Votation de novembre: école, en arrière toute?

Votation de novembre: école, en arrière toute?

Avec celles des autres secteurs de la
fonction publique, les prestations de l’école sont
gravement remises en cause à Genève par une diminution
des moyens alloués pour l’encadrement de chaque
élève, mais aussi par un renforcement dramatique de la
sélection, y compris pendant la scolarité obligatoire.

Il y a deux ans, c’est une initiative réintroduisant les
notes à l’école primaire qui lançait les
enchères de la sélection. Cette année, le Cycle
d’orientation est visé à la fois par une initiative
et par un projet de loi du Grand-Conseil qui seront opposés en
votation. Les deux projets vont dans le sens de maintenir et accentuer
les ghettos pour les élèves qui connaissent des
difficultés scolaires.

Au début de son existence, en 1962, le Cycle d’orientation
(CO) accueillait tous les élèves venant de
l’école primaire dans 3 sections différentes qui
correspondaient à des débouchés différents:
études longues, moyennes et apprentissage.¹ Quelques
années plus tard, les réflexions concernant le Cycle
d’orientation aboutissaient à l’établissement
d’un tronc commun en 7e année et aux classes à
niveaux d’allemand et mathématiques et à options
(système des classes hétérogènes). Cette
structure sera établie entre 1970 et 1975 pour trois
collèges du Cycle d’orientation.2

Dès le début des années 2000, les
élèves des collèges qui ne fonctionnaient pas en
structure de classes hétérogènes  ont
été regroupés en 2 catégories, en fonction
de leurs résultats à l’école primaire, soit
en «regroupement A» ou en «regroupement B»,
dès la 7e année.

Le système du CO en classes hétérogènes,
par contre, accepte tous les élèves venant du primaire en
classe de 7e hétérogène, sauf  de très
rares exceptions. Une première «orientation» a lieu
lors du passage de 7e en 8e, puis de 8e en 9e.

Ce système doit bien sûr pouvoir évoluer, il
n’est pas question de défendre à tout prix
l’école actuelle, mais de continuer à se battre,
comme le veut l’article 4 de la loi sur l’instruction
publique pour «tendre à corriger les
inégalités de chance de réussite scolaire des
élèves.» C’est exactement dans le sens
contraire que l’initiative et le projet de loi proposés en
votation le 30 novembre se dirigent.

Une initiative démagogique et réactionnaire

L’initiative intitulée mensongèrement «pour un cycle qui oriente» propose:

  • des normes d’entrée au C.O plus sélectives,
  • une répartition des élèves en 4 niveaux en 7e année (âge: 12 ans!)
  • une répartition des élèves en 6 niveaux dès la 8e année,
  • une évaluation du comportement avec note («pour
    constituer un élément d’appréciation dans
    les décisions qui concernent la scolarité de
    l’élève»…)
  • la moyenne de promotion passe de 3,5 à 4 (sur 6!), et un
    groupe de branches principales devient déterminante pour la
    promotion,
  • enfin des restrictions sont apportées à la possibilité de refaire une année.

Sans surprise, cette initiative émane de quelques
démagogues issus de Arle, association qui veut «refaire
l’école» pour une élite, et qui ne veut
surtout pas mélanger sa progéniture avec le commun des
mortels-les!
En votation, cette initiative se verra opposer comme
«contre-projet» un projet de loi largement approuvé
par le Grand-Conseil, toutes tendances politiques confondues. Il est
né de principes édictés par les partis socialiste,
vert, radical et démocrate-chrétien. Ce beau compromis
aboutit à une série de mesures aussi discriminatoires que
celles de l’initiative:

  • des normes d’entrée au C.O plus sélectives
  • une répartition des élèves en 3 niveaux en 7e année
  • 3 sections dès la 8e année dont une,
    prégymnasiale, divisée en trois…langues vivantes,
    sciences et latin.
  • Des quotas qui préétablissent le pourcentage
    d’élèves dans chaque filière (50% en
    filière maturité, 15% certificats de l’ECG, 30%
    formation professionnelle, et 5% de redoublement et autres). Comment
    appliquer ces quotas??? Pas de réponse dans le contre-projet.

Toutes ces «trouvailles» (qui rappellent le Cycle
d’orientation d’antan et ses sections) sont
rassemblées sous un slogan qui vaut son pesant de mauvaise foi,
surtout avec la diminution de moyens d’encadrement que nous
connaissons: «une école plus exigeante mais pas plus
sélective.»

Pour un double NON sans appel

Faudra-t-il être performant dans toutes les disciplines du
CO  pour être au «top niveau»? Quels seront les
moyens d’aide pour soutenir un passage d’un niveau à
l’autre, dans le sens ascendant en allemand, en
mathématiques, par exemple? Va-t-on former une classe de
«petits génies», puis une autre de «plus
petits génies» qui seront moins bons dans une seule des
disciplines importantes, puis une autre catégorie de «plus
modestes génies» qui seront moins bons dans 2 disciplines,
puis une autre catégorie encore, etc.?

Les élèves du CO, qui ont entre 12 et 15 ans auront-ils
tous la volonté, la possibilité de se battre en pleine
période d’adolescence? Ceux d’entre eux qui
sortiront de la catégorie «top des disciplines»
n’auront certes pas de difficultés ensuite, merci. Ceux
qui sont un peu moins performants se dirigeront bien sûr vers les
filières «diplôme», pour autant que celles-ci
existent encore, mais qui voudra engager un élève sortant
d’une des catégories en bas de l’échelle? Car
il ne fait aucun doute que les niveaux et les résultats dans les
différents niveaux de performances seront pris en compte pour
entrer dans une formation, qu’elle soit en deux ans ou plus.
C’est déjà le cas actuellement: il faut passer des
tests spécifiques pour entrer dans la filière technique,
par exemple. Va-t-on aller vers plus de difficultés encore pour
trouver une place de travail?

A la lecture de l’initiative et du projet de loi qui seront 
présentés en votation le 30 novembre prochain, il est
évident que le seul mot d’ordre possible est un double NON
sans appel.

Contre l’échec scolaire, l’initiative de la Coordination Enseignement

Par contre, la discussion ne sera pas close pour autant
puisqu’une autre initiative a été lancée
fort opportunément pour contrer la première.
Intitulée «s’organiser contre l’échec
scolaire et garantir une formation pour tous les jeunes», cette
initiative a été lancée par les associations et
syndicats d’enseignant-e-s, avec le soutien de certaines
associations de parents, et de solidaritéS, regroupés
dans la «Coordination Enseignement».

Elle sera opposée, elle, lors d’une nouvelle votation au
printemps, contre ce qui aura résulté de la votation du
mois de novembre: initiative, ou projet de loi, ou statu quo.

L’initiative de la Coordination Enseignement propose:

  • un soutien pédagogique pour les élèves en
    difficultés grâce à des moyens
    supplémentaires
  • un soutien différentié grâce à la
    collaboration entre les différents ordres d’enseignement,
    le tout régi par une commission nommée par le DIP
  • la reconnaissance des acquis des élèves s’ils
    passent d’une filière à l’autre dans
    l’enseignement secondaire postobligatoire
  • que les élèves passent directement de 6P en 7e hétérogène
  • que la 8e et la 9e soient sur le modèle de ce qui existe
    actuellement en classes hétérogènes (niveaux et
    options).

Cette enfilade de votations ne rend pas la situation facile à
expliquer. Cela arrange certainement les manipulateurs-trices sans
vergogne qui veulent faire croire que les élèves exclus
gardent toutes leurs chances de sortir des voies de garage habituelles.

Battons-nous donc pour que les élèves puissent poursuivre
tous ensemble les mêmes objectifs d’enseignement, ceux de
l’art. 4 de la loi sur l’instruction publique, et
défendons d’ores et déjà l’initiative
qui sera votée au printemps 2009!

Marlyse Freydière Wegener, Claire Martenot


1    Cf. Rapport de recherche avant une votation
(douze mois qui régleront le sort de
l’hétérogénéité  au cycle
d’orientation,
Clairette Davaud, Dagmar Hexel, SRED, 2002.
2    Cf. Réforme II, CRPP, 1977.