Le «Green Deal» ou le mythe de la relance verte
Le «Green Deal» ou le mythe de la relance verte
«Une régulation plus
stricte de la finance ne suffira pas», «Ce ne sont pas les
dysfonctionnements du système qui sont intenables, mais son
fonctionnement même», «A crise systémique,
réponse systémique», «Il sagit de
construire une alternative politique pour une autre
société». La quatrième de couverture de
«Green deal», le livre de Jean-Marc Nollet1, met
toute la gomme pour appâter le lectorat en quête de
réponse globale à la crise globale
économique, écologique, sociale. Le contraste nen
est que plus frappant avec le contenu de louvrage, qui plaide
pour relancer la croissance capitaliste grâce au «boom des
technologies vertes».
Jean-Marc Nollet ny va pas par quatre chemins. Dès
lintroduction de son ouvrage, il confie vouloir
«contribuer [
] à une approche du type de celle de
Roosevelt, en y adjoignant la dimension fondamentale de
lécologie». L«alternative
politique» se ramène donc à un Roosevelt vert, et
la «réponse systémique» à une relance
du système. Car Roosevelt ne sattaqua pas au
«fonctionnement» du capitalisme. Les buts du New Deal
étaient de soutenir les prix agricoles ainsi que la demande
intérieure et déviter que la Grande Crise
nentraîne une explosion sociale. Pour ce faire, Roosevelt
distribua des primes aux agriculteurs qui laissaient pourrir leurs
récoltes, lança un programme de travaux publics, ouvrit
la porte aux syndicats, creusa le déficit budgétaire, et
octroya aux victimes de faillites des compensations qui ne
représentaient pas la moitié des salaires perdus. Il est
vrai que le Président rencontra une opposition parmi les trusts,
mais son but était la relance du capitalisme. Dans le contexte
de lépoque, il ny avait dailleurs que deux
manières de procéder: soit puiser dans
lénorme richesse de la classe dominante US comme
Roosevelt le fit, soit écraser le mouvement ouvrier
comme le fit Hitler.
Roosevelt ou Gordon Brown?
La première des dix propositions du New Deal vert le
Green Deal est un plan de travaux dans les secteurs verts:
isolation des maisons, recherche dans les technologies vertes,
transports en commun. Lidée serait excellente sil
sagissait de travaux publics, répondant directement aux
besoins sociaux, financés par une ponction sur le capital et
échappant à la logique de croissance capitaliste. Mais ce
nest pas le cas. Sagissant des transports en commun, le
député vert évite les questions du statut, de la
gratuité, et même des tarifs. En matière de
recherche, il sinscrit ostensiblement dans le cadre
ultralibéral de la stratégie de Lisbonne et de Barcelone
pour une «économie de la connaissance»
(cest-à-dire une appropriation des savoirs par
lindustrie) et fustige le manque de
générosité de la Belgique vis-à-vis des
patrons qui «lancent des innovations durables». Quant
à lisolation des maisons, lauteur propose de
«suivre lexemple récent de la Grande-Bretagne qui
sest donné pour objectif disoler toutes ses
maisons dici 2020». On sarrêtera quelques
instants sur ce point, très révélateur des limites
du Green Deal.
La place nous manque pour détailler le plan britannique
disolation des maisons. Cest un plan important mais
Nollet le surestime et omet de signaler un point crucial: les
entreprises du secteur énergétique, qui verseront chacune
50 millions de livres sterling au fonds pour lefficience
énergétique, ont annoncé que cette contribution
serait reportée sur les factures à la clientèle
(The Guardian, 12.9.08). Or, il faut savoir que les électriciens
britanniques ont empoché récemment un surprofit de 700
millions de livres sterling en revendant les quotas de CO2 que
lEurope leur avait attribués gratuitement et en
excès, et en facturant le prix de marché de ces quotas
aux consommateurs-trices. Il faut savoir aussi que les logements des
ménages britanniques modestes sont des passoires thermiques, que
les factures énergétiques sont impayables et que des
pensionné-e-s pauvres meurent chaque hiver dhypothermie
dans leur maison. Les syndicats, des associations et des parlementaires
du Labour exigeaient donc que la collectivité
récupère les surprofits des électriciens pour
financer un plan plus ambitieux et plus juste. Gordon Brown nen
a eu cure. Interrogé sur lintention des patrons de faire
payer la population, il a répondu cyniquement: «Je ne
crois pas quils aient besoin de faire ça.»
