ABRACADABRA et… baisse record du taux de chômage!

ABRACADABRA et… baisse record du taux de chômage!

Voici comment l’on pourrait
résumer l’impact de la nouvelle loi cantonale sur le
chômage, entrée en vigueur le 1er février 2008.
Avant de regarder dans le chapeau et les manches du prestidigitateur,
observons son numéro…

Un an, jour pour jour, après la votation qui a
consacré l’acceptation de sa loi, le Conseiller
d’Etat radical François Longchamp fait le bilan de ses 10
premiers mois d’application. Il claironne que notre canton a
connu une baisse du taux de chômage de 5,3% et que le
chômage de longue durée, qu’il désigne comme
la principale cible de la nouvelle loi, a chuté de 26,8 %. Il se
targue du fait que Genève ne détienne plus la lanterne
rouge en matière de statistiques de chômage et
qu’elle gobe littéralement l’écart qui la
séparait des autres cantons et de la
Confédération. Selon lui, Genève doit ces
résultats exemplaires à son dynamisme et à sa
proactivité dans le traitement du chômage. Mieux encore,
le report des exclu-e-s de l’assurance chômage sur
l’aide sociale, tant invoquée par de sombres augures,
n’aurait pas eu lieu. Applaudissez l’artiste! Pourtant,
quelques esprits chagrins, dont je suis, ne peuvent
s’empêcher de demander ce qu’il est advenu de tous
ces chômeurs-euses? Rien dans les mains! Rien dans les poches!
Où sont-ils donc passés?

A n’en pas douter, certains d’entre eux-elles auront sans
doute pu profiter de la certaine, mais néanmoins fugace,
embellie économique. D’autres auront été mis
au bénéfice des efforts acharnés
déployés soudain par les services de M. Longchamp. A vrai
dire de longue date, on n’avait plus perçu autant
d’opiniâtreté à proposer des mesures
d’accompagnement aux exclu-e-s du marché de
l’emploi. Ainsi, dans ce bel élan tendant accessoirement
à démontrer que cette loi s’imposait, nombre de
partenaires économiques ont été sollicités
pour engager du personnel en programme cantonal d’emploi
formation (PCEF) ou en allocation de retour en emploi (ARE). S’il
n’y suffisait pas, le Ministre du Département de la
solidarité et de l’emploi (DES) n’a pas même
hésité à faire appel à des entreprises
privées de placement ou encore à pervertir le
succès de l’initiative 125 sur la dotation du personnel
dans les EMS en limitant sa portée à 5 millions de
subvention, qu’il a soumise à la condition de les
convertir exclusivement en salaires pour l’engagement de
chômeurs. Et puis, il y a eu encore les 120 personnes
placées en Emploi de Solidarité (EdS).

Dans la manche du magicien…

Pourtant, tout cela ne suffit sans doute pas encore à expliquer
une baisse de 5,3 % du chômage. Notre prestidigitateur en chef ne
cache-t-il pas quelque chose dans sa manche? Regardons plutôt…
On y trouvera celles et ceux qui, au terme de leur indemnisation,
n’ont pu bénéficier du sursis des PCEF ou
d’un reclassement en ARE. On y découvrira encore toutes
celles et ceux qui, ne remplissant pas les conditions
d’accès au Revenu minimum cantonal d’aide sociale
pour chômeurs-euses en fin de droits (RMCAS), se retrouvent soit
à l’aide sociale, soit simplement dans la nature, avec un
revenu en moins pour faire vivre leur famille.

Avec cela, je n’ai encore rien dit du durcissement de
l’application de la loi fédérale sur le
chômage, qui multiplie les sanctions à
l’égard des chômeurs-euses. Sanctions qui les
privent de leurs indemnités, et dont la répétition
peut empêcher l’accès aux prestations du RMCAS. Je
n’ai pas non plus évoqué l’intention
avouée de François Longchamp de supprimer le service du
RMCAS, lui qui s’était pourtant évertué
à en promouvoir la création en 1995, pour faire face
à la réalité indéniable du chômage de
longue durée, et à en défendre «à
n’importe quel prix» la pertinence.

C’est que le concept du RMCAS n’a jamais
véritablement convaincu, en tous cas pas dans la forme qui lui a
été donnée à Genève. Il
remplaçait avantageusement à ce titre le fond cantonal
genevois qui n’offrait auparavant – comme le font
aujourd’hui les PCEF – qu’un répit de six mois
aux chômeurs-euses ayant épuisé leurs
indemnités. Actuellement, la notion de chômage de longue
durée perd de son sens. Il ne s’agit plus d’une
incapacité durable, pour les sans-emploi, de
réintégrer le marché du travail, mais du temps que
l’on met à décider du sort d’un-e
chômeur-euse. Ce doit être cela ce que l’on nomme le
«traitement du chômage». A ce concept, je
préfère de loin celui de «lutte contre le
chômage». Celui-là au moins ne se trompe pas
d’ennemi!

La novlangue du «traitement du chômage»

Le chômage de longue durée n’est pas le seul concept
qui aura été malmené et transformé en
profondeur par la nouvelle loi et ses chantres. Celui de
l’économie sociale et solidaire n’aura pas
été non plus épargné. Les EdS doivent
permettre aux personnes qui ne sont pas en mesure de retrouver un
travail sur le marché primaire de l’emploi de
s’intégrer professionnellement. En toute logique, aux
salaires réduits servis dans ce secteur d’activités
doit incontournablement s’ajouter une allocation ou une rente
pour compenser décemment l’incapacité à
être actif dans le marché primaire.

Ces emplois répondent à un besoin, à une fonction
précise. Ils ne doivent pas être l’espace de
relégation des «exclus pour motifs
économiques» du marché de l’emploi sous peine
de se muer simplement en une nouvelle opération de
sous-enchère salariale. Or, force est de constater que pour bon
nombre d’entre eux, les EdS ne sont que des emplois traditionnels
sous-payés, occupés par des travailleurs-euses à
qui l’on a simplement retranché le droit de voir leur
travail payé selon l’usage.

Pour conclure, l’auto-satisfecit que s’octroie
François Longchamp repose essentiellement sur un tour de
passe-passe, mâtiné d’une réécriture
de la réalité et de statistiques tronquées. Il
faut donc dénoncer cette imposture et en finir avec
l’aggravation de l’injustice sociale, plus ou moins bien
déguisée, qui entache désormais toutes les
mutations de la politique sociale. Pour ce faire, toutes les forces
politiques et syndicales qui entendent prendre le mal à la
racine devront s’allier à nouveau pour mobiliser et
défendre les intérêts, non plus seulement des
travailleurs-euses en emploi, mais également, et cela de plus en
plus, de celles et ceux qui ne le sont plus. 

Jocelyne Haller