Droit à un salaire minimum légal: c’est légal!

Droit à un salaire minimum légal: c’est légal!

C’est en septembre dernier que
solidaritéS faisait aboutir à Genève
l’initiative populaire cantonale « Pour le droit
à un salaire minimum ». Déposée en
trois mois plutôt que quatre et avec un quart de signatures de
plus que le plancher légal de dix mille paraphes, cette
initiative reflétait l’engagement concret de
solidaritéS contre le dumping salarial et la pauvreté
croissante…

Elle s’inscrivait, bien sûr aussi dans une campagne en vue
de l’élection de la Constituante genevoise lors de
laquelle les porte-paroles de la liste patronale affirmaient au
printemps déjà qu’il fallait
« éviter que nos adversaires imposent de nouveaux
droits, comme le salaire minimum…» Avec une volonté
de notre part de donner la parole non seulement aux futurs
élu·e·s à la Constituante, mais aux gens
dans la rue… et à tous les citoyen·ne·s.

    Mais elle s’inscrivait surtout dans une
campagne concertée, qui a vu des initiatives cantonales pour un
salaire minimum être lancées et aboutir dans plusieurs
cantons et qui a vu l’idée d’une imposition de ce
droit social à l’échelle nationale, par le biais
d’une initiative populaire fédérale, faire du
chemin, notamment avec la décision cet automne du Congrès
national d’Unia de mettre le lancement d’une telle
initiative à l’étude.

Vers le vote populaire

Aujourd’hui, comme le titrait
en Une Le Courrier du 10 février « Le projet d’un
salaire minimum légal gagne une manche à
Genève ». En effet, c’est la veille
qu’était rendu public un gros rapport du Conseil
d’Etat genevois, concernant notre initiative. Dans celui-ci, le
gouvernement genevois, après avoir fait disséquer et
examiner le texte de l’initiative sous toutes ses coutures par
ses juristes, conclut qu’il n’y a pas matière
à l’invalider et recommande en conséquence au
parlement cantonal d’en reconnaître la validité
légale, ouvrant la voie du vote populaire sur la question.

    On ne résumera pas ici la bonne trentaine de
pages consacrées dans le rapport à l’examen de
cette question : recevabilité formelle, unité de
forme, unité de genre, clarté… L’initiative
passe le test. Sur le plan de la conformité au droit
supérieur on apprend – évidemment ! –
que le principe d’un  salaire minimum légal est
conforme au droit international… Même si les juristes de
la couronne en profitent au passage pour rappeler puisque nous nous y
sommes référés dans notre argumentaire que
« la déclaration universelle des droits de
l’homme […] n’a pas d’effet juridique
contraignant ». Ce qui fait évidemment
l’objet de l’examen et de la discussion la plus
approfondie, c’est la conformité au droit
fédéral, dont la frilosité en matière
sociale et de protection des travailleurs-euses est connue de tous.
Malgré celle-ci, les conclusions du Conseil d’Etat
genevois sont explicites : l’initiative ne saurait
être rejetée pour des motifs juridiques.

Prévenir le dumping salarial

Ceci même si le gouvernement du
bout du Lac indique que l’idée de « passer
d’une logique de mesures correctrices à un logique de
mesures préventives » en ce qui concerne la lutte
contre la sous-enchère salariale, ne correspond pas à la
démarche des Chambres fédérales en matière
de mesures d’accompagnement à l’Accord sur la libre
circulation des personnes, puisque celles- ci exigent l’existence
d’une « sous enchère abusive et
répétée » pour l’extension
d’une CCT ou l’édiction d’un contrat type avec
salaires minimaux obligatoires.

    En clair le droit fédéral affirmerait
qu’îl vaut mieux guérir que prévenir et notre
initiative dirait – comme le veut le bon sens – le
contraire. En effet ! Ainsi, ce n’est peut-être pas
un hasard que le rapport du Conseil d’Etat genevois, qu’il
avait l’obligation légale de déposer le 31 janvier,
n’ait été rendu public que le 9 février, au
lendemain du vote sur les bilatérales. Car il met le doigt sur
l’une des insuffisances manifestes des « mesures
d’accompagnement » en matière de droits des
travailleurs-euses et que notre initiative vise,
précisément, à combattre.

    Quoi qu’il en soit les conclusions du Conseil
d’Etat sont importantes, et pas pour Genève seulement,
puisqu’elles apporteront de l’eau au moulin de la
validation de l’initiative vaudoise pour le droit à un
salaire minimum dont la teneur est exactement la même que celle
du texte genevois. Rappelons d’ailleurs que c’est un
prêté pour un rendu, puisqu’un premier
« avis de droit » du Service de la
législation du Canton de Vaud, portant sur une initiative
parlementaire de notre camarade et député vaudois
Jean-Michel Dolivo, formulée dans les mêmes termes que nos
initiatives, concluait lui aussi à sa recevabilité.

Sur le fond : le gouvernement dit NON !

Pour le surplus, le gouvernement genevois plaide, sur le fond, pour le
rejet de l’initiative. Ce qui a pour (seul !) avantage de
rendre sa position sur la recevabilité de celle-ci peu suspecte
de complaisance. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre
depuis plus de trois ans ne seront pas surpris que ce gouvernement
à majorité rose-verte soit fermé à
l’idée qu’on puisse inscrire dans la loi le principe
que « toute personne exerçant une activité
salariée puisse disposer d’un salaire lui garantissant des
conditions de vie décentes » !

    Les arguments du Conseil d’Etat à
l’appui de cette position socialement indéfendable ne
méritent guère qu’on s’y attarde ici, nous
aurons l’occasion d’y revenir. Outre l’affirmation
infondée d’un prétendu bilan positif de sa
« lutte » contre la pauvreté et la
précarité, le Conseil d’Etat serine la rengaine du
« partenariat social » en affirmant que la
fixation de minimas légaux en matière de salaires serait
un frein à la conclusion de CCT. Un argument qui plaiderait tout
aussi bien pour le démontage de tous les droits légaux
des travailleurs-euses au nom du « partenariat
social » et des
« négociations » qui
s’ensuivraient ! Un argument qui tombe d’uutant plus
à faux que les organisations syndicales elles-mêmes
– longtemps réticentes à ce type de mesures –
s’y rallient de plus en plus, comme en atteste par exemple
à Genève, la prise de position de la CGAS favorable au
principe d’un salaire minimum.

    L’étape suivante du parcours de
l’initiative genevoise est parlementaire. En effet, c’est
avant les vacances d’été prochaines, que le Grand
conseil genevois devra décider de sa position sur la
validité de l’initiative. Il faudra se mobiliser alors
pour enrayer toute volonté de la droite majoritaire au Grand
Conseil de priver les citoyen-ne-s de la décision en invalidant
l’initiative pour de prétendus motifs juridiques !
L’un des thèmes d’une manifestation de rue sociale
massive au mois de juin à Genève ? Pourquoi
pas ! Nous y reviendrons… 

Pierre Vanek