Joyeux Noël, très chère UBS
Joyeux Noël, très chère UBS
Vous vous souvenez de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl
et de son nuage toxique qui sétait
arrêté aux frontières de la France? Eh
bien, les autorités helvétiques ont voulu nous
faire croire que la crise mondiale avait de même
décidé de contourner la Suisse. Alors que
léconomie et la finance de ce pays sont
profondément intriquées dans la mondialisation,
il ny avait, selon Berne et Zurich, rien à
signaler à lhorizon. Puis, tout dun
coup, patatras! Couchepin nous explique que le système
bancaire, cest le sang de léconomie,
et il nous propose une transfusion sanguine à haut risque:
le public sinjecte les titres toxiques et le
privé, tout requinqué, part en convalescence.
Le journal Le Temps, dont la proximité avec les milieux
daffaires est connue, explique alors que «le plan
helvétique laisse beaucoup de latitude aux dirigeants de la
banque» et que «UBS garde les coudées
franches et sen sort donc mieux que ses consurs
britanniques ou allemandes, où lEtat a fait le
ménage». (18.10.08)
Le coup de la banque dépotoir
Pour assainir son bilan et le purger de ses actifs pourris (en haut
lieu on parle dactifs illiquides, ça sent moins
fort…), UBS refile les risques à la Banque nationale
suisse (BNS), par le biais dune
société de portage. Environ 60 milliards de
dollars seront ainsi transférés. Cest
là le point central de laffaire. Ce sont les
pouvoirs publics qui assument les pertes et pas UBS, totalement
déliée de lobligation de rembourser!
UBS ne risque quune chose: perdre les six milliards de
dollars quelle aura mis dans cette
société de portage. Six milliards, du reste,
avancés par la Confédération, UBS
nayant, cest le cas de dire, plus aucun
crédit auprès de ses consurs et sur
les marchés.
Cette participation de la Confédération
nest pas léquivalent dun
achat dactions. Cest un emprunt à
conversion obligatoire, limité dans le temps; la
Confédération nest ainsi pas
actionnaire au sens juridique du terme. Elle a certes posé
quelques conditions en matière de bonus, de parachutes
dorés et dindemnités pour faire
baisser la pression du scandale, mais elle naura aucune
responsabilité opérationnelle.
Donc, la Confédération avance à UBS
six milliards de dollars (avec un intérêt
à 12,5%). UBS met cet argent dans le capital de
départ de la banque dépotoir. Et le reste? Les 54
milliards de dollars restants proviennent de la Banque nationale
suisse. La BNS, bien quindépendante, est une
société anonyme spéciale, qui
appartient dabord aux cantons (parmi eux dabord
Zurich, Berne, Vaud et St-Gall) et aux banques cantonales. Les actifs
de la BNS sélèvent à 163
milliards de francs.
Au cours actuel, la somme avancée en dollars
représente 63 milliards de francs, soit près de
39% du total des actifs de la BNS. Impossible de se défaire
dautant dactifs sans se mettre en
péril. Ce sont donc des dollars que la BNS va à
son tour emprunter auprès de la banque centrale
américaine (la Réserve
fédérale, la Fed), puis sur le marché
privé.
Et si les actifs illiquides se liquéfient?
Toute lopération repose donc sur le fait que les
60 milliards de dollars dactifs toxiques
transférés à la banque
dépotoir pourront être vendus à cette
valeur-là. Sinon les pertes seront au rendez-vous. Cela
na rien dinvraisemblable. Il y a, dans
lhistoire bancaire récente, un exemple
célèbre du même genre de montage: celui
de lancien Crédit Lyonnais, géant
européen de la banque, formellement nationalisé,
qui avait accumulé les actifs douteux. Une structure avait
aussi été chargée de liquider
léquivalent de 28 milliards deuros de
participations pourries de 1995 à 2006. On estime
généralement que la perte supportée
par lEtat, et donc les contribuables français,
sest finalement élevée à
près de 17 milliards deuros.
