Des listes associatives à la Constituante? Pourquoi solidaritéS n’y est pas favorable

Des listes associatives à la Constituante? Pourquoi solidaritéS n’y est pas favorable

A l’approche des
élections à la Constituante, on entend de plus en plus
parler de nouvelles listes de la «société
civile», qui émanent des mouvements sociaux. Cette
situation comporte cependant des risques. D’abord, de telles
listes d’associations seraient amenées à se
prononcer sur l’ensemble des questions soumises à
discussion, au risque de diviser leurs membres, rassemblés sur
des objectifs plus profilés. Ensuite, cet effort se ferait au
détriment d’activités plus conformes aux buts
qu’elles se sont assignées. Enfin, elles pourraient bien
devenir ainsi, sans s’en rendre compte, de véritables
substituts de partis politiques. Est-ce vraiment souhaitable?

Récemment, on apprenait que l’assemblée des
délégués de l’ASLOCA, sans doute la plus
importante association du canton, forte de quelque 30 000 membres,
avait refusé à une très large majorité de
présenter une liste à la Constituante. Il ne s’est
trouvé que deux délégué-e-s pour soutenir
cette proposition. En effet, les statuts de cette association la
déclarent «neutre sur le plan politique et
confessionnel», position que pourrait difficilement revendiquer
une liste de candidat-e-s briguant des sièges à la
Constituante cet automne. Cette décision nous paraît tout
à fait sage.

En revanche, l’assemblée générale de
l’Avivo, «association de défense et de
détente de tous les retraités», qui compte environ
15 000 membres, a décidé à l’inverse de se
lancer dans la course pour résister à la
«déferlante antisociale». L’éditorial
de son mensuel Espaces de mai 2008, indique clairement l’une des
raisons fondamentales de cette «décision
exceptionnelle»: «Les divisions intervenues, qui semblent
perdurer, dans les rangs de la gauche la plus combative sur le terrain
social, ont facilité l’entreprise de démolition de
la droite genevoise».

Il semble donc bien que l’Avivo ait cédé à
la tentation de se substituer, au moins partiellement, aux forces
politiques de la gauche antilibérale, qui ne sont plus
représentées au Grand Conseil depuis 2005. Il est en
effet probable – mais loin d’être certain –  que
l’Avivo obtiendra le quorum nécessaire de 3% pour
être représentée à la Constituante, au prix
d’un gros effort financier et militant. Mais sur quel programme
constitutionnel briguera-t-elle des sièges? En effet, les
nouveaux statuts de l’Avivo fixent ainsi ses buts: «la
défense collective et individuelle des intérêts
matériels et moraux des retraités». Quelles seront
donc les positions de ses élu-e-s sur les multiples autres
objets soumis à la Constituante? Par qui et comment seront-elles
adoptées? Quelle incidence auront-elles sur son unité et
sa cohésion? Il est bien difficile de répondre à
de telles interrogations.

La démarche de la Fédération associative genevoise
(Fage) est assez différente, dans la mesure où elle se
propose de fédérer le monde associatif autour d’une
même liste. Qu’est-ce que la Fage? Une
faîtière qui revendique la mise en réseau de trois
types de mouvements. D’abord, de véritables institutions,
souvent fortes de milliers de membres, comme Pro Natura, le WWF,
l’ATE (Association transport et environnnement), ou le Gapp
(groupement genevois des associations de parents
d’élèves du primaire); il est difficile de
concevoir qu’elles puissent soutenir une liste spécifique,
compte tenu de la diversité des opinions qui les traversent.
Ensuite des faîtières en elles-mêmes, qui
chapeautent des dizaines d’associations, comme la FCLR
(fédération des centres de loisir et de rencontre, 42
associations) ou la Maison Kultura (une quarantaine de
sociétés dans les domaines de l’immigration et de
l’interculturalité). Enfin des associations plus petites,
mais hétérogènes politiquement, comme Après
(Chambre de l’économie sociale et solidaire), Attac, la
Codap (Centre de conseils et d’appui pour les jeunes en
matière de droits de l’homme), la FAE (Maison des
associations), le GSsA (Groupe pour une Suisse sans armée), les
Idées (pour un développement écologique et
social), le Village alternatif, la Codha (Coopérative de
l’habitat associatif) ou le MPF (Mouvement populaire des
familles).

La Fage pourrait donc à la rigueur tenter de présenter
une démarche commune d’une partie des petites
associations, à condition que la majorité de leurs
membres y soient favorables et qu’ils acceptent de
s’engager dans cette voie. Ensemble, elles
représenteraient éventuellement un prisme de positions
recoupant de nombreux domaines traités par la Constitution. Ce
faisant, elles se poseraient en nouvelle force politique cantonale,
témoignant d’un processus original et supposant de
nombreux débats préalables. Mais aucun signe ne trahit un
tel développement.

Le risque est donc grand que la liste de la Fage ne soit portée
que par un petit groupe de personnes issues de son comité, voire
de certaines de ses composantes, particulièrement
motivées par cette échéance, mais sans
réelle représentativité associative. Une telle
liste aurait peu de chance de passer la barre du quorum, même
à 3%. Pour mémoire, en 2001, Action Citoyenne avait
obtenu 2,4 % des suffrages au Grand Conseil.

solidaritéS considère que les deux démarches de
l’Avivo et de la Fage peuvent desservir leur cause.
D’abord, parce qu’elles tendent à faire endosser par
des associations politiquement hétérogènes un
programme cantonal d’ensemble, sauf à supposer que leurs
élu-e-s s’abstiennent sur bien des objets débattus.
Aussi parce que les positions qu’elles seront appelées
à soutenir ne reposeront sur aucun programme ou consensus
préalable, laissant leurs élu-e-s décider
largement en roue libre. Ensuite, parce que ce choix risque de leur
aliéner une partie de leurs membres, qui se reconnaîtront
dans d’autres listes présentées cet automne. Enfin,
parce qu’elles seront amenées à retirer une partie
de leurs forces (militantes et financières) du terrain des
luttes pour occuper le champ institutionnel, marginalisant un peu plus
leurs adhérent-e-s étrangers. Aujourd’hui, le monde
associatif ne devrait-il pas faire précisément
l’inverse, en investissant avant tout le terrain des
mobilisations sociales et en se donnant ainsi les moyens d’exiger
des forces politiques présente dans les parlements et à
la constituante, qu’elles fassent droit aux objectifs essentiels
de leurs associations? 

Jean Batou