La social-démocratie scandinave victime du blairisme

La social-démocratie scandinave victime du blairisme


Après ses reculs électoraux spectaculaires de la fin des années 90, la social-démocratie
scandinave perd complètement pied aujourd’hui. La reconstruction d’une force socialiste
anticapitaliste est-elle d’actualité?


Jean Batou


A deux mois de distance, le 11 septembre
et le 20 novembre derniers, les
partis sociaux-démocrates norvégien
et danois ont perdu respectivement
près d’un tiers et près d’un cinquième
de leurs suffrages, par rapport aux
basses eaux de 1998/1999.1 Dans les
deux cas, les partis de droite ont avancé
fortement dans l’électorat populaire.


En Norvège, c’est le plus mauvais
résultat des travaillistes depuis 80 ans,
même s’il est vrai que le Parti socialiste
de gauche progresse de façon
spectaculaire, passant de 6% à 12,4%
des voix. Pour autant, dans les deux
pays, l’extrême gauche n’a pas réalisé
une percée, l’Alliance électorale rouge
norvégienne reculant de 1,7% à
1,2%, tandis que l’Alliance rouge et
verte danoise marquait le pas, de 2,7%
à 2,4% des suffrages.


Les travaillistes norvégiens se sont fait hara-kiri


En Norvège comme au Danemark
ou en Suède, la social-démocratie n’a
cessé d’évoluer à droite. A Oslo, après
une éclipse de deux ans (1997-1998),
elle était revenue au pouvoir dans le
cadre d’une coalition avec la droite –
le Parti conservateur et le Parti du progrès
(extrême droite). C’était une première,
même si, depuis dix à quinze
ans, les travaillistes avaient clairement
opté pour un social-libéralisme
de type blairiste: privatisations de Statoil
(pétrole de la mer du Nord) et des
télécoms, réduction des subventions
aux régions les plus pauvres, pressions
sur la fonction publique et relance
de centrales électriques polluantes,
au gaz naturel. En mai 2000, ce
gouvernement s’est confronté à un
important mouvement de grève victorieux.
On comprend que ces abandons
successifs aient fait le lit du populisme
de droite du Parti du progrès ou
du Parti du littoral (dans le Nord).


La social-démocratie danoise surfe sur la vague xénophobe


Au Danemark, le Premier ministre
social-démocrate a récemment opté
pour des élections anticipées afin de
limiter les dégâts. Selon les sondages,
le contexte de l’après-11 septembre
était favorable au gouvernement,
même si le Parti libéral gardait l’avantage.
Dès le départ, le Parti socialdémocrate
avait placé les restrictions
de l’immigration et le renforcement
de mesures sécuritaires «antiterroristes
» au centre de sa campagne,
flattant les sentiments proimpérialistes
et anti-musulmans d’une
partie de l’électorat populaire, sans
craindre la surenchère avec la droite.
Résultat des courses: la socialdémocratie
passe au-dessous de la
barre des 30% (29,1%), tandis que le
Parti libéral arrive en tête (31,3%), gagnant
un gros quart de voix supplémentaires,
et dispose d’une majorité
de droite écrasante au Parlement.


En Norvège comme au Danemark,
le scrutin proportionnel et la fragmentation
d’une droite, apparemment
moins bourgeoise et «classiste» qu’en
Angleterre, facilitent les transferts
d’électeurs/trices de la socialdémocratie
vers les partis populistes
réactionnaires. Contrairement à la tradition
scandinave, on observe aussi un
abstentionnisme croissant dans les
circonscriptions populaires.


Les succès du Parti socialiste de
gauche norvégien montre qu’une partie
de l’électorat, surtout dans la jeunesse,
est à la recherche d’une alternative
radicale aux reniements de la social-
démocratie, même si la direction
de ce parti est hésitante et se démarque
peu du Parti travailliste. En 1999,
elle avait même soutenu les bombardements
de l’OTAN au Kosovo.


Vers une refondation socialiste?


Sa jeunesse et une partie de ses
membres se sont cependant radicalisés
à gauche. Dans un tel contexte,
l’action commune, le débat et la confrontation
entre le Parti de la gauche
socialiste et l’Alliance électorale rouge
seraient extrêmement prometteurs
pour le développement d’un pôle socialiste
pluraliste, stratégiquement
différencié de la social-démocratie,
comme le Parti socialiste écossais.
Ainsi, l’Alliance rouge et verte danoise,
seule au Parlement à s’être opposée
à la guerre impérialiste en
Afghanistan, a été rejointe en cours de
route par le Parti socialiste populaire,
ce qui montre l’importance de conduire
des débats de fonds sans concession,
mais aussi sans sectarisme, au
sein de la gauche alternative.





  1. On s’attend encore à un nouveau recul de la socialdémocratie suédoise lors du prochain scrutin national.




L’alliance électorale rouge norvégienne
regroupe des forces
d’extrême gauche issues principalement
du front électoral du Parti
communiste ouvrier marxisteléniniste
(AKP). Il se définit aujourd’hui
comme marxiste-révolutionnaire.
L’alliance dispose d’une
réelle implantation à Oslo et à
Bergen (3-4% des voix en moyenne,
et jusqu’à 5-10% dans les
quartiers populaires).


L’alliance rouge et verte danoise
regroupe des forces issues
principalement du Parti communiste
danois, mais compte aussi
sur la participation significative
des organisations d’extrême gauche
issues du courant marxiste-léniniste
et de la IVe Internationale.