«Ils» nen ont pas besoin, en effet, mais
«ils» le feront: cest la loi du profit.
Tout capitaliste quil fut, Roosevelt avait mis des
chômeurs-euses au travail dans des travaux publics
réalisés par des agences publiques. Surprise:
plutôt que de suivre cet exemple, Jean-Marc Nollet
sinspire du blairiste Gordon Brown. Comme lui, il mise
exclusivement sur la relance du privé grâce à des
cadeaux de la collectivité. Cela vaut non seulement pour le plan
de travaux dans le secteur vert mais aussi pour les autres propositions
du Green Deal. Dune manière générale, en
effet, notre Roosevelt vert sabstient soigneusement de toucher
à la propriété capitaliste.
Les événements des dernières semaines ont
levé le tabou sur les nationalisations et linitiative
publique, mais ne comptez pas sur Nollet pour mettre le pied dans la
porte du coffre-fort capitaliste. Le secteur des assurances, pour lui,
est un «partenaire naturel des politiques visant à
préserver lenvironnement» car il «sanctionne
les comportements dangereux» (cest exact: on ne couvre
plus les risques… auxquels les pauvres sont les plus exposés!)
En matière dénergie, le Green Deal propose la
création dune Communauté Européenne des
Energies Renouvelables (ERENE) dont «les missions iraient du
soutien à la recherche à la promotion de
linnovation, en passant par la mise en place dun
réseau délectricité commun […],
lencouragement des investissements dans la production
délectricité verte et le développement
dun marché européen de
lélectricité verte». Pas un mot contre la
libéralisation! Le contrôle des prix, la gestion
rationnelle des ressources et le passage aux renouvelables
justifieraient mille fois lexpropriation des groupes
énergétiques et la création dun service
public européen de lénergie. Au lieu
douvrir cette perspective, Nollet et les Verts proposent un
triste remake de la Communauté Européenne du Charbon et
de lAcier. Faut-il rappeler que cette CECA a offert des
milliards de fonds publics aux patrons pour restructurer les
entreprises, sur le dos des travailleurs-euses?
Pour la croissance!
Mais le débat de fond porte sur lidée même
dune relance. Dune part J.-M. Nollet plaide à
juste titre pour une «rupture avec le sacro-saint toujours
plus, plus riche, plus grand, plus vite». Dautre
part, il affirme que «loin de freiner la croissance, une
intégration correcte de la dimension environnementale (peut
développer) de nouveaux modèles
daffaires». Il y a entre ces deux affirmations une
contradiction insurmontable. Le capitalisme implique la production de
marchandises toujours plus nombreuses. Sous les coups de fouet de la
concurrence, chaque propriétaire de capitaux remplace des
travailleurs-euses par des machines plus productives, afin de toucher
un surprofit en plus du profit moyen. Il en résulte une tendance
permanente à la surproduction et à la surconsommation.
Nollet effleure le problème en parlant dun «effet
rebond» quil croit pouvoir contrer sur le plan de la
culture, des «choix de vie», etc. Or le problème est
structurel: comment un système foncièrement productiviste
serait-il compatible avec le sauvetage de lenvironnement?
Thats the question.
Débat idéologique? Non: cette question, le changement
climatique impose dy répondre très
concrètement. En effet, il nest déjà plus
possible de rester au-dessous de 2° C de hausse de la
température par rapport au 18e siècle. Le rapport 2007 du
GIEC enseigne que, pour ne pas dépasser 2 à 2,4° C de
hausse, les pays développés doivent réduire leurs
émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95%
dici 2050, et de 25 à 40% dici 2020. Ces objectifs
drastiques doivent être pris fort au sérieux, car le seuil
de dangerosité est autour de +1,7°C et que la vie de
centaines de millions de gens est en jeu. Il convient donc de supprimer
en quarante ans lusage des combustibles fossiles qui fournissent
80% de lénergie employée au niveau mondial.
