Nestlégate: Securitas et Nestlé persistent et signent

Nestlégate: Securitas et Nestlé persistent et signent

Le 12 juin 2008,
l’émission Temps Présent révélait que
des membres d’Attac Vaud qui rédigeaient un livre sur
Nestlé avaient été infiltrés par une agente
de Securitas pour le compte de la multinationale entre septembre 2003
et juin 2004. Après la diffusion de l’émission, les
auteur-e-s objet de l’espionnage et Attac Suisse ont porté
plainte sur le plan civil et pénal.


Une première audience civile a
eu lieu le 23 juillet dont l’issue a été
défavorable à Attac. Pourtant, les mois
d’été ont vu des révélations se
succéder dans la presse.

En 2002, Nestlé engage un nouveau chef de la sécurité, John Hedley1.
Il aurait mis en place un nouveau et vaste système de
sécurité chez Nestlé, à l’origine de
l’infiltration d’Attac Vaud.

Le chef de la sécurité de Nestlé était un ancien du MI6

Heldey a fait une longue carrière dans les services secrets
britanniques (MI6). Pour le compte du MI6, il a même
été premier secrétaire d’ambassade en
Suède et en Afrique du Sud où il serait resté
jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001.2 Hedley a
quitté le MI6 parce que, selon L’Hebdo, il ne
s’entendait plus avec sa hiérarchie, lui adepte de
l’infiltration, alors que ses supérieurs misaient
plutôt sur la technologie, comme la surveillance par satellite.
Il rejoint cependant Tri-Mex International, une entreprise londonienne
spécialisée dans le traçage satellite de
marchandises justement, où il occupe une fonction dirigeante.

A son arrivée chez Nestlé, il décide de
révolutionner le concept de sécurité de la
multinationale. La sécurité des bâtiments et des
employé-e-s est alors renforcée. Mais pour Hedley, il
faut aussi veiller à ce que la réputation de
l’entreprise ne soit pas entachée. Il fait donc
équipe avec François-Xavier Perroud, alors chef de la
communication de Nestlé. Aujourd’hui Perroud a pris sa
retraite, quant à Hedley, il a quitté Nestlé en
mai 2008… alors que l’équipe de Temps
Présent menait son enquête. Aujourd’hui, Hedley est
le chef de la sécurité de l’International Airport
Association, basée à Montréal3. Le site
de IATA rapporte que spécialiste de l’espionnage et du
contre-terrorisme, Hedley dirigera une équipe forte, en
utilisant notamment une technologie de pointe avec un budget de 100
millions de dollars par année.

Encore bien des zones d’ombres chez Securitas

Revenons à notre affaire. En 2002 donc, Hedley débarque
chez Nestlé. Au même moment – heureuse coïncidence?
-, Securitas crée une cellule d’investigation
qu’elle baptise Investigation Services (IS). L’IS aurait
été créé en prévision du G8, date
à laquelle d’ailleurs plusieurs groupes ont
été infiltrés. Cette nouvelle cellule, qui a fait
ses preuves lors du G8, cadre bien avec les priorités du nouveau
chef de la sécurité de Nestlé et du chef de la
communication: contrôler l’information en particulier
celles qui émane de voix critiques contre la multinationale.4
Bien après le G8, un des cadres de l’IS est par
conséquent chargé de recruter un ou une agent-e pour
infiltrer Attac Vaud. Ce cadre – que nous nommerons X dorénavant
– était auparavant un ancien officier de la police
fribourgeoise, qui a maintenant sa propre compagnie de
sécurité dans le même canton.5 Après avoir fait chou blanc à deux reprises6,
X recrute donc «Sara Meylan», 23 ans, déjà
employée chez Securitas. Elle a une mission, une fausse
identité, un téléphone mobile – qui
répondait encore en juin 2008 au nom de X! – et le même X
se charge aussi de lui faire un faux abonnement demi-tarif,
établi au nom de l’espionne, à l’adresse du
chef de la police ferroviaire romande de l’époque. De
fait, les liens entre Securitas et la police sont très
étroits comme l’a démontré en particulier
une enquête du Beobachter à ce sujet.7

