Parole d’exilé: solidarité

Parole d’exilé: solidarité

Le passeport est
la partie la plus noble de l’homme. D’ailleurs, un
passeport ne se fabrique pas aussi simplement qu’un homme. On
peut faire un homme n’importe où, le plus
étourdiment du monde et sans motif valable; un passeport,
jamais. Aussi reconnait-on la valeur d’un bon passeport…



Bertolt Brecht


Dans le monde entier, des obstacles
compliquent l’assimilation à une communauté
villageoise. Mais comment franchit-on l’injustice? Refuser la
fabrication d’un procès qui condamne, le recours perdu au
Tribunal fédéral, est facile: il suffit d’aller
à Strasbourg.




A qui, comment dire l’exil
intérieur qu’impose l’erreur judiciaire? Comment
vit-on, Noir, la justice qui a refusé de nous blanchir?




A la veille du vote de
l’initiative dite «Pour des naturalisations
démocratiques», en collaboration avec ACOR SOS Racisme, le
Théâtre Saint-Gervais a invité Babu Islam, citoyen
valaisan et éleveur de vaches au Val d’Hérens,
à partager ces questions avec les spectateurs des
«Dialogues d’exilés».

Au temps du nazisme, Bertolt Brecht imaginait la rencontre dans une
gare de deux survivants sarcastiques en exil. Après la
stupéfiante version de Valentin Rossier et Jean-Quentin
Châtelain, noceurs cyniques ou animateurs décalés
de talk-show laissant libre cours à d’étincelantes
pensées critiques et libres, le public de Saint-Gervais a
poursuivi la soirée avec Babu Islam.

Babu, victime du passé et témoin du chemin difficile qui conduit à l’avenir

Un destin du 20e siècle: comme tant d’hommes, de femmes et
d’enfants fuyant sur la terre entière le massacre de leurs
peuples ou la famine, Babu Islam quitte adolescent le Bangladesh en
proie au génocide.
Il y a 27 ans, son épouse et lui fondent leur famille dans le
village de cette dernière. Destin peu commun? Babu Islam devient
un éleveur de la fameuse vache du Val d’Hérens. Il
s’engage au niveau local, devient sergent-major des pompiers du
village. Polyglotte – il parle six langues -, il rejoint
l’équipe de traducteurs-jurés du canton. Il
connaît le pouvoir de jalouser l’étranger comme
intrus et réagit avec sérénité, il vit
l’intégration heureuse de celui qui a trouvé en
Valais une nouvelle patrie.

Mais il subit aussi de pénibles situations de racisme primaire.
Il y a une douzaine d’années, son fils se fait cracher
dessus, insulter et frapper par le père d’un camarade de
classe. Babu Islam perd le procès intenté pour
protéger son enfant.

Un matin, alors qu’il sort de sa grange après avoir
soigné ses bêtes, un homme l’agresse
par-derrière, l’étrangle, l’assomme. A son
réveil, Babu Islam baigne dans son sang. Il dépose
plainte, contre X, et ne sait toujours pas qui est son agresseur.

Puis, c’est un préposé communal qui le
persécute, établit des rapports mensongers et humilie le
«nègre». Il importune grossièrement la
famille et la justice satisfait à sa demande qu’il soit
relevé des missions qu’il effectuait à leur
domicile et sur leurs terres. Commence alors le calvaire de Babu Islam.
Le préposé déchu de son mandat dépose une
plainte contre ce dernier et l’accuse de lui avoir tendu une
embuscade, de l’avoir frappé au visage, menacé de
mort. Et la justice condamne Babu Islam qui perd, jusqu’au
Tribunal fédéral, les recours qu’il a
déposés. Il s’adresse maintenant à la Cour
européenne des droits de l’homme à Strasbourg afin
qu’elle statue sur son cas et établisse que le jugement
formulé contre lui n’était pas fondé.

Nous combattions les discriminations infligées aux
«étrangers» et le racisme vient de franchir une
nouvelle frontière. Il menace des citoyen-ne-s suisses.

Suisse, mais noir = délinquant?

Il y a peu de temps, les racistes étaient parvenus à
faire croire à l’existence d’une délinquance
étrangère. Le 1er juin, ils ont fait un pas de plus. Ils
présentent désormais la délinquance
elle-même comme étrangère, puisqu’ils
assurent que les délinquants suisses sont des étrangers
naturalisés. La Suisse romande a rejeté ce fantasme
grotesque. Mais sur des terrains mieux cultivés, la
récolte fut supérieure. 39% des électeurs-trices
zurichois-es, 36% des Bernois-es ont mordu à
l’hameçon, 47% des Argovien-ne-s et 44% des Lucernois-es.

Qui pouvait croire qu’à Genève l’UDC
tomberait à 18% et perdrait cinq points sur les résultats
xénophobes des dernières élections nationales? Si
l’UDC peine à s’incruster au bout du lac, les
«cités satellites» du canton ont tout de même
fait des scores de 10 points supérieurs à ceux des
quartiers populaires du centre-ville. On voit bien que le racisme
n’est pas une caractéristique populaire. En revanche, tel
est le cas de la peur de perdre son travail, sa santé, la
tranquillité pour ses vieux jours ou l’espoir pour ses
enfants. Des politiciens au service des fortunes qui affament les pays
pauvres attisent ces peurs, et nourrissent l’illusion qu’en
stigmatisant les étrangers-ères, ils protègent les
Suisses.

Une politique pourrait-elle naître de cette étrange
matrice qui ne reconnaîtrait pas comme Suisses des
étrangers-ères qui auraient franchi une limite?

Malgré l’inexistence de la moindre preuve, un dossier
faible et incohérent, «l’intime conviction»
d’un juge a suffi à condamner Babu Islam. Suisse et
Valaisan était-il moins valaisan que son accusateur qui, de
notoriété publique, humiliait le
«nègre» depuis des années?

Suisse, mais noir, un tribunal en a fait un délinquant.

Le récit de Babu a fortement impressionné les quelque
septante spectateurs-trices qui ont poursuivi la soirée avec
lui. Le rideau tombé, après un chaleureux moment
d’échanges, les spectateurs-trices de l’injuste
détresse de Babu se sont engagés à contribuer
à sa réhabilitation.

Quant à lui, sur les hauteurs de Sion, il ne peut toujours pas
quitter la scène, le pilori sur lequel l’a porté
une injustice.

Rendez-vous est pris fin juillet sur ses terres pour une journée
de fête et de solidarité. (Inscriptions et informations
auprès de: info@sos-racisme.ch)

Karl Grünberg