Constituante: un vote polarisé…







Constituante: un vote polarisé…

La campagne en vue de
l’élection de la Constituante genevoise
s’est heurtée au profond scepticisme de la
population. Ceci a été confirmé par un
taux de participation très faible: 32,9% (contre 40,7% au
Grand Conseil, en 2005). Par ailleurs, le portrait de groupe des
élu-e-s représente l’image
inversée des forces vives de ce canton: pas
d’étranger-e-s bien sûr (même
s’ils-elles sont 40% de la population résidante et
50% de la population active); 17,5% de femmes seulement (1 sur 11 au
PS, aucune parmi nos 4 élus ou parmi les 3 des
associations…); très peu de jeunes (5
élu-e-s seulement ont moins de 30 ans)…

Au moment où radicaux, verts et socialistes – au
«centre» de l’échiquier
politicien – s’enthousiasmaient pour ce projet, nous
dénoncions déjà une
«constituante-bidon», sans confrontation
d’idées préalable, sans projets de
société, sans participation ni mobilisation
populaires. Nous ne nous étions pas trompés: les
«politiques» chevronnés et autres
«experts», qui dominent aujourd’hui ce
conclave, appellent ainsi de leurs vœux un texte
«moderne», dépouillé de tous
ces «blocages» (en réalité,
nos droits!) qui peuvent entraver la liberté de
manœuvre des milieux économiques et des pouvoirs
exécutifs… A «gauche», on
n’a jamais autant parlé de la recherche de bons
compromis «pour Genève»…

Notre engagement dans la campagne

Une fois le principe de cette Constituante accepté par les
électeurs-trices, nous avons pris le parti de participer au
débat pour faire entendre notre voix en
présentant un programme et des candidat-e-s en rupture avec
le consensus. La colonne vertébrale de notre campagne
portait sur trois thèmes: 1. renforcer les
prérogatives et les droits populaires (notamment en
accordant les droits de vote et
d’éligibilité aux étrangers
résidents); 2. défendre et étendre les
droits sociaux (par ex., en inscrivant le principe d’un
salaire minimum et d’un revenu social garantis dans la
Constitution); 3. garantir les moyens légaux de lutter
contre les discriminations. Nous avons revendiqué aussi que
le respect de l’ensemble de ces droits puisse être
exigé devant les tribunaux (notion de droits opposables).
Nous avons enfin lancé et fait aboutir une initiative pour
le droit au salaire minimum, au cours de
l’été, afin de montrer que seuls des
rapports de force extérieurs à
l’enceinte constitutionnelle pouvaient
véritablement faire avancer ces droits fondamentaux.

Dans les mois qui ont précédé
l’élection, nous avons critiqué les
appels convenus à la
«société civile» qui
justifiaient la formation de nombreuses listes associatives hors-parti.
D’abord pour une raison de principe: l’engagement
d’une association sur le terrain électoral risque
de diviser ses membres, et donc de l’affaiblir, notamment si
elle obtient des élu-e-s et doit prendre position sur des
questions qui n’ont rien à voir avec sa vocation
essentielle. Ensuite, pour dénoncer une supercherie: ces
listes associatives avaient, pour la plupart, peu de chance de passer
la barre du quorum de 3%. Ceci s’est d’ailleurs
vérifié.

Le verdict des urnes

Tout d’abord, l’entente bourgeoise
(libéraux, radicaux et PDC) a perdu 11,7 pts de pourcentage
par rapport aux élections au Grand Conseil de 2005, surtout
aux dépens du PDC et des radicaux; la droite populiste et
extrême (UDC, MCG, Halte aux déficits)
n’en a perdu que 3,7, surtout aux dépens du
Mouvement des Citoyens Genevois (MCG). En sens inverse, la liste
patronale G[e]’avance a
récupéré 6,5 pts, tandis que les
listes des propriétaires de villas (2,4%), des
Evangélistes (1,7%) et de Propositions.ch (au centre-droite)
(0,8%) n’atteignaient pas le quorum. Globalement, la droite,
toutes composantes confondues, a donc reculé de 2 points.

Ensuite, les socialistes et les verts, majoritaires au Conseil
d’Etat, ont reculé de 5,3 points par rapport au
Grand Conseil de 2005, le PdT de 5,3 pts et solidaritéS de
1,5 pt. Les listes associatives Avivo (10,1%), Associations de
Genève (4%), Femmes engagées (2,7%) et Expression
citoyenne (0,8%) ont en revanche recueilli ensemble 17,6%, les deux
dernières étant cependant recalées par
le quorum de 3%.

