Votations fédérales du 1er juin: un plaisir rare, mais fugace

Votations fédérales du 1er juin: un plaisir rare, mais fugace

Ne boudons pas notre plaisir.
La triple défaite des propositions soutenues par l’UDC ce
dimanche 1er juin et en particulier le rejet de son initiative dite
«Pour des naturalisations démocratiques» est un vrai
baume pour le cœur. Le niveau du rejet en Suisse romande (82%
à Genève et Neuchâtel, 81% dans le canton de Vaud,
80% dans le canton du Jura, 75% dans le canton du Valais et 73% dans
celui de Fribourg), comme le fait qu’un seul canton
alémanique, Schwyz, ait accepté le texte, sont
particulièrement réjouissants. Mais la claque
reçue par l’UDC n’est de loin pas synonyme de recul
durable de la xénophobie dans ce pays.

En 2004, le peuple rejetait la naturalisation facilitée pour les
immigré-e-s de deuxième et de troisième
génération; en 2006, le durcissement des politiques
d’asile et à l’égard des
étrangers-ères était approuvé; en 2008,
provisoirement, le message de méfiance systématique voire
d’animosité ouverte ne passe plus. Comment
l’expliquer?

La martingale n’était pas gagnante

La campagne raciste de l’UDC reposait sur trois niveaux
d’affirmations: a) les naturalisations sont devenues un acte
totalement banalisé, quasi automatique; b) les juges (lisez: le
Tribunal fédéral) sont contre le peuple et le spolient
d’un droit démocratique élémentaire; c) les
naturalisé-e-s commettent de nombreux crimes. C’est cet
argumentaire qui n’a pas fonctionné, accumulant trop de
contre-vérités pour le citoyen lambda. Qui, à part
quelques habitués du «Stamm» ou du Café de la
Croix Fédérale, peut avec quelque vraisemblance
s’imaginer que la naturalisation se fait à un guichet
automatique, alors que la plupart des Helvètes seraient mis en
difficultés par les connaissances historiques,
géographiques et civiques demandées?

Et contrairement à ce que l’UDC estimait, la perception du
Tribunal fédéral comme un nouveau bailli ou comme une
instance bureaucratique systématiquement hostile au peuple
n’est pas massivement partagée. Même à
gauche, il n’est pas évident de faire comprendre, par
exemple, qu’en matière de droit du travail, les
«sages» de Mon Repos ont une inclination certaine pour le
point de vue patronal, tant ils peuvent donner l’impression
d’être au-dessus de la mêlée. Quant à
l’argument de la criminalité des naturalisé-e-s,
ajouté au dernier moment et construit de toutes pièces,
il est apparu non seulement hors sujet, mais peu fonctionnel: en quoi
la couleur du passeport allait-elle influer sur la criminalité?

Bref, «bricolée par la nébuleuse des casques
à boulons alémaniques en l’absence de Christoph
Blocher et alors que Toni Brunner n’était pas encore
président» (Le Temps, 3.6.08) selon Oskar Freysinger –
fort respectueux, on le voit, de ses chefs – la campagne de l’UDC
était mauvaise et le thème choisi pas très
approprié pour faire un carton.

Ils reviendront à la charge

A partir du résultat de ces votations, il serait toutefois
erroné de conclure qu’en matière de
xénophobie, la marche arrière a été
définitivement enclenchée. Ne serait-ce que sur le plan
de la démocratie semi-directe, les moments pour relancer la
machine à discriminer ne manqueront pas.

Le prochain débat sur la libre circulation des personnes, et en
particulier son extension à la Bulgarie et à la Roumanie,
verra refleurir les attitudes et les propos chauvins et racistes.
L’exemple de l’Italie et des agressions subies par les
Roumain-e-s et les Roms confondus dans la même stigmatisation
n’est pas fait pour rassurer. En outre, l’UDC a encore deux
fers au feu. D’une part l’initiative contre les minarets,
où l’islamophobie, mal déguisée en lutte de
la démocratie contre l’obscurantisme, pourra se donner
libre cours; d’autre part celle «pour le renvoi des
étrangers criminels», qui établit le principe de la
double peine (condamnation et expulsion). La fausse évidence du
lien entre la nationalité et la délinquance sera
très difficile à combattre, comme l’illusion de
voir une question réglée par le simple refoulement hors
de la sphère nationale.

Ceux et celles qui se battront politiquement contre ces nouveaux
assauts de l’UDC et de ses soutiens pourront toutefois
s’appuyer sur les résultats du 1er juin pour se convaincre
que la xénophobie n’est pas gagnante à tous les
coups et que les millions déversés lors des campagnes ne
font pas tout.

Assurance-maladie: le péché d’orgueil des assureurs privés

Ce n’est pas tous les jours que l’on peut lire ça:
«L’Association Suisse d’Assurances (ASA)
déplore que le peuple ait, par son vote de ce jour,
rejeté l’article constitutionnel sur la
santé». On le mettra donc soigneusement de
côté comme preuve de ce que lobbysme parlementaire atteint
ses limites lorsqu’il devient trop gourmand. Il faut dire
qu’arriver à se mettre à dos les médecins,
les pharmacien-ne-s, les cantons et les assurés-e-s
représente un vrai tour de force.

Avec un rejet atteignant en moyenne nationale près de 70%,
l’article constitutionnel sur l’assurance-maladie n’a
pas fait long feu. Là aussi, le refus des cantons romands a
été particulièrement élevé
(Genève: 89,1%; Vaud de même; Neuchâtel: 82,7%;
Jura: 87,4%; Valais: 81,1%; Fribourg : 75,9 %). Une bonne base pour
contrer les prochaines propositions néolibérales et
couchepinesques.

Daniel Süri


Des bulles dans le marécage…

La triple défaite de l’UDC à ces votations faisant
suite à la procédure d’exclusion de la nouvelle
conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf et de
sa section grisonne a nourri la grogne de l’aile dite
«libérale» de ce parti.

Jugée trop pesante, la poigne blochérienne a
d’autant plus facilement été dénoncée
que le «conseiller fédéral non
réélu» s’était personnellement
fortement engagé dans la campagne sur les naturalisations.

Ce deuxième échec, après celui de sa
non-réélection, a ouvert la porte à une tentative
de mise en cause – à travers une menace de scission – de la
direction réelle de l’UDC, qui reste celle de sa section
zurichoise. Mais les faiblesses des opposant-e-s, regroupés
autour du conseiller fédéral Samuel Schmid et du
conseiller d’Etat bernois Urs Gasche, sont patentes : ils
n’ont pas réussi à emmener dans leur projet, du
reste assez fumeux, les Romand-e-s qui seraient restés
fidèles à l’ancienne ligne agrarienne et ne font
pas le poids ni dans l’appareil, ni parmi les élu-e-s et
encore moins financièrement. Leur dernier pas tactique,
consistant à négocier… leur réintégration
future, les dessert clairement.

Reste que l’apparence d’un parti «aligné,
couvert !» derrière son homme fort s’est ouvertement
fissurée et
que les élections cantonales bernoises risquent d’être plus difficiles pour l’UDC.

  (ds)