israël a
enlevé Mustafa Dirani, responsable de la capture du pilote
israélien Ron Arad [quand il bombardait le Liban en 1986].
Israël le détient avec 20 autres Libanais capturés
dans des conditions inconnues, et gardés longtemps en prison,
sans jugement. Ils ont été détenus comme
‹ monnaie d’échange › humaine.
Apparemment, quand le Hezbollah enlève des Israéliens
pour en faire des prisonniers d’échange cela est
moralement répréhensible, et passible de sanctions
militaires. Quand Israël le fait, c’est tout à fait
normal », bien que ce soit sur une plus grande
échelle et depuis de très nombreuses années.

    Les pratiques ordinaires d’Israël sont
éloquentes au-delà même de ce qu’elles
révèlent sur la criminalité d’Israël et
le soutien de l’Occident. Comme l’indique Maoz, ces
pratiques soulignent la parfaite hypocrisie de la revendication
constante par Israël du droit d’envahir de nouveau le Liban
en 2006, lorsque des soldats furent capturés à la
frontière. C’était la première action
transfrontalière du Hezbollah au cours des six années qui
ont suivi le retrait d’Israël du Sud Liban, occupé en
violation des ordres du Conseil de Sécurité datant de 22
ans, alors que pendant ces six années, Israël a
violé la frontière presque tous les jours, avec
impunité et dans notre silence.

    De nouveau l’hypocrisie routinière.
Ainsi, Thomas Friedman, tout en expliquant comment ces sous-races
doivent être « éduquées »
par la violence terroriste, écrit que l’invasion
israélienne du Liban en 2006, détruisant encore une fois
une bonne partie du Sud Liban et de Beyrouth, tuant un millier de
civils, était un acte juste d’autodéfense en
réponse au crime du Hezbollah « lançant sans
raisons une guerre au-delà de la frontière reconnue par
l’ONU entre Israël et le Liban, alors qu’Israël
s’est retiré unilatéralement du
Liban ». Si l’on ignore le mensonge et use de la
même logique, les attaques terroristes contre les
Israéliens, jugées beaucoup plus destructrices et
meurtrières que toutes les autres, seraient pleinement
justifiées en réponse aux pratiques criminelles
d’Israël au Liban et en haute mer, qui dépassent
largement le crime du Hezbollah de capturer deux soldats à la
frontière. L’ancien spécialiste du Moyen-Orient du
New York Times connaît très bien ces crimes, du moins
s’il lit son journal : par exemple, le paragraphe 18
d’un article sur l’échange de prisonniers en
novembre 1983 remarque sans s’y attarder que les 37 prisonniers
arabes « ont été capturés
récemment par la marine israélienne alors qu’ils
tentaient d’aller de Chypre à Tripoli », au
nord de Beyrouth.

    Bien sûr, toutes ces conclusions sur les
actions appropriées contre les riches et les puissants sont
fondées sur un vice fondamental: nous c’est nous et eux
c’est eux. Ce principe essentiel, profondément
enraciné dans la culture occidentale, suffit à infirmer
la comparaison la plus appropriée et le raisonnement le plus
parfait. […]

La stratégie de l’expansion et du conflit

L’espoir de la propagande israélienne était que les
intellectuels et les médias occidentaux avaleraient
l’histoire qu’Israël n’avait fait que
réagir à une pluie de roquettes sur la Galilée,
« intolérables actes de terrorisme ».
Et ils n’ont pas été déçus.

    Ce n’est pas qu’Israël ne veuille
pas la paix, tout le monde veut la paix, même Hitler la voulait.
La question est : à quelles conditions ? Depuis
ses origines, le mouvement sioniste a compris que pour atteindre ses
buts, la meilleure stratégie serait de retarder un
règlement politique, tout en construisant des faits sur le
terrain. Même les quelques accords, comme ceux de 1947, ont
été conçus par la direction sioniste comme des
étapes provisoires pour poursuivre l’expansion. La guerre
du Liban de 1982 a été un exemple spectaculaire de la
peur extrême de la diplomatie. Elle a été suivie
par le soutien d’Israël au Hamas afin de saper l’OLP
laïque et ses initiatives de paix irritantes. Un autre exemple qui
devrait être familier est constitué par les provocations
israéliennes avant la guerre de 1967 – au moins 80 % des
incidents, selon le ministre de la Défense Moshe Dayan –
visant à déclencher une réponse syrienne qui
aurait pu être utilisée comme prétexte à la
violence et à la conquête d’autres terres.
    L’histoire remonte loin en arrière.
L’histoire officielle de la Haganah, la force militaire
d’avant l’Etat juif, raconte l’assassinat en 1924 du
poète juif religieux Jacob de Haan, accusé d’avoir
conspiré avec la communauté juive traditionnelle (la
vieille Yichouv) et le Haut comité arabe contre les nouveaux
immigrants et leur entreprise de colonisation. Et il y a eu de nombreux
exemples depuis.

