Les salaires sont-ils plus élevés en Suisse qu’ailleurs?

Les salaires sont-ils plus élevés en Suisse qu’ailleurs?

Contrairement à une idée
reçue, les salaires suisses ne sont pas parmi les plus
élevés d’Europe. En effet, pour les comparer
à ceux des pays voisins, il faut tenir compte de quatre
éléments.

1 Le niveau des prix.
Ce qui compte pour les salarié-e-s, c’est le pouvoir
d’achat de leurs salaires. Or, à parité de pouvoir
d’achat (en supposant un niveau des prix équivalent), le
salaire moyen en Suisse s’établit à la 7e position
européenne, derrière l’Angleterre,
l’Allemagne, le Danemark, le Luxembourg, la Hollande et la
Belgique. Il est de 14,1% inférieur à celui des
Anglais-e-s et de 12,4% inférieur à celui des
Allemand-e-s.

Du point de vue patronal, le niveau élevé des prix en
Suisse, aggravé par un franc relativement fort, est souvent
présenté comme un sérieux handicap à
l’exportation. En réalité, le franc n’est pas
surévalué par rapport à la zone euro, principale
cliente de la Suisse, tandis que la faiblesse du billet vert contribue
à alléger la facture en énergie, matières
premières et produits semi-finis importés par la Suisse,
souvent libellée en dollars. Enfin, la Suisse est
spécialisée sur des types de produits de haute
qualité pour lesquels le prix n’est pas l’argument
concurrentiel décisif.

2 Le montant des cotisations sociales patronales. Il
serait trompeur de ne comparer que le niveau des salaires directs,
même à parité de pouvoir d’achat. En effet,
le montant des cotisations sociales patronales pèse aussi
directement sur les coûts du travail. Mais surtout, il
détermine le volume et la qualité des prestations
sociales garanties à la population. Or, sous ce rapport, la
Suisse arrive en queue de peloton avec des charges sociales patronales
correspondant à 13% du salaire moyen, contre 47% en Belgique,
45% en Suède et en France, 42% en Italie, 26% en Allemagne, 25%
au Japon, 20% en Angleterre, et 16% aux Etats-Unis. Ces
différences ont une incidence déterminante sur le niveau
de vie des salarié-e-s les plus modestes: par ex., en Suisse,
les primes d’assurance maladie représentent plus du quart
du revenu net hors impôts des ménages les plus
défavorisés!

3 Les charges fiscales des entreprises.
Hormis les différences au niveau des salaires et des cotisations
patronales (coûts du travail), les variations de la charge
fiscale des entreprises a aussi un impact sur le niveau de vie des
salarié-e-s. En effet, la redistribution sous forme de
prestations sociales d’une partie des taxes
prélevées sur le capital peut être
considérée comme un complément au salaire. A ce
niveau, la Suisse fait encore une fois figure de lanterne rouge du
monde industrialisé, puisque la fiscalité y est parmi les
plus favorables aux investisseurs et aux spéculateurs.

4 La productivité du travail.
Ce qui importe le plus pour les patrons, ce sont les coûts
unitaires salariaux (coûts du travail par unité produite).
Or, ceux-ci ne sont pas seulement fonction des coûts du travail,
mais dépendent tout autant de sa productivité. Ainsi,
bien qu’aux Etats-Unis, les coûts du travail soient 32 fois
supérieurs à ce qu’ils sont en Inde, les
coûts unitaires salariaux y sont inférieurs de 7%, parce
que la productivité y est 34 fois plus élevée!
Sous ce même rapport, les entreprises suisses disposent
d’un avantage sur leurs concurrentes européennes: en
effet, au cours de la dernière décennie, les coûts
unitaires salariaux ont augmenté moins rapidement en Suisse
qu’aux Etats-Unis – malgré l’affaiblissement relatif
du dollar – et dans le reste de l’Europe.

Exiger un salaire minimum

Au cours de ces dernières années, la plupart des pays
industrialisés ont connu un accroissement significatif des
écarts salariaux et du nombre de working poor. En Suisse, les
conséquences de ces évolutions ont été
ressenties d’autant plus brutalement que les mécanismes de
redistribution des revenus  par le biais des assurances sociales
et de l’impôt sont particulièrement limités.
Ainsi, en 2002, l’Office fédéral de statistique
révélait que la moitié des ménages
disposait d’un «revenu d’équivalence»
(revenu pondéré selon la taille du ménage,
après déduction des impôts et des cotisations
sociales obligatoires) inférieur ou égal à 2452
francs par mois!

Ceci a relancé le débat sur l’importance du salaire
minimum. Dans les 25 pays de l’Union Européenne, 18
prévoient des salaires minimaux nationaux fixés par la
loi. Cet objectif est même explicitement repris par plusieurs
documents fondateurs de l’UE. Même les Etats-Unis,
disposent d’un salaire minimum fédéral –
très faible, il est vrai – majoré par certains Etats.
Pour les quelques pays qui ignorent encore un salaire minimum
interprofessionnel légal, comme l’Allemagne,
l’Italie ou les pays scandinaves, des conventions collectives de
travail couvrent la majorité des emplois. Elles contiennent
aussi des dispositions précises en termes de salaires.

Pendant ce temps… le principe même du salaire minimum
n’a toujours pas le moindre fondement dans la législation
helvétique. De surcroît, les conventions collectives de
travail couvrent moins de la moitié des travailleurs-euses, et
la plus grande partie d’entre elles ne contiennent aucune
disposition concernant les salaires. Résultat: la Suisse ne
connaît pratiquement aucun mécanisme institutionnel pour
faire face au dumping salarial. C’est pourquoi il est grand temps
de se battre pour l’introduction de salaires minimaux en Suisse.

Jean Batou