Or, malgré les assurances données par les
autorités, la situation nest pas radicalement
différente dans le cas dUBS. Les risques sont
tels quun banquier privé, Roberto Pennone de la
Banque Bénédict Hentsch explique quil
«ne comprend pas lassurance des
autorités politiques à affirmer que les actifs
illiquides dUBS pourront être
écoulés à bon compte» (Le
Temps, 18.10. 2008). Alors que lancien dirigeant de la Fed
américaine, le «magicien» Alan Greenspan
avoue navoir toujours pas compris ce qui
sétait passé et quil avait
eu tort de faire confiance aux dirigeants des banques, le Conseil
fédéral lui sait, et sait à qui faire
confiance. Par exemple à Pierre Mirabaud,
président de lAssociation suisse des banquiers,
qui début octobre encore, vantait la solidité des
banques suisses… Malgré ses fanfaronnades, le Conseil
fédéral a dailleurs chargé
le Département des finances (DFF)
«délaborer avec les cantons des
solutions concernant une répartition équitable
des charges au cas où lactuelle convention sur la
distribution du bénéfice passée entre
la BNS et le DFF ne pourrait, contre toute attente, ne pas
être respectée».
Autrement dit, les pertes seront prises en charge par les cantons et
leurs contribuables. Socialisation des pertes, par
conséquent. Mais privatisation des
bénéfices: si la liquidation des actifs
débouche sur un bénéfice, le premier
milliard irait à la BNS, puis le reste serait
divisé à parts égales avec UBS, qui,
rappelons-le, ne court aucun risque dépassant sa mise de
fonds initiale!
La faillite des autorités de contrôle
Normalement, la situation des grandes banques naurait pas
dû se dégrader à ce
point-là. En principe, la Commission
fédérale des banques (CFB) est chargée
de la «surveillance prudentielle» des banques. En
réalité, on peut se demander si ce ne sont pas
les grandes banques et assurances qui contrôlent la CFB, tant
lentrelacs des relations personnelles et des
intérêts est fort. La CFB est
présidée par Eugen Haltiner, un dirigeant
dUBS jusquen 2005; son vice-président
est un prof de lUni de Fribourg, Jean-Baptiste Zufferey,
membre du Conseil dadministration de la Compagnie bancaire
Espirito Santo SA; Peter Eckert, autre membre, vient de la Zurich
Financière (assurance), il a été
membre du Comité directeur deconomiesuisse et
dAvenir suisse (le groupe de réflexion du
patronat); on y trouve aussi un ancien de la Liechtensteinische
Landesbank (Schweiz) AG, ainsi que Charles Pictet, banquier
privé. Plus deux ou trois profs
duniversité qui y arrondissent leurs fins de
mois. Tout ce beau monde collabore avec la BNS, dont le
président du Conseil de banque est lavocat
daffaires et conseiller national
démocrate-chrétien Hansueli Raggenbass
(assurances SWICA, Oerlikon Contraves, etc.). Et la prochaine
autorité de surveillance
«renforcée»,
lAutorité fédérale de
surveillance des marchés financiers (FINMA) sera
présidée par un ancien de la
société de réassurance Swiss Re et du
Credit Suisse, Patrick Raaflaub. Les contrôlés
contrôlent ainsi les contrôleurs.
Une dernière autorité aurait pu,
éventuellement, lever un sourcil à la vue du plan
de sauvetage du Conseil fédéral. Cest
la Délégation aux finances, un organe
parlementaire des deux Conseils. Composée de six membres,
elle a voté à lunanimité le
plan de sauvetage, daprès Le Temps (17.10.08).
