Colombie: Vague de mobilisation contre le gouvernement «paramilitaire»

Colombie: Vague de mobilisation contre le gouvernement «paramilitaire»

Depuis la mi-septembre, une vague de
mouvements sociaux secoue la Colombie. Ceci malgré la
répression exercée par la police et l’armée.
Nous publions ici des extraits d’un article du 25 octobre paru
dans le quotidien mexicain La Jornada, repris par le site www.rebelion.org.

«Il y a quelque chose de nouveau dans ce pays», affirme
Alfred Molano, un journaliste colombien en butte aux poursuites du
régime Uribe […]. Une déclaration faite non dans
un cercle fermé, mais à ciel ouvert, au forum de la
solidarité à Moravia (quartier pauvre de Medellin
construit sur une énorme montagne d’ordures, 
habité par des déplacé-e-s de guerre).

La nouveauté, c’est l’ampleur, l’extension et
la profondeur de la mobilisation et surtout la confluence des secteurs
sociaux qui défient le gouvernement. Les grèves des
employé-e-s de la justice ont amené le gouvernement
à décréter l’état
«d’urgence intérieur». Les fonctionnaires du
système électoral, les enseignant-e-s, les camionneurs et
d’autres secteurs de la fonction publique qui voient leurs
salaires diminués par l’augmentation continue des prix
sont entrés à leur tour en lutte.

Le 15 septembre, 10 000 coupeurs de canne à sucre se sont mis en
grève. Ils occupent 8 entreprises de la vallée du Cauca,
où ils travaillent dans un régime féodal. Tous
d’origine africaine, ils se lèvent à 4 h. du matin,
travaillent de 6 h. du matin à 5 h. de l’après-midi
sous le soleil et arrivent à 8 h. du soir chez eux, après
avoir donné 5400 coups de machette et inhalé
l’odeur du brulis de canne et le phosphate utilisé dans
les plantations.

A l’occasion des 516 années de résistance, le 12
octobre, a débuté la «Minga de los Pueblos»
[une grande marche] qui reprend les décisions du Premier
congrès itinérant des peuples pour la vie, la joie, la
justice, la liberté et l’autonomie, tenu en septembre 2004
et d’où a surgi le mandat indigène et populaire,
demandant:

  • le rejet du Traité de libre commerce (TLC), conclu «entre patrons et contre les peuples»;
  • l’annulation des réformes constitutionnelles qui
    soumettent les peuples indigènes à l’exclusion et
    à la mort;
  • «la fin de la terreur du plan Colombie, qui dévaste
    nos territoires et y sème la mort et les
    déplacements»;
  • la mise en vigueur par l’Etat des accords conclus suite au
    massacre du Nilo en 1991, où furent assassinés 20
    indigènes de l’ethnie Nasa […]

La Minga, travail collectif dans le monde andin, a débuté
au bord de l’autoroute Panaméricaine: 10 000
indigènes, surtout Nasas regroupés au sein du Conseil
régional indigène du Cauca (CRIC) et de
l’Association des conseils indigènes du Cauca-Nord (ACIN),
y ont installé un territoire de paix, coexistence et dialogue
dans la municipalité La María Piendamó. Ils ont
barré la route et furent brutalement attaqués par les
forces armées (2 morts et 90 blessé-e-s, à
majorité par balles).

Après l’échec des négociations avec les
autorités, la Minga s’est mise en marche vers Cali,
où 12 000 Indien-ne-s, escortés par leur garde
indigène, auxquels se sont joints les coupeurs de canne et
d’autres travailleurs-euses regroupés dans la Centrale
unitaire des travailleurs (CUT), arriveront lundi 27 octobre. La
«Minga de los Pueblos» devient clairement une coordination
de ceux d’en bas sans appareils bureaucratiques et fait confluer
de nombreux torrents dans la vague en faveur d’une autre Colombie.

La répression menée durant les six années du
gouvernement Uribe est impressionnante: 1243 Indien-ne-s des plus de
100 ethnies existant en Colombie furent assassinés et 54 000
expulsés de leurs terres (19 assassinats durant les 2
dernières semaines). «Nous sommes tous des coupeurs de
canne, tous des indigènes», déclare un
communiqué de ACIN. La longue expérience du peuple Nasa
dit «qu’aucun secteur agissant seul ne peut affronter
l’exploitation et l’oppression imposée par ce
régime.»

La Minga n’est qu’un premier pas. Mais c’est un fait marquant qui laissera des traces.

Raúl Zibechi