Un été avec Salvo Montalbano…

Un été avec Salvo Montalbano…

Andrea Camilleri, auteur sicilien octogénaire, n’a cessé de faire parler de lui depuis une dizaine d’années. Son regard sans concessions sur la société italienne actuelle, mêlé à un sens de la langue et à l’amour de son île ont ouvert son œuvre littéraire au monde entier. Connu tout d’abord pour ses romans dits historiques (La saison de la chasse), il ne s’abandonne au genre policier que plus tard. En effet, alors qu’il se débat avec l’écriture de ce qui allait devenir son chef d’œuvre, L’Opéra de Vigàta, il se souvient d’un conseil de Leonardo Sciascia: «Le roman policier est sans doute – écrivait cet autre sicilien – la meilleure cage à l’intérieur de laquelle un écrivain puisse se glisser, parce qu’il y a des règles, concernant le rapport logique, temporel et spatial du roman, dont il ne peut faire abstraction». Camilleri décide alors de s’essayer à ce genre. Pour le plus grand bonheur de ses lecteurs-trices, le commissaire Salvo Montalbano était né. Excursus en plein cœur de la Sicile…

Une terre aride et jaune où les montagnes pelées renvoient encore l’image en relief d’une verdeur qui se bat pour exister. Des villages perchés sur les flancs, plongeant vers la mer, taches blanches sur les coteaux, sous le soleil écrasant. Une mer jadis limpide, qui accueille sur ses bords une ville imaginaire, Vigàta, «aux limites variables, à géométrie variable, en réalité toute la Sicile» et peut-être même, qui sait, le monde entier. Andrea Camilleri aime cette Sicile tant et si bien qu’il en a fait «le seul vrai personnage» de ses œuvres; en cela il est lui aussi frappé par la «malédiction» qui touche tout auteur sicilien, «condamné», pour paraphraser Sciascia, à reparcourir constamment les lieux de son île, parce que tout autre représentation, tout autre expérience, lui apparaîtrait en comparaison beaucoup trop pauvre. La Sicile est présente à chaque ligne: ses odeurs presque charnelles, ses paysages, sa chaleur, ses humeurs, ses personnages et même sa langue réinventée pour l’occasion par la plume magique de Camilleri. Car la langue, cette merveilleuse langue chantante, est de fait la marque de fabrique, la force de ses ouvrages (par ailleurs bien rendue par la traduction française de Serge Quadruppani).

Parmi la kyrielle de personnages récurrents de ses romans policiers, après Montalbano, Mimì Augello, son second, vrai coureur de jupons, ou le solide inspecteur Fazio, c’est sans doute Catarella qui incarne le mieux le moteur de cette création littéraire. Ce sergent préposé au téléphone, simplet et lourdaud, placé là par «faveur» (en Italie, on les appelle les raccomandati), parle une langue qui lui est tout à fait propre. Non seulement, il écorche tous les noms, ce qui s’avère vite un problème pour le standardiste, mais invente aussi constamment des termes avec l’assurance inébranlable que lui donne sa volonté de bien faire et sa naïveté. Au fil des ouvrages, ce personnage va être l’un des ressorts du comique de répétition qu’affectionne Camilleri. Car on rit, et on rit beaucoup en lisant les enquêtes de Salvo Montalbano, sans jamais sombrer pourtant dans le simple amusement. Il s’agit de ce rire, cher au néoréalisme italien, fondé sur un langage revivifié, débarrassé des scories de l’homologation fasciste. Une comicité poétique et cruelle visant à dépeindre sans concession la situation sociale, politique et culturelle de l’Italie. Un comique qu’incarnait magistralement l’auteur napolitain Eduardo de Filippo, avec lequel Andrea Camilleri avait par ailleurs travaillé dans les années 1960, en tant que réalisateur. Un mélange de satyre et d’ironie; satyre de la société sicilienne qui figure mieux que toute autre peut-être permanence, archaïsme et contraste de la société italienne dans son ensemble, et distance ironique du regard que pose sur elle Salvo Montalbano.

Mais qui est donc ce commissaire autour duquel tourne ces romans policiers? Andrea Camilleri le présente comme le «voisin de palier». S’il ne s’agit évidemment pas d’un super héro, ce n’est pas non plus un voisin de palier tout à fait ordinaire. Tout d’abord, il plaît aux femmes et surtout à Ingrid, cette magnifique suédoise, mécanicienne, maîtrisant la conduite à faire pâlir un pilote de Formule 1, libre en terre sicilienne, mais victime des assauts répétés de son beau-père. Et puis il y a bien sûr sa compagne Giulia, une Gênoise avec laquelle Montalbano entretient une relation à distance, houleuse et tendre. Grand amateur de littérature, il étonne et surprend ses interlocuteurs par l’étendue de sa culture livresque, citant tant Potocki que Manuel Vázquez Montalbán (clin d’œil obligé de Camilleri au père du détective privé espagnol Pepe Carvalho). Mais ce qui le dépeint plus encore peut-être, c’est son goût pour les plaisirs de la table. Il commente chaque plat, qu’il choisit avec attention parmi les spécialités de son île: arancini, sarde, spaghetti alle vongole, caponata, granita et brioche etc. Pas question pour lui «d’avaler» un repas en vitesse n’importe où. Son goût pour la bonne chair l’éloigne temporairement de la société des hommes et des femmes qui n’en partagent pas le sens. Enfin, dernier trait caractéristique, son amour pour la mer au bord de laquelle il vit dans une petite maison sur la plage.

Dépressif? Misanthrope? Hypocondriaque? Rien de tout ça. Un homme de son temps qui pause un regard vif et cinglant sur une société italienne «inconsciente» qui vient de réélire Silvio Berlusconi et sa cour néofasciste, qui exploite, réduit en esclavage et quelquefois tue les émigrants arrivé-e-s de très loin dans des conditions terribles sur les plages de Sicile. Et qu’importe si Salvo Montalbano a quelquefois peur, c’est quand il dit assez! qu’il convainc le plus…

Stéfanie Prezioso


Passez l’été avec Montalbano…

Un petit choix de romans

La forme de l’eau
Paris, Fleuve noir, 1998

Chien de faïence
Paris, Fleuve noir, 1999

Un mois avec Montalbano
Paris, Fleuve noir, 1999

Le voleur de goûter
Paris, Fleuve noir, 2000

La voix du violon
Paris, Fleuve noir, 200

La peur de Montalbano
Paris, Fleuve noir, 2004

La première enquête de Montalbano
Paris, Fleuve noir, 2006

Le tour de la bouée
Paris, Pocket, 2006.