Première audience: une décision de justice inadmissible

Alors que les révélations tombaient les unes après
les autres, la première audience au civil a eu lieu le 23
juillet dernier au Tribunal de Lausanne. Il s’agissait pour le
président Jean-Luc Genillard de maintenir l’interdiction
de destruction des informations et de documents collectés par
l’agente de Securitas pour le compte de Nestlé et de
décider de leur confiscation. Coup de théâtre, lors
de l’audience, l’avocat de Nestlé a sorti de son
chapeau une liasse de rapports de l’espionne, en expliquant que
Nestlé avait raclé ses fonds de tiroirs et qu’elle
n’avait de toute façon rien à cacher. Des rapports
qui portent le titre de «rapports intermédiaires».
Or, qui dit rapports intermédiaires dit rapport final,
d’autant plus que l’ancien directeur de Securitas, Bernard
Joliat, interrogé lors du Temps Présent sur la nature des
documents versés au client lors d’une mission IS,
déclarait: «[…] oui c’est clair qu’il y
a un rapport qui se fait sur la manière dont
l’enquête s’est faite et les conclusions auxquelles
elle a abouti.»8 En outre, aucun rapport ne figure sur
le Forum organisé le 12 juin 2004 à Vevey, par Attac et
d’autres ONG, intitulé «Résister à
l’Empire Nestlé» auquel l’agente a
participé activement.

Mais bien que lacunaire, la liasse de documents versés par
Nestlé n’en est pas moins fort inquiétante. Des
rapports précis et détaillés, des fiches où
figurent nos engagements et nos activités, notre description
physique, notre profession, notre personnalité et le plus
choquant: une attention particulière semble avoir
été accordée à nos contacts en Colombie et
au Brésil. Cependant, bien que les rapports versés par
Nestlé soient trop détaillés pour ne pas faire
naître le soupçon légitime qu’ils ont
été rédigés sur la base
d’enregistrements, que le chef de la sécurité de
Nestlé à l’époque des faits soit une
ancienne pointure du MI6 tout à fait à la page des
nouvelles technologies en matière d’espionnage, que le
dossier versé par Nestlé ne semble pas complet, que la
multinationale n’ait pas exclu de recommencer ce genre
d’opération scandaleuse9: tout cela n’a
pas convaincu le président du Tribunal qu’il manque encore
des pièces clés se trouvant chez Nestlé et
Securitas. Le 12 août, il a rejeté les demandes
provisionnelles. Cerise sur le gâteau, il a décidé
qu’Attac devait verser à Nestlé et Securitas une
somme de 2250 francs chacun à titre de dépens pour leurs
frais d’avocats! Un appel de soutien politique et financier a
donc été lancé par Attac.

Il devient de plus en plus difficile de faire lumière sur cette
affaire. Une lumière qui mettrait encore plus en évidence
des pratiques scandaleuses, mais vraisemblablement aussi de nombreuses
complicités «douteuses».

Isabelle Paccaud


1    Voir en particulier, Julie Zaugg, «Les
dessous de l’affaire Attac. L’espion aimait trop
Nestlé», L’Hebdo du 17 juillet 2008, pp.13-16.
2    Idem; ainsi que des informations données par
Stephen Dorril. Stephen Dorril est journaliste indépendant et
chercheur universitaire, spécialisé dans les services
secrets britanniques.
3    Cf. www.iata.org
4    Cf. J.Zaugg, op.cit., L’Hebdo du 17 juillet 2008.
5    Voir Pierre-André Sieber, «Le Chef de
l’infiltration était un ex-cadre de la police
fribourgeoise» in Le Courrier du 19 juin 2008.
6    Il a tenté d’engager une Fribourgeoise
qui a refusé jugeant les risques trop élevés, cf.
Idem. Il a aussi approché un étudiant lausannois qui a
également décliné, cf. notamment, Dinu Gautier,
«Spion für dreissig Franken die Stunde», Woz du 26
juin 2008.
7    Cf. Otto Hostettler, «Wie die Securitas um sich greift», Beobachter du 14 août 2008.
8    «Securitas. Un privé qui vous
surveille», Temps Présent du 12 juin 2008, www.tsr.ch.
Souligné par moi.
9    Cf. La presse romande du 24 juillet 2008.