Cest-à-dire que ses deux membres socialistes,
dont son président, ont voté pour ce
véritable cadeau à UBS. Bizarre, non? A vrai
dire, pas vraiment. Ils ont le «sens des
responsabilités» cher à Pierre-Yves
Maillard, ces deux-là…
Le PSS et la «nationalisation» partielle
et temporaire
Le Parti socialiste a fait beaucoup de bruit autour du fait que la
Confédération ne devenait pas un
véritable actionnaire dUBS et ne fasse pas le
ménage à sa tête, en
contrôlant aussi le système de
rémunération de la haute direction. Passe pour le
ménage, les rémunérations, le
remboursement des bonus, etc. Mais quel sens peut bien avoir une prise
de participation minoritaire, de moins de 10%, qui plus est temporaire,
dans une banque à lavenir, de surcroît,
incertain? Cela ressemble davantage à une gesticulation pour
la galerie quà une revendication très
fondée. Du reste, dans son service de presse du 16 octobre,
le PSS ne parle que dun droit de regard et la
pétition quil fait signer en ligne sur son site
ne mentionne plus cet aspect. Beaucoup de bruit pour rien, aurait dit
Shakespeare.
Une réelle nationalisation serait
légitime!
La question de la nationalisation de la banque, sans
indemnités ni rachat, doit pourtant être
sérieusement envisagée. Elle est
légitime si lon considère le
gâchis actuel de la banque et le transfert de risques
imposé à la population; elle lest
aussi parce que UBS accueille des placements de nombreuses caisses de
pensions: il y a là une sauvegarde
dintérêt public à
opérer. La levée du secret bancaire est un
préalable à la nationalisation: de toute
évidence, les bilans publics dUBS
relèvent de lart du camouflage, mais
sûrement pas de la véracité des
chiffres.
La nationalisation doit évidemment faire place nette de
lactuelle direction (son président, Peter Kurer,
vient du sérail; il était aussi en
première ligne dans le «grounding» de
Swissair!). Elle doit être sans indemnités ni
rachat pour les actionnaires importants: dans un système
où tout travailleur jugé incompétent
est sèchement licencié, les actionnaires
principaux dUBS ont longuement fait preuve dune
incompétence notoire.
Pour les dépôts des petits épargnants,
des garanties doivent être données; les petits
actionnaires pourraient voir leurs actions converties en obligations.
La politique de la banque devrait changer du tout au tout: devenue un
pôle financier public, elle devrait être au service
de lemploi durable, du développement
dune politique énergétique
renonçant aux énergies fossiles et des
technologies de préservation de lenvironnement,
des transports publics et du logement. Face à la crise qui
vient, ce pourrait être un vrai levier pour donner la
priorité aux intérêts à
court, moyen et long terme de la population laborieuse.
Dans les situations de crise, il faut savoir agir avec la
même détermination et la même
lucidité que le multimilliardaire américain
Warren Buffet, qui disait : «Oui, il y a une guerre des
classes. Mais cest ma classe, la classe des riches qui
mène cette guerre, et nous sommes en train de la
gagner!» Sachons lui donner tort.
Lidiot du village
Expert économique autoproclamé, le virevoltant
Beat Kappeler a été touché il y a
quelques décennies par la grâce
néolibérale. Ancien économiste de
lUSS – un titre quil brandit encore
aujourdhui comme un trophée -, il est
actuellement rédacteur à la NZZ on line.
Pas vraiment un triomphe, si on compare les positions atteintes par son
prédécesseur à lUSS
(Waldemar Jucker finira par diriger lAdministration
fédérale des finances) et son successeur (Serge
Gaillard, actuel chef de la Direction du travail au SECO). Kappeler
nest donc pas devenu un grand commis de lEtat,
mais il a su faire parler de lui dans les médias.
Professant toujours linébranlable foi des
nouveaux convertis, nous lui devons ce récent passage qui
relève toute létendue de son
expertise, la profondeur de son analyse et la qualité de ses
informations:
«On devrait aussi mener une propagande
éhontée pour le système bancaire
suisse qui a été capable de se restructurer seul,
sans lEtat. Voilà un avantage qui va nous amener
beaucoup dargent, sans avoir à se
prévaloir du secret bancaire. La Suisse a gagné
incroyablement en stature par cette non-intervention. Je ne comprends
pas les politiciens qui critiquent cela. Pourquoi appeler les pompiers
lorsquil ny a pas dincendie? Ils sont
fous». (Le Temps, 16.10.2008). Les pompiers en rient
encore… (ds)