    L’effort pour retarder un compromis politique
a toujours eu un sens parfait, de même que les mensonges qui
l’accompagnent sur le « manque de partenaire pour la
paix ». Il est difficile d’imaginer une autre
façon de contrôler la terre où vous êtes
indésirable.

    Des raisons semblables sous- tendent la
préférence d’Israël pour l’expansion
plutôt que pour la sécurité. Sa violation du
cessez-le-feu le 4 novembre 2009 en est l’un des nombreux
exemples récents.

Une chronologie d’Amnesty international montre que le
cessez-le-feu de juin 2008 avait « apporté
d’énormes améliorations dans la qualité de
vie des habitants de Sderot et d’autres villages
israéliens près de Gaza, où auparavant les gens
vivaient dans la crainte des prochains tirs de roquettes palestiniens.
Toutefois, à proximité, dans la bande de Gaza, le blocus
israélien reste en place et la population n’a pas encore
vu les bénéfices du cessez-le-feu ». Mais
les gains en matière de sécurité pour les villes
d’Israël près de la bande de Gaza ont
été manifestement dépassés par le besoin de
dissuader les initiatives diplomatiques qui pourraient entraver
l’expansion en Cisjordanie et d’écraser toute
résistance résiduelle en Palestine.

La préférence pour l’expansion sur la
sécurité a été particulièrement
manifeste depuis la décision fatale d’Israël en 1971.
Soutenu par Henry Kissinger, il a rejeté l’offre du
président d’Egypte Sadate d’un traité de paix
global qui n’offrait rien aux Palestiniens – un accord que
les Etats-Unis et Israël ont été obligés
d’accepter à Camp David, huit ans plus tard, après
une guerre qui fut presque un désastre pour Israël. Un
traité de paix avec l’Egypte aurait mis fin à toute
menace à la sécurité, mais il y avait un quiproquo
inacceptable: Israël aurait dû abandonner ses vastes
programmes de peuplement dans le nord-est du Sinaï. La
sécurité était, et est toujours, une
priorité moindre que l’expansion. Des preuves
évidentes de cette conclusion sont fournies par
l’étude magistrale sur la sécurité et la
politique étrangère d’Israël
« Défense de la Terre Sainte », par Zeev Maoz.

Autodestruction israélienne

Aujourd’hui, Israël pourrait avoir la sécurité
et des relations normalisées et intégrées dans la
région. Mais il préfère clairement
l’expansion illégale, les conflits, et l’exercice
répété de la violence. Actions qui ne sont pas
seulement criminelles, meurtrières et destructrices, mais qui
sapent sa propre sécurité à long terme. Le
spécialiste militaire des Etats-Unis et du Moyen-Orient Andrew
Cordesman écrit qu’Israël peut être sûr
de sa force militaire pour écraser la bande de Gaza sans
défense. Mais il ajoute, « ni
Israël ni les Etats-Unis ne peuvent profiter d’une guerre
qui produit une réaction (amère) de l’une des voix
les plus sages et les plus modérées du Monde Arabe, celle
du Prince Turki al-Fayçal d’Arabie Saoudite, qui a dit le
6 janvier : ‹ Avec ces massacres et effusions de sang
d’innocents dans la bande de Gaza, l’administration Bush a
laissé [à Obama] un héritage déplorable et
une position dangereuse… Assez, c’est assez !
Aujourd’hui nous sommes tous des Palestiniens et nous recherchons
le martyre pour Dieu et pour la Palestine, en mémoire de ceux
qui sont morts dans la bande de Gaza ›.»

    Une des voix les plus sages en Israël, celle
d’Uri Avnery, dit qu’après la victoire militaire
israélienne,
« Une cicatrice restera dans la conscience du monde,
l’image d’un monstre taché de sang, Israël,
prêt à chaque instant à commettre des crimes de
guerre et à refuser toute contrainte morale. Cela aura de graves
conséquences pour notre futur, notre position dans le monde et
nos chances de parvenir à la paix et au calme. En fin de compte,
cette guerre est aussi un crime contre nous-mêmes, un crime
contre l’Etat d’Israël
 ».

    Il y a de bonnes raisons de croire qu’il a
raison. Israël est délibérément en train de
devenir le pays le plus haï au monde. Israël est aussi en
train de perdre la confiance de l’Occident, y compris celle des
jeunes Juifs américains qui sont peu susceptibles de
tolérer encore longtemps ses crimes choquants. Il y a quelques
décennies, j’ai écrit que ceux qui se
déclarent « partisans
d’Israël » sont en réalité des
partisans de sa dégénérescence morale et de sa
destruction probable. Malheureusement, ce jugement semble de plus en
plus crédible. […]

Noam Chomsky