Cest un défi gigantesque. Comment le relever?
Ecartons demblée le nucléaire. Les renouvelables
apportent-ils la solution? Peuvent-ils prendre le relais des fossiles?
Pas dans nimporte quelles conditions. Leur potentiel technique
équivaut 7 à 8 fois la consommation mondiale
dénergie, et il est possible de laugmenter
considérablement. Dans labstrait, on peut donc imaginer
un capitalisme sans combustibles fossiles (dans lequel le
problème des ressources épuisables resterait toutefois
posé). Mais aucun Harry Potter vert ne peut, dun coup de
baguette magique, remplacer partout les fossiles par les renouvelables.
Le problème est celui de la transition, et il est vraiment
complexe. Notamment parce que les renouvelables impliquent un
système énergétique fort différent de celui
que nous connaissons: décentralisé, diversifié en
fonction des sources, intensif en travail humain, privilégiant
lefficience thermodynamique par rapport à la
rentabilité financière.
Dans ce contexte concret, la priorité des priorités est
de réduire radicalement la consommation dénergie.
De nombreuses études montrent que cest la condition sine
qua non pour que les renouvelables puissent prendre le relais des
fossiles (voir notamment le rapport «Energy Revolution»
réalisé à la demande de Greenpeace). Radicalement,
cela veut dire de 50% pour lEurope et de 75% pour les
Etats-Unis, très énergivores. Impossible? Non: ces
objectifs sont accessibles, car le gaspillage énergétique
est colossal dans nos sociétés. On peut supprimer des
productions inutiles (armes, publicité, etc), modifier
complètement le système des transports, mettre fin
à la mondialisation des marchés agricoles, adopter des
normes strictes contre lobsolescence
accélérée des produits, isoler
systématiquement tous les bâtiments indépendamment
de la demande solvable, etc, etc.
Toutes ces mesures sont techniquement envisageables, mais postulent un
plan qui oppose la rationalité globale – la nécessaire
décroissance énergétique – à la
rationalité partielle des capitaux concurrents, et qui
empiète par conséquent sur la tendance spontanée
à laccumulation du capital, y compris du capital vert.
Or, un tel plan est contraire à lidée même
dune relance capitaliste, qui ne peut que miser sur
laccumulation, donc mettre lirrationalité globale
au poste de commande. Laffaire des primes au photovoltaïque
est emblématique à cet égard: la politique des
gouvernements wallon et bruxellois (la ministre Huytebroeck en
tête) est certainement rationnelle du point de vue de la
croissance des entreprises et de leur chiffre daffaires, mais
elle est complètement irrationnelle du point de vue social et
environnemental global 2. On pourrait multiplier les exemples de ce genre.
La crise actuelle présente deux caractéristiques
majeures. Un: pour la première fois dans lhistoire du
capitalisme, un taux de profit élevé sur une
période prolongée (vingt ans) ne saccompagne pas
dune onde longue dexpansion de la production capitaliste,
dun développement général de la
société, dune impression de progrès social,
dune relative réduction des inégalités.
Deux: pour la première fois dans lhistoire, un mode de
production entraîne lhumanité à
dépasser les limites physiques qui conditionnent
lenvironnement au sein duquel la civilisation est née et
sest développée. La combinaison de ces deux
éléments détermine une situation absolument sans
précédent. Les dangers sont immenses. Lissue ne
sera pas facile à trouver, mais il y a au moins une certitude:
lidée dun Green Deal nest daucune
utilité. La relance du capitalisme, fût-il vert, ne
résoudra ni la crise sociale ni la crise écologique.
* Cet article du 30.11.08 est paru en Belgique
dans le Journal du Mardi, décembre 2008,
et ensuite sur le site www.europe-solidaire.org
1 Jean-Marc NOLLET est député fédéral au parlement belge
et chef du groupe des verts belges «ECOLO GROEN!»
2 Voir larticle: «Encourager le solaire
en Belgique: pour la planète ou pour les riches?» par
Daniel Tanuro dans solidaritéS N° 137