L’individu à l’ère du capitalisme mondialisé

L’individu à l’ère du capitalisme mondialisé

Les éditions Textuel publient un recueil de courts textes, fruit des réflexions d’un collectif de chercheurs en sociologie, anthropologie et philosophie, consacré à la place de l’individu dans les sociétés contemporaines.

Tiraillé entre des aspirations personnelles exacerbées par les modèles de développement de soi assénés par les média – où le «Be yourself, sois toi-même» s’impose comme la tyrannie normative la plus courante… – et une identité collective de plus en plus morcelée ou «parcellisée», ce bref ouvrage interroge les figures souvent complexes de l’individualité contemporaine.

L’individu confronté aux rapports de pouvoir (contributions de Pascal Michon et François Dubet), les différentes strates composant le sujet en société – où commence vraiment la sphère publique, où s’arrête la sphère privée, notamment lorsque le «néo-management n’hésite pas à inviter les personnels à pratiquer des séances de jogging collectives, effaçant de plus en plus la distinction entre les relations privées et professionnelles» (Albert Richez), comment articuler individualité et citoyenneté? (Alain Caillé) – autant de questions abordées par ce recueil et qui nous incitent «à considérer avec quelque circonspection le discours dominant qui accepte comme allant de soi l’existence d’un cercle vertueux entre individualisme, capitalisme et démocratie».

Le point de vue anthropologique développé ailleurs par Erwan Dianteill offre une décentration bienvenue et permet d’interroger de façon renouvelée la notion d’individu, libérant un tel livre de l’occidentalo-centrisme qui aurait pu le guetter.

Une intéressante contribution de Claude Calame examine l’instrumentalisation de l’universalisme occidental – celui des droits de l’homme – lorsqu’il est mis au service des entreprises de domination. L’auteur rappelle que si, de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948, les classes dominantes recourent souvent aux articles faisant référence à des droits individuels comme à des armes idéologiques justifiant l’établissement d’un «nouvel ordre mondial», les droits collectifs, eux, «en régime de démocratie néolibérale», sont presque systématiquement passés sous silence.

Ainsi, selon l’article 25: «Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être, et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.»

C’est qu’en effet, l’ensemble de l’ouvrage tend à rappeler que toute autonomisation consistante de l’individu nécessite des conditions sociales développées – par exemple «la sécurité sociale, les retraites ou le statut salarial» – analyse qui va à l’encontre «de la fiction néolibérale d’un individu autonome dès le départ». Car, le capital n’entre pas seulement en contradiction avec le travail, mais aussi avec le développement de «l’individualité tronquée par la marchandisation» (Philippe Corcuff).

Hadrien Buclin

Identités de l’individu contemporain, sous la direction de Claude Calame,
Paris, éditions Textuel, 2008, 159 p.