Etat d’urgence au service de la patrie, du capital et des banques…

Etat d’urgence au service de la patrie, du capital et des banques…

Le socialisme que nous voulons, c’est une démocratie
conséquente, poussée jusqu’au bout, y compris dans
le domaine de l’économie, où les citoyen-ne-s et
les travailleurs-euses n’ont aujourd’hui pas voix au
chapitre. Le capitalisme que nous combattons, quant à lui,
implique une négation structurelle de la démocratie, avec
comme règle de base de fonctionnement de la
société, le primat absolu du rendement de capitaux
détenus et contrôlés par une poignée de
parasites…

La Suisse, malgré la «démocratie
semi-directe» et les instruments qu’elle comporte
(initiatives, référendums, représentation
proportionnelle, etc.), est un modèle particulièrement
achevé de cette démocratie bafouée.

Le film des évènements récents concernant la mise
à disposition, en quelques heures, de 60 milliards de dollars de
fonds publics pour le sauvetage de l’UBS, – sur lequel nous
revenons dans ce numéro (en p. 14-15) – est
particulièrement éclairant à cet égard.
Alors qu’aux USA même, on a pu assister au moins à
une amorce de débat parlementaire concernant le plan de
«sauvetage de l’économie» et le
déblocage des centaines de milliards de dollars
nécessaires, en Suisse, c’est sans aucun débat
public – même pour la forme – que le Conseil
fédéral a pris les décisions qui
s’imposaient… dans l’intérêt des
banques et de leurs gros actionnaires.

En effet, le Conseil fédéral a choisi d’agir par
voie d’ordonnance, en vertu des deux articles 184 et 185 de la
Constitution fédérale et des pouvoirs d’urgence et
d’exception qu’ils lui confèrent. Le premier de ces
articles concerne les «relations avec
l’étranger» et dispose en particulier – de
manière fort lapidaire – que: «Lorsque la sauvegarde des
intérêts du pays l’exige, le Conseil
fédéral peut adopter les ordonnances et prendre les
décisions nécessaires.»

Le deuxième de ces articles porte sur la
«sécurité intérieur» et donne
notamment au Conseil fédéral le pouvoir
discrétionnaire de «lever des troupes» et de mettre
l’armée sur pied de guerre pour faire régner
l’ordre. Il dispose que le Conseil fédéral peut,
sans contrôle parlementaire et encore moins populaire:
«édicter des ordonnances et prendre des décisions
en vue de parer à des troubles existants ou imminents,
menaçant gravement l’ordre public, la
sécurité extérieure ou la sécurité
intérieure». Le 17 octobre Pascal Couchepin expliquait
à ce sujet dans Le Temps que: «Dans un système
politique tel que le nôtre, où il n’y a pas de
majorité et d’opposition, on doit pouvoir, à
certains moments, recourir au droit d’urgence lorsque
l’économie et les intérêts du pays sont en
jeu.»

Justifiant la mise à l’écart du parlement, et
l’absence de tout débat public autre que post hoc, le
porte-parole du gouvernement, expliquait d’ailleurs dans la
foulée, que la chose était toute «naturelle»,
puisque «La nature même de cette affaire nous interdit de
la traiter publiquement.» (Le Matin 21.10.08) En effet, dans un
pays où, pour l’essentiel, comme le dit Couchepin,
«il n’y a pas d’opposition», les dominants
auraient tort de se priver de défendre les intérêts
de leur économie et de leur seule vraie «patrie»:
les taux de rendement à deux chiffres sur les placements
financiers.

Sur ce point, la pièce connaît des épisodes dignes
du vaudeville. En effet, le 20 octobre, on apprenait que la Banque
nationale suisse (BNS) prévoyait de domicilier la
société de «portage» qui rachètera au
prix fort et à nos dépens les titres «à
risque» de l’UBS… aux Iles Caïman, paradis
fiscal notoire et haut-lieu avéré des trafics financiers
les plus douteux.

Explication du porte-parole de la BNS: «Nous avons besoin
d’une forme juridique spéciale. Aux îles
Caïman, il y a des avantages de formalités. Les structures
peuvent être établies rapidement de manière
très simple.» (Le Matin 20.10.08). Beau témoignage
officiel en faveur de la place financière
«idéale» que représentent les Iles
Caïman. Témoignage qui jette une lumière crue sur
les protestations helvétiques de vertu effarouchée, face
à la récente dénonciation franco-allemande du
secret bancaire suisse et de sa couverture éhontée de
l’évasion et de la fraude fiscales. Rappelons au passage
à ce propos et au chapitre aussi de l’«absence
d’opposition», que c’était en mai dernier, que
le ministre des finances genevois, le Vert David Hiler,
annonçait aux patrons genevois qu’il s’engageait
pour attirer les «hedge funds» spéculatifs dans le
canton du bout du lac. Applaudi alors par le porte-parole du Groupement
des banquiers privés genevois, qui jubilait à
l’idée «de voler aux Iles Caiman une partie de ces
“machines à milliards”…» (Tribune de
Genève, 17.5.08)

Ainsi, aujourd’hui, d’un claquement de doigts, on trouve
des dizaines de milliards pour arroser les banques, alors que la
moindre dépense nouvelle pour répondre aux besoins
sociaux est réputée «impossible» et,
qu’au contraire, on serre la vis toujours plus dans ce domaine.
Une telle fuite en avant alimente les aventuriers de la finance et leur
fournit des munitions pour la prochaine bulle
spéculative… Comme toujours, après avoir
privatisé les profits, on socialise les pertes.
Décidément, le capitalisme réellement existant est
bien éloigné de l’image d’Epinal
libérale…

Raison de plus pour construire un front de résistance et
d’opposition à l’échelle internationale en
posant des revendications qui dessinent un projet économique,
social et environnemental radicalement différent et qui soit en
même temps un appel à l’action et à la
mobilisation. Dans ce sens, nous publions dans ce numéro (p.
7-8) un Appel-Plateforme élaboré par des
représentant-e-s de mouvements sociaux de quatre continents
rassemblés à Pékin pour le Forum des Peuples
Asie-Europe, du 13 au 15 octobre dernier. Un document à
débattre…

En Suisse, une mobilisation sociale, doit être construite:
suppression du secret bancaire et nationalisation du crédit
(notamment de l’UBS) doivent être mis en avant, comme aussi
des éléments de réponse face à
l’inexorable volonté des dominants de faire payer cette
crise aux salarié-e-s et à la majorité de la
population. Sur ce point nous mettrons en avant notamment la bataille
que nous avons engagée autour de la revendication d’un
salaire minimum, ainsi que la réponse à trouver, en
matière de retraites, au scandale que représente le 2e
pilier. A ce propos, nous publions (p. 11-12) une première
ébauche de proposition…

Pierre Vanek