A droite, la liste patronale, pourtant portée par une
formidable campagne de pub, n’a pas réussi une
percée spectaculaire (6,5%). Surtout, elle a plus
profité du ventre mou du PDC et des radicaux que de la crise
de direction des libéraux, parti historique de la finance et
de l’immobilier cantonaux. L’avenir dira comment ce
ballon d’essai d’une droite
«moderne» et décomplexée,
façon Sarko, pourra se recycler dans le train-train
politique genevois.

Par ailleurs, l’érosion limitée de
l’UDC est à signaler (-1,7 pts), tandis que le MCG
confirme sa chute (-3,2 pts), dans le prolongement de son effondrement
aux élections fédérales de 2007 (2,5%
seulement). Cette différence ne peut s’expliquer
par la percée spectaculaire de l’Avivo (10,1%),
qui a fait campagne pour la défense de l’Etat
social, tirant parti sans aucun doute de
l’anxiété des retraité-e-s
face à la crise financière. Il n’y a en
effet que très peu de recouvrement entre ces deux listes:
l’Avivo ne donne que 4% de ses suffrages
«hors-liste» au MCG et le MCG ne donne que 4% des
siens à l’Avivo (contre 43% à la droite
classique et 27% à l’extrême droite).

Enfin, l’effondrement complet du PdT, qui avait fait alliance
avec le petit groupe des Communistes, est sans appel (1,6%). Ensemble,
ces deux forces totalisent à peine plus de suffrages que les
Communistes tout seuls au Grand Conseil, il y a 3 ans (1,2%). De
surcroît, l’électorat populaire du PdT
semble bien s’être évanoui:
c’est en effet celui du PS et des partis bourgeois qui a
été vraisemblablement le plus enclin à
voter pour l’Avivo (voir plus loin).

Les résultats de solidaritéS

solidaritéS a bien résisté. Nous
faisons même un peu mieux que sous le label «A
Gauche Toute!», ensemble avec les Indépendants de
gauche de Christian Grobet, il y a un an, au Conseil National.
Cependant, avec 5,2% au niveau cantonal (6,9% en Ville; 7,9%
à Carouge et plus de 10% dans plusieurs quartiers populaires
urbains), nous reculons par rapport au Grand Conseil de 2005 (6,7%), ce
qui n’est pas en soi surprenant, compte tenu de la
concurrence exceptionnelle de listes associatives marquées
à gauche (Associations de Genève, Femmes
engagées, Expression citoyenne et Avivo).

Il paraît difficile d’estimer combien
solidaritéS a perdu de suffrages du fait de la
présence de ces listes à la Constituante.
Cependant, il est possible de mesurer leur degré de
proximité par rapport à la nôtre en
calculant combien de fois nos candidat-e-s ont
été rajoutés sur leurs bulletins
modifiés. Le tableau ci-dessous montre que chaque pourcent
gagné par la liste des Associations de Genève a
donné 859 suffrages personnels à des candidat-e-s
de solidaritéS.

Cela est aussi vrai, dans une moindre mesure, de chaque pourcent
gagné
par Femmes engagées (485 suffrages à
solidaritéS), les Verts (469),
Expression citoyenne (461), le PS (413), le Parti du Travail-Les
Communistes (389), etc. (cf. tableau ci-dessous, col. 1). Cela signifie
que l’électeur-trice moyen de la liste des
Associations de Genève
aurait été sans doute enclin deux fois plus
à voter pour nous, si sa
liste n’avait pas été
présente, que celui-celle des Verts ou du PS.

Cela
dit, ces listes n’ont pas les mêmes taux de
bulletins modifiés (elles
votent plus ou moins compact): avec 46,6% de bulletins
modifiés, la
liste des Associations de Genève paraît ainsi
beaucoup plus
«extravertie» que celle de l’Avivo, qui
n’a que 14,2% de bulletins
modifiés. Il est donc intéressant de comparer
aussi, au sein de chaque
liste, la part respective que représentent les transferts de
suffrages
à solidaritéS par rapport au transfert de
suffrages à d’autres listes.
Cela fournit un autre indicateur du degré de
proximité de chacune de
ces listes par rapport à la nôtre (cf. tableau
ci-dessous, col. 2).

Enfin, l’analyse systématique de la distribution
des candidat-e-s
rajoutés par chacune des listes permet de situer
approximativement leur
électorat sur un axe gauche-droite. Par exemple, les
électeurs-trices
de solidaritéS rajoutent 92% de candidat-e-s des autres
listes de
gauche. Pour les Associations de Genève, ce ratio est de
81%; pour le
PdT-Communistes, de 78%; pour le PS, de 76%; pour Expression citoyenne,
de 71%; pour les Verts, de 69%; pour les Femmes engagées et
l’Avivo, de
66%; et ainsi de suite (cf. tableau ci-dessous, col. 3)…
Sans surprise,
l’UDC ne rajoute que 12% de candidat-e-s de gauche, tandis
que les
Evangélistes paraissent nettement plus
«centristes» (48% de
candidat-e-s de gauche rajoutés), de même que
Propositions.ch (45%) et,
dans une moindre mesure, Pic-Vert et le PDC (32%). Enfin,
l’électorat
du MCG, avec 29% de candidat-e-s de gauche rajoutés,
paraît moins
homogène à droite que celui des Radicaux (26%),
de G[e]’avance (24%) et
des Libéraux (21%).

Ce que nous apprend le panachage
des listes (rajout de candidats d’autres listes)
tableau

Comment solidaritéS peut-il dépasser le
quorum de 7%?

En ce qui concerne les forces politiques, les
électeurs-trices verts sont ceux qui donnent le plus de
suffrages à solidaritéS par point de pourcentage
obtenu, parce qu’ils panachent beaucoup leurs bulletins, mais
le PdT-Communistes, qui vote beaucoup plus compact, donne plus de
suffrages à solidaritéS en termes relatifs.

Dans tous les cas, il semble bien que la liste des Associations de
Genève ait été la plus
marquée à gauche, après la
nôtre, et qu’elle soit celle qui ait
attiré le plus d’électeurs-trices
potentiels de solidaritéS. Cela se vérifie aussi,
dans une moindre mesure, pour les autres listes associatives (en
particulier, Expression citoyenne et Femmes engagées). En
faisant l’hypothèse raisonnable que la propension
des électeurs-trices de ces listes associatives à
voter solidaritéS, si elles n’avaient pas
été présentes, aurait
été proportionnelle au pourcentage de
candidat-e-s de notre liste rajoutés sur les leurs, nous
aurions obtenu 1,3 à 1,4% de suffrages
supplémentaires, soit environ 6,5% en tout.

Nous pouvons faire à peu près le même
raisonnement par rapport à l’Avivo, même
si son électorat vote beaucoup plus compact et
qu’il est donc plus hasardeux de projeter sur
l’ensemble de ses électeurs-trices le comportement
de ceux-celles d’entre eux qui panachent leur bulletin. A
partir de l’analyse de ses 1017 bulletins
modifiés, il est cependant possible d’estimer
grossièrement que, si cette liste n’avait pas
été présente et que les listes des
associations de gauche ne l’avaient pas
été non plus, ses électeurs-trices se
seraient répartis approximativement de la manière
suivante: 3% de suffrages supplémentaires en faveur de la
droite classique (partis et associations), 2,4% pour le PS, 1,7% pour
les Verts, 1,4% pour solidaritéS, 0,9% seulement pour
l’extrême-droite (UDC, MCG et Halte aux
déficits) et 0,3% pour le PdT-Communistes. Globalement,
solidaritéS aurait donc pu capter 2,7-2,8% de suffrages
supplémentaires (1,3-1,4% des listes associatives et 1,4% de
l’Avivo), ce qui aurait pu porter notre score total
à 7,9%.

Le retour de solidaritéS au Grand Conseil, à
l’horizon 2009, avec plus de 7% des suffrages, est donc tout
à fait possible. Il dépend certes de la
«concurrence» des autres listes en
présence (l’Avivo pourrait bien susciter la
création d’une nouvelle liste), mais aussi de
notre capacité à convaincre plus largement
l’électorat de gauche, au-delà du socle
qui nous est fidèle, de la nécessité
d’une force politique anticapitaliste, féministe
et écologiste combative, ancrée dans les
mouvements sociaux certes, mais présente aussi au niveau
parlementaire. La participation électorale sera certainement
plus forte pour désigner le prochain parlement cantonal,
à l’automne 2009, que la Constituante
d’aujourd’hui, ce qui implique un nombre de
suffrages supérieur pour passer la barre du quorum de 7%. La
bataille s’annonce donc difficile, raison pour laquelle nous
devons dépasser la simple arithmétique
électorale pour évaluer nos
responsabilités en termes de mobilisation, afin de
contribuer plus fondamentalement à modifier les rapports de
force en faveur des milieux populaires.

Jean Batou