Le dernier surréaliste espagnol est mort

Le dernier surréaliste espagnol est mort


Eugenio Granell, peintre et écrivain surréaliste d’origine galicienne, combattant du POUM
et anti-stalinien de toujours, vient de mourir à New York. Son oeuvre est plus vivante que
jamais!


Jean Batou


Eugenio Granell a trouvé la mort, le
24 octobre dernier, à l’âge de 88 ans.
Il était le dernier peintre et écrivain espagnol
de l’époque surréaliste encore
en vie. Il laisse derrière lui une oeuvre
fascinante qui témoigne d’un engagement
à contre-courant, au coeur du
XXe siècle1.


Combattant infatigable
de la liberté


Né à Saint-Jacques de Compostelle,
en Galice, le 28 novembre 1912, il
commence à écrire et à peindre depuis
l’enfance, avant d’étudier la musique
au conservatoire de Madrid. En 1928,
il rejoint le courant trotskiste au sein
du parti communiste, avant d’adhérer
à la gauche communiste d’Andreu
Nin et de participer à la fondation du
POUM (communistes anti-stalinien),
en 1935. Pendant la Guerre Civile, il
se bat dans les milices de ce parti
(évoquées récemment par Ken Loach
dans Land and Freedom).


Exilé à Saint-Domingue, avec
d’autres artistes surréalistes, il abandonne
la lutte politique pour se consacrer
entièrement à la peinture. Pourtant,
il reste attaché à la défense de la
révolution russe et à la critique de sa
dégénérescence bureaucratique. «Le
fait d’avoir collaboré par le silence, la
couardise ou la peur à des crimes aussi
atroces est la plus grande humiliation
de la classe intellectuelle depuis
qu’elle existe», lançait-il à l’adresse
de Rafael Alberti ou de Pablo Picasso.
Dans les années 50, il s’établit successivement
au Guatemala, à Porto Rico,
à Los Angeles, puis à New York.


Peintre et écrivain
aux mille facettes


Michael Eaude évoque ainsi son
oeuvre picturale: «D’un dessin hors
pair, les premières peintures de Granell,
comme les plus récentes, se distinguaient
par leurs couleurs claires et
vives. Ses compositions sont d’un
style cubiste et ses thèmes inspirés
par la nature ou le symbolisme indigène
des Amériques. Il peint des têtes
d’Indiens et des personnages énigmatiques,
mi-animaux, mi-humains, distordant
la réalité avec un humour acide.
L’«humour», disait Granell, «est
notre unique défense contre l’air du
temps». Cependant, sa plus fameuse
période est marquée par la décade qui
commence au milieu des années 50,
lorsque ses peintures se font plus abstraites
et perdent leurs couleurs caractéristiques
pour des tons plus automnaux
et pastels» (The Guardian, 10
novembre 2001).


Granell a aussi publié quinze livres:
de la poésie, des nouvelles, des romans
et des essais. On relèvera particulièrement
El hombre verde (L’homme
vert), en 1944, et Lo que sucedió
(Ce qui est arrivé), en 1969, qu’il a
conçu et illustré lui-même. Depuis le
milieu des années 60 et jusqu’à sa retraite,
il fut professeur de littérature
espagnole au Brooklyn College.


Liberté, poésie et amour


Granell définissait le surréalisme
comme «liberté, poésie et amour (…)
une façon de voir plus et mieux, sans
les restrictions et les barrières de la logique
». Pour lui, comme pour Breton
ou Trotski, le réalisme socialiste était
une aberration: «Il n’y a pas d’art prolétarien
ou d’art bourgeois; il y a l’art
et ce qui n’en est pas. Vous ne pouvez
pas avoir un homme qui joue de la
trompette de façon prolétarienne et un
autre qui en joue de façon bourgeoise», écrivait-il encore au début de
cette année.




  1. 600 de ses toiles sont rassemblées à la Fondation Granell de
    Saint-Jacques de Compostelle, à côté d’oeuvres de Picabia,
    Duchamp, Man Ray et Breton, dans un musée consacré exclusivement
    au surréalisme.