Féministe et communiste en Yougoslavie

Féministe et communiste en Yougoslavie


Neda Bozinovic est née en 1917 avec la révolution russe et décédée cet été en Croatie.
Militante communiste, féministe, opposée au nationalisme, elle a traversé le siècle et tous les
bouleversements de la Yougoslavie.


Maryelle Budry*


C’est en tant que militante féministe
et pacifiste des «Femmes en
Noir» qu’elle a fasciné Rina Nissim,
qui décida de promouvoir
et de publier son récit
de vie. Née dans un royaume
qui bascula dans le fascisme,
elle opte très jeune
pour la résistance.


La carrière
d’une femme


Lycéenne dans une petite
ville de la côte dalmate, Kotor,
elle fréquente déjà le
mouvement de jeunesse
communiste, officiellement
interdit. En tant qu’étudiante
en droit de l’Université de
Belgrade, elle s’est tout de
suite engagée dans le mouvement
anti-fasciste et dans des
groupes féministes. Le foyer
où elle s’installe est autogéré
par les étudiantes et devient
un haut lieu de résistance
au fascisme.


Durant la guerre, elle assume
entre autres responsabilités
la marche d’une imprimerie
clandestine pour le
parti communiste et monte
vite dans les instances de la
direction politique du PCY.


Amoureuse d’un camarade
(qu’elle épousa plus tard),
elle dut quitter ses fonctions
dirigeantes: «Deux personnes qui
avaient une liaison ne pouvaient travailler
dans le même organe de direction
du parti… c’est moi qui fut mutée
à une autre endroit». Le couple
aura trois enfants et fait carrière: il est
ministre des finances de Tito, elle est
nommée juge à la Haute Cour fédérale,
puis secrétaire d’Etat à l’administration
et au budget: «on voulait plus
de femmes dans tous les organes de
l’Etat».


Dans son récit, Neda raconte sa vie
de famille toute simple, partageant
l’éducation de ses enfants avec son
mari, handicapé depuis un grave accident
d’auto, aidée par sa mère, mais
manquant toujours de temps. Depuis
l’époque de sa retraite, elle s’est beaucoup
occupée de ses petits-enfants:
«J’ai probablement toujours eu le sentiment
que j’avais une dette envers
mes enfants, et qu’en m’occupant de
leurs enfants, je compensais tout ce
que je n’avais pas pu leur donner».


Sa chute et sa renaissance


Elle continue parallèlement à militer
dans le mouvement féministe.
Une partie du livre de Neda est consacré
à l’histoire du féminisme en
Yougoslavie, jusqu’à l’étrange dissolution
de la Fédération des femmes
yougoslaves, perdant son autonomie
dans le parti…


A partir de 1972, le couple, qui défend
les idées de démocratisation et
d’égalité des différentes nationalités
yougoslaves, tombe en disgrâce.
Neda et Bobi perdent leurs fonctions
et sont victimes d’un boycott social.
Leurs camarades leur tournent le dos,
ils vivent dans l’isolement, ne fréquentant
plus que les membres
de leur famille. De plus,
le nationalisme monte, Bobi
qui est Serbe n’est plus le
bienvenue en Croatie, ni en
Macédonie. Comment un
couple de communistes convaincus
vit-il le désaccord
avec son parti et l’isolement
social est également un chapitre
fort de cet ouvrage.


L’engagement


A la fin des années 80, «à
nouveau la guerre», Neda
qui est veuve, s’engage résolument,
comme au début de
la guerre de 39-45 dans les
rangs de celles et ceux qui
combattent le nationalisme
fascisant. Elle rejoint le
Centre anti-guerre, qui soutient
les déserteurs, et surtout
les Femmes en Noir,
dont elle sera la fidèle émule
jusqu’à sa mort.


Ces nouveaux engagements,
si proches de ceux de
sa jeunesse, lui permettent
de sortir de son isolement et
de prendre à nouveau des
responsabilités. D’après tous
les témoignages des «Femmes
en Noir», durant les
dernières années de sa vie, elle était
rayonnante, communiquant sa grande
force intérieure aux jeunes femmes
qui s’engageaient dans la lutte féministe,
pacifiste et anti-fasciste. Des
repères chronologiques sur l’histoire
de la Yougoslavie et des photos de la
très belle Neda à tous les âges de sa
vie complètent ce livre très intéressant.


«Neda, Une vie en Yougoslavie»,

Neda Bozinovic

Ed Mamamélis, Carouge, 2001


* Membre d’Actions